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Musique, histoire et société
Hair
La folle histoire d'une révolution sociale et musicale
30 mai 1969. Au théâtre de la Porte Saint-Martin, c'est soir de première pour un spectacle venu d'outre-Atlantique, et qui va chambouler une France qui n'attendait que ça...

C'est un véritable cataclysme sonore qui déferle sur l'hexagone, où régne alors les opérettes de Luis Mariano et un scepticisme tenace envers tout ce qui vient d’outre-Atlantique, des « ricains » comme on dit alors. La France n’est pas la Californie : pas de hippies, peu de rock, pas d’IVG, la pilule en cachette et les écoles non mixtes, on rigole moyen...

Avec une troupe de jeunes chevelus qui chante la paix, la drogue, le sexe, l’amour et s’affiche même nue, les baby-boomers ont enfin leur spectacle total. Certes, acclamé des années durant par le public, mais toisé, méprisé et décrié par certains critiques effarouchés. Qui se cachait derrière cette machine pop ? Quelles stars furent révélées malgré la censure jamais loin ? Hair, c’était Mai après Mai. La révolution, la vraie !

Par Mathieu Alterman

La comédie musicale de la génération hippie

La fin des années 60 est une période de rupture vis-à-vis des films et pièces musicales de l’âge d’or d’Hollywood. La MGM se meurt, Gene Kelly et Fred Astaire entrent au musée. Une nouvelle jeunesse avide de libertés fait table rase du passé.

Aux États-Unis en 1967, dans la banlieue de New-York, un spectacle musical d’un genre nouveau séduit les jeunes grâce à un bouche à oreilles dithyrambique et une mise en scène démentielle signée Tom O’Horgan. Son producteur novice, Michael Butler, décroche un théâtre à Broadway en avril 1968 et l’évènement entre dans la légende avec 1750 représentations. Après une première exportation à Londres, l’affaire se poursuit à Paris dès la fin mai 1969, dans un pays dont la jeunesse n’en peut plus du conservatisme ambiant.

Annie Fargue, la première productrice moderne

Hair n’aurait jamais existé en France sans la volonté héroïque de sa productrice, Annie Fargue. Née sous le nom de Henriette Goldfarb en 1934 en Belgique, elle et sa famille fuient vers la France avant l’occupation nazie. Elle sera cachée dans une ferme pendant la durée de la guerre. De cette sinistre époque, elle gardera l'habitude de ne plus jamais vider sa valise.

Des chansons cultes

Faire des succès avec des chansons évoquant le sexe, la drogue, les hippies et le Vietnam : une gageure dans la France de 1969 qui dansait sur le Casatschock de Rika Zaraï ou Le petit pain au chocolat de Joe Dassin. Et pourtant la magie va opérer, sans doute grâce à ce besoin de changement, de différences.

Hair, c’est de la chanson à textes sur des rythmes pop, quand auparavant, l’un ou l’autre manquait sur les ondes parisiennes. Avec Hair on danse intelligent, c’est de la dépravation avec du fond, du cheveux ET des idées longues. L’album est bourré à craquer de hits, et la maison de disques doit sortir des singles en bonus, pour que le public puisse écouter tout ce qu’il a aimé sur scène. Attention, il y a avalanches de nouveaux mots sur les ondes.

La découverte de nouveaux talents

La jeunesse de la fin des sixties n’a plus rien à voir avec son aînée twisteuse de 1962. Les Beatles, Bob Dylan, les Rolling Stones ou Otis Redding ont envoyé aux placards les pionniers du rock’n’roll, tels Bill Haley, Gene Vincent et Vince Taylor. La scène musicale française a muté en 1966 sous les impulsions de Polnareff, Dutronc et de Hair.

Ce spectacle révolutionnaire ne peut mettre en lumière des stars aux univers trop marqués qui risquent de se démoder. En 1969, Julien Clerc n’a sorti qu’un premier album, certes très remarqué, avec La Cavalerie et Ivanovitch, mais n’est pas encore une vedette. Gérard Lenorman, Vanina Michel, Gérard Palaprat, Hervé Watine, Gregory Ken, sont de parfaits inconnus et Ronnie Bird, qui a rejoint la tribu, est déjà oublié par le grand public depuis son buzz de 1965. Hair, c’est du neuf... avec du neuf !

Postérité, reprises et chansons hors album officiel

Si l’album officiel parait chez Philips en 1969 sous pochette jaune et rouge, il remporte un si grand succès qu’une multitude de déclinaisons plus ou moins contrôlées par la production vont envahir les bacs. En albums, en singles, en improbables reprises, Hair doit être partout en cette années érotique, afin de remplir la salle. Le triomphe surprend tout le monde, c’est une victoire totale dans un pays qui n’avait pas exulté devant un musical moderne depuis West side story, dix ans plus tôt. Qu’importe si parfois quelques reprises paraitront un rien opportunistes, la France danse, découvre son corps et les hippies sont sympas.

L'auteur

Mathieu Alterman

Journaliste, chroniqueur (LCI, C8, Le Point, ...) et réalisateur de documentaires (Les Magnifiques - Paris Première).

Après avoir été pendant dix ans directeur artistique en maisons de disques et prêté sa plume à la revue Schnock, il enseigne le décryptage de la pop-culture, la communication de crise, le pitching et l’histoire des médias.

Il anime des conférences pour le groupe Ionis (Jacques Séguéla, Maurice Levy, Jacques Attali, …) et est aussi l’auteur de plusieurs livres dont « Les larmes de Johnny » (éditions Carnets Nord) et « Femmes Fatales (éditions Quai des Brunes).
Chroniqueur dans TPMP sur C8, professeur de pop culture et de podcast. 
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