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Hommage
Cécile Chaminade, l'avant-gardiste

Concertiste, compositrice, star de la fin du XIXe siècle, Cécile Chaminade a cristallisé l’inconfort d’être une femme douée dans un monde pensé par des hommes.

Née le 8 août 1857 aux Batignolles, qui est alors un village sis au pied de la butte Montmartre, Cécile Chaminade est issue d’une longue lignée de marins et d’officiers. Son père, directeur d’une compagnie d’assurances anglaise, a épousé une mélomane, pianiste émérite. Celle-ci a vite décelé les dons de sa fille pour la musique. Après un déménagement au Vésinet, mère et fille croisent la route de Georges Bizet.

De vingt ans son aîné, Bizet la surnomme « mon petit Mozart ». Il la pousse à s’inscrire au Conservatoire où Félix Le Couppey mène une classe réservée aux jeunes filles. Refus du père, pour qui les femmes doivent tenir leur rang d’épouse et de mère. Tout juste lui concède-t-il le droit à un enseignement privé : Félix Le Couppey pour le piano, Augustin Savard pour l’écriture musicale et Benjamin Godard pour la composition.

Desservie par son genre, Cécile Chaminade va pouvoir profiter de sa condition sociale. En grands bourgeois, ses parents tiennent salon de musique à domicile, tissant ainsi un solide réseau de connaissances. En 1877, à vingt ans, elle profite du départ en voyage de son père pour se produire à la salle Pleyel lors d’un concert de musique de chambre. Les critiques sont dithyrambiques, Camille Saint-Saëns et Emmanuel Chabrier l’encouragent. Si les modèles sociaux de la fin du XIXe siècle l’enferment, elle sera soutenue par ses pairs, les artistes. « Ce n’est pas une femme qui compose mais un compositeur qui est une femme », disait Ambroise Thomas à son sujet.

Excellente pianiste, Cécile Chaminade s’attelle à la composition. En 1878, Le Couppey organise avec succès un concert privé dédié à ses œuvres. En 1880, la Société nationale de musique accueille son Trio, op. 11, puis en 1881 sa Suite, op. 20, pour orchestre. En 1884, sa symphonie dramatique Les Amazones, op. 26, sur un livret féministe de Charles Grandmougin, comparse de Bizet ou de Fauré, est créée à Anvers parallèlement au Concertstück, op. 40, pour piano et orchestre, une œuvre à l'avant-garde de l'influence extrême-orientale qui marquera la musique française à partir de 1889, - année où Debussy découvre le gamelan javanais à l’Exposition universelle. La Société nationale de musique accueille en 1887 son Deuxième Trio, op. 34. En 1888, l'Opéra de Marseille scelle le succès de son ballet Callirhoë, op. 37.

En 1887, le décès de son père prive sa famille de ressources. Dans les années qui suivent, Cécile Chaminade se consacre à une carrière de « compositrice de salon », signant un contrat exclusif avec l'éditeur Enoch, lui garantissant 12 mélodies par an. Son catalogue en comporte environ 150, ainsi que 200 pièces pour piano de style romantique. Elle ne revient à l’écriture symphonique qu’en 1902 avec le Concertino, op. 107, pour flûte et orchestre, une commande du Conservatoire.

Longtemps timide et allergique aux voyages, Cécile Chaminade entreprend alors des tournées à travers le monde. Au Royaume-Uni d’abord, où elle est reçue à plusieurs reprises à Windsor par une fan, la reine Victoria. Puis en Grèce, en Turquie, aux Pays-Bas. En 1908, elle débute aux États-Unis en interprétant son Concertstück avec l’Orchestre de Philadelphie. S’en suit une série de concerts triomphaux. Femme, elle n’est pas épargnée par les critiques. Au lendemain d’une prestation au Carnegie Hall, le New York Evening Post écrit que « la musique de Chaminade a une délicatesse et une grâce féminines, mais elle est étonnamment superficielle et manque de variété… Dans l’ensemble, ce concert a confirmé la conviction de beaucoup que si les femmes peuvent voter un jour, elles n’apprendront jamais à composer quelque chose qui en vaille la peine ». L’intéressée rétorque : « Il n'y a pas de sexe dans l'art. Le génie est une qualité indépendante. La femme de l'avenir, avec ses perspectives plus larges, ses opportunités plus grandes, ira loin, je crois, dans le travail créatif de toutes sortes. »

Son succès aux USA, considérable, dépasse le cadre de la musique. Chaminade devient une icône féminine via de nombreux « clubs Chaminade » qui la placent en véritable role model de la femme moderne. Tenant à son tour salon de musique au Vésinet, elle rompt avec les usages, en vivant seule. « Mon amour, c'est la musique, j'en suis la religieuse, la vestale ». En 1901, elle contracte pourtant un mariage blanc avec Louis-Mathieu Carbonel, un éditeur de musique marseillais. Veuve en 1907, elle ne veut ni secrétaire ni imprésario, de peur de retrouver l'autorité paternelle dont elle a tant souffert. L’une des rares femmes à avoir dirigé des orchestres, elle sera la première compositrice à recevoir la Légion d'honneur, en 1913.

Après la mort de sa mère en 1910, elle se met en retrait. En 1913, elle retourne pourtant se produire à Londres : accueil triomphal à nouveau, les étudiants la portent en triomphe. Puis la guerre éclate. Elle tire un trait sur sa carrière pour diriger un hôpital. Épuisée, décalcifiée à la suite d’un régime alimentaire végétarien mal surveillé, elle doit être amputée d'un pied en 1936. Elle se retire à Monte-Carlo et meurt le 13 avril 1944.

Véronique Mortaigne

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