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Hommage
Henri Gougaud
Conteur éternel

Grand défenseur de la tradition orale, Henri Gougaud a décliné son goût des mots de multiples manières : poésie, conte, chanson, radio, roman. Parolier pour Juliette Gréco, Serge Reggiani et Jean Ferrat, cet artisan anarchiste laisse derrière lui une trace indélébile. Admis à la Sacem en tant qu’auteur et compositeur le 13 mars 1962, il est devenu sociétaire définitif le 22 avril 1982.

Il avait le regard malicieux, le talent multiple et le parler occitan hérité de sa naissance à Villemoustaussou, près de Carcassonne, en 1936. Conteur, écrivain, parolier, chanteur, compositeur il est décédé le 6 mai 2024, à l’âge de 88 ans. Explorateur du pays cathare, amateur d’histoires fantastiques et étranges, Henri Gougaud a publié treize albums, dont dix de chansons, rassemblés en 2023 dans J’ai pas fini mon rêve, un coffret (5 CD, chez EPM) allant de Mes cinq sens (1964) à La dérive (1976) en passant par l’opus chanté en occitan, Lo pastre de paraulas (le berger des mots, 1974) ou le recueil de poésie parlée, Contes des pays du monde.

Monté à Paris en 1962, Henri Gougaud se produit dans le tout nouveau cabaret L’École Buissonnière ouvert par
René-Louis Laforgue, exilé de la Guerre d’Espagne, qui en fait un rendez-vous de libertaires pacifistes. Et puis, il y a le Port du Salut, la Colombe, l’Écluse, établissement favori de Barbara, qu’il admire. En 1964, Brassens, l’un de ses maîtres, l’invite à assurer sa première partie à Bobino.

Sur scène, il interprète ses propres chansons, puis devient parolier. Pour Serge Reggiani (Paris Ma Rose, 1967), pour Jean Ferrat (une quinzaine dont La matinée, 1969), pour Juliette Gréco (Paris aujourd’hui, avec Gérard Jouannest et François Rauber), mais aussi pour Francesca Solleville, Marc Ogeret, Hélène Martin ou Les Frères Jacques. Il y narre un monde libre et anticonformiste. « Je suis profondément anarchiste. C'est ma nature bien plus qu'une adhésion idéologique », disait l’heureux détenteur d’un vieil orgue de barbarie, légué à sa mort par un musicien ambulant du pont des Arts.

Dans les années 1970, les cabarets s’essoufflent et Gougaud renonce à chanter. Après la publication en 1973 de Démons et merveilles de la science-fiction, le présentateur Claude Villers l'invite dans son émission Marche ou rêve sur France Inter. Henri Gougaud y raconte chaque midi des histoires fantastiques et étranges, ainsi que des contes tirés de la tradition orale. Il produit par la suite ses propres émissions dont Le Grand Parler et Tout finit par être vrai.

Révélé en tant que romancier par Bélibaste (Seuil, 1982), Gougaud greffe ses intrigues dans des contextes historiques et géographiques précisément documentés (la France de langue d'oc et l'automne médiéval le plus souvent). En 2016, il publie Le Roman de Louise, une biographie de la militante anarchiste et féministe Louise Michel, héroïne des barricades de la Commune de Paris.

Henri Gougaud a été récompensé de nombreux prix, dont le Prix Goncourt de la nouvelle pour Départements et Territoires d'outre-mort en 1977 ou le Prix de l'Humour noir pour Le Grand Partir en 1978. Fréquemment sollicité pour des récitations publiques, il a été directeur de collections au Seuil.

Ce père du « Nouveau Conte » français pensait que « la musique [était] le langage obscur qui nait du silence ». En mars, se sachant malade, il écrit sur son site Internet : « Je me laisse découvrir chaque matin l’imprévisible, qu’il m’emporte encore plus loin vers le désir et la force de dire oui, de dire non, de rire au ciel, d’écouter la tendresse. »

"Henri Gougaud a fait ses contes sans compter et toujours accordé ses idées à ses idéaux. Artisan de l’écriture, partisan de la liberté, il laisse une œuvre riche de sève et de sens. Aujourd’hui je ne peux m’empêcher d’entendre une phrase de sa superbe chanson La matinée en me disant qu’au moment de nous quitter, il a dû la murmurer à la camarde : « Attends encore un peu, je refaisais le monde… »" Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.

Publié le 6 mai 2024 © Giovanni Giovannetti/opale.photo

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