Né le 31 janvier 1942, ce compositeur était fils de compositeur – on doit à son père, Henri Bourtayre, le titre Fleur de Paris chanté par Maurice Chevalier après la Libération. Elève de la professeure de piano de Michel Legrand, il profite de la présence d’un magasin de disques au rez-de-chaussée de l’appartement familial, pour écouter Patachou, Jacques Brel ou Georges Brassens, et bientôt acheter les 45 Tours des pionniers du rock anglo-saxon, tel Bill Haley. Fréquentant la famille Legrand, il flâne dans les bureaux de Marcelle, qui gère les éditions musicales de son fils Michel. Au fil du temps, il y rencontre des auteurs comme Pierre Saka qui l’introduisent auprès des futurs « yéyé ».
Homme de sympathie, attentif et précis, Jean-Pierre Bourtayre accompagne dès lors la modernité des « décagénaires », ces adolescents qui n’ont pas encore atteint la vingtaine, et dont les idoles soulèvent déjà les foules. Il nourrit d’abord l’énergie des Chats Sauvages, tout en élégance. Il rompt avec la pratique des adaptations françaises de succès anglo-saxons, composant des thèmes originaux pour Dick Rivers, ou Eddy Mitchell (Une fille si belle avec Pierre Delanoë, Et s’il n’en reste qu’un, paroles d’Eddy devenu auteur en 1966). Puis ce sera Françoise Hardy, France Gall, Richard Anthony, Marie Laforêt et tant d’autres.
Jean-Pierre Bourtayre ne fut pas l’homme d’un seul style. Un temps directeur artistique des disques Barclay, il compose des musiques de films (La curée de Roger Vadim en 1966, Le Grand Meaulnes de Jean-Gabriel Albicocco en 1967). En 1970, il se mue en chanteur, le temps d’un album (Et nous avons parlé de toi). En 1971, sa chanson Un banc, un arbre, une rue permet à Séverine de remporter l’Eurovision. Il compose alors la musique d’un nouveau feuilleton télévisé français consacré aux aventures d’Arsène Lupin. Jacques Dutronc y interprète L’Arsène, puis enregistre le générique de la deuxième saison de la série en 1973, Gentleman cambrioleur.
A cette époque, Jean-Pierre Bourtayre était déjà entré dans une autre lumière, celle de Claude François. « En 1968, j’avais composé une musique sur un texte de Vline Buggy, Adieu monsieur le professeur, interprétée par Hugues Aufray, rappelait-il dans une interview pour le Musée Sacem. Avec Vline, nous avons proposé à Claude François une chanson qui s’intitulait Avec la tête, avec le cœur. Il l’a aimée et il l’a enregistrée. Ça a été le début d’une collaboration qui a duré jusqu’à sa mort », le 11 mars 1978. Leur relation est si étroite, qu’il en devient le directeur artistique.
Et voici que naissent Y’a le printemps qui chante (1972), Le téléphone pleure (1974), et enfin Magnolias forever, Alexandrie, Alexandra (1977) sur des paroles d’Etienne Roda-Gil. « En 1977, Claude, qui était à l’affût de tout ce qui se passait en musique, a eu envie de se lancer dans le style disco, poursuivait le compositeur. Au début, il avait l’intention de chanter en anglais, mais je l’en ai dissuadé, parce qu’il y avait déjà Sheila et Patrick Juvet : il n’allait pas être le troisième »
« Quand j’ai proposé à Roda-Gil d’écrire pour Claude François, il n’était pas du tout enthousiaste. Mais j’ai réussi à organiser une rencontre et ils se sont très bien entendus. Pourtant, l’un redoutait de se retrouver avec un gugusse agité, l’autre avec un intello ennuyeux... Claude m’a même confié que c’était la première fois qu’il interprétait des chansons dont il ne comprenait pas toutes les paroles ! » Pari gagné, le succès est immédiat, et pérenne.
Après la mort de Claude, Jean-Pierre créée avec Etienne Roda-Gil et Jean-Claude Petit (avec qui il a aussi composé le générique culte de l’émission « Champs Elysées ») une comédie musicale, 36 Front populaire, l’entre-deux guerres et la conquête des congés payés. Parmi les interprètes, il y a Julien Clerc. Devenu directeur de production chez WEA, Jean-Pierre écrit pour des artistes maison dont Fabienne Thibeault (J’irai jamais sur ton island). Il retrouve ensuite un ami de l’époque Barclay, Jacques Revaux, qui veille à la carrière de Michel Sardou.
Avec sa complicité, il créé des mélodies qui vont marquer le répertoire de l’interprète : Vladimir Ilitch en 1983, Chanteur de jazz en 1985 ou encore Io Domenico en 1987. Avec Jacques, il offre Chanter à Mireille Mathieu, titre depuis très souvent interprété par les chorales. Il compose également pour Enrico Macias (Générosité, 1984), pour Charles Aznavour (Toi et moi, 1994), pour Gérard Lenorman (Boulevard de l’océan, 1979) et dix chansons pour Serge Regiani, avec Claude Lemesle (dont Pablo, à la gloire de Picasso). En 2003, Jean-Pierre conçoit avec Daniel Moyne le spectacle musical Belles belles belles consacré à Claude François. En 2017, il compose plusieurs chansons pour le dernier album d’Isabelle Aubret, sur des textes de Claude Lemesle (Pleine de larmes). Ce seront ses ultimes créations.
Lauréat de nombreuses distinctions, comme le prix Rolf Marbot en 1980, le grand prix de la Chanson française en 1987, il avait reçu une Victoire de la Musique catégorie chanson originale pour Musulmanes (paroles de Michel Sardou, musique co-composée avec de Jacques Revaux) en 1987.
Jean-Pierre Bourtayre était depuis 1969 sociétaire définitif de la Sacem, dont il fut membre du Conseil d’administration de 1993 à 2012, et vice-président d’honneur depuis juin 2018. Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite, il a également été vice-président de la Smacem et président du Comité du cœur.
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« Je salue ce grand nom de la chanson française que j’ai eu la chance de voir agir pour La Défense de métiers au sein de notre maison mais aussi au cœur des organisations professionnelles. Son œuvre restera éternellement dans notre mémoire collective. » Christine Lidon, présidente de la Sacem
« Boubou, le bourru, mais Jean-Pierre, le gentil, le gentleman mélodiste dont le bon sourire démentait si souvent le verbe. Bourtayre fils, fier de son succès, qui, pour lui, signifiait que les gens l’aimaient. Et, oui, il a accompagné nos vies : que de fêtes commencées avec le générique de « Champs-Elysées » et terminées sur « Alexandrie Alexandra » ! Que de parcours achevés et célébrés sur « Adieu, monsieur le professeur » ! Que d’amours pleurées sur son « Téléphone… » ! Aujourd’hui, nous sommes tristes de l’avoir perdu, bien sûr, mais heureux de l’avoir connu et certains – ô combien ! - qu’il va nous aider encore longtemps à respirer à travers ce qui faisait son oxygène : sa musique. » Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.
Découvrir l'entretien vidéo de Jean-Pierre Bourtayre, réalisé en 2018
Photo (c) Marc Chesneau/Sacem