Les fidèles téléspectateurs de « Des chiffres et des lettres », ceux de « Fort Boyard » et de « Pyramide » sont orphelins à la suite du décès le 7 août de Patrice Laffont, victime d’une crise cardiaque dans sa maison d'Oppède (Vaucluse). Né le 21 août 1939 à Marseille, l’animateur et producteur a marqué l’histoire de la télévision française. Indémodable pour n'avoir jamais cédé aux modes, charmeur incisif et espiègle, l’homme à la voix grave et aux yeux clairs était le fils de l'éditeur Robert Laffont. Le maitre des jeux avait tout du self- made man, mais aussi, paradoxalement, tout du fils de famille. « Mon père a fait HEC, moi, je n'ai pas mon bac », aimait-il plaisanter.
Patrice Laffont voulait être comédien. Au début des années 1960, il entre dans la troupe itinérante des Tréteaux de France qui présente un répertoire classique. En 1963, il goûte au cinéma, avec Les Vierges de Jean-Pierre Mocky, puis Le gendarme de Saint-Tropez de Jean Girault (dans le rôle du playboy, Rémy). Participant à des dramatiques pour la télévision, il suit les cours de théâtre d’Yves Furet et y croise deux jeunes artistes encore inconnus, Michel Sardou et Michel Fugain. C’est lui qui écrira les paroles des premières chansons de Sardou, dont Mods et rockers, ode à l’Angleterre, déposée à la Sacem en 1966 : « Si les Anglaises s'habillent court/Ce n'est pas moi qui m'en plaindrai/Et pour pouvoir leur faire la cour/Je prendrais bien 100 fois le thé », écrit-il avec élégance sur une musique de Jacques Revaux.
Quant à Michel Fugain, il compose sur un texte de Patrice, Jolie ou pas jolie, pour Hervé Vilard et pour lui-même, « Quand j’ai vu pleurer mon père/Devant la porte que j'ouvrais/Le jour où je n'ai pu taire/Qu'il me fallait ma liberté ».
Parallèlement, Patrice Laffont est un temps rédacteur-concepteur dans la pub, puis, en 1962, reporter stagiaire à Europe 1. Son père l’invite à rejoindre le tout nouveau département des jeux de société des éditions Robert Laffont. Il y rencontre le producteur Armand Jammot, qui l’intègre dans l’équipe d’« Aujourd’hui Madame » avant de lui confier les clés « Des chiffres et des lettres », en 1972. Le début d’une aventure de dix-sept ans, à laquelle il mettra fin en 1989 après avoir vu le film Tandem de Patrice Leconte, où Jean Rochefort interprète la chute d’un animateur célèbre échoué dans un supermarché, après la suppression de son émission… « Des chiffres et des lettres » a duré jusqu’en mai 2024.
« Voyelle, consonne… », « le compte est bon » : la voix de Patrice Laffont, calme, caustique parfois, reste gravée dans les mémoires. Chaque après-midi sur Antenne 2, c’étaient des millions de personnes devant leur poste. De 1990 à 1999, il prend les rênes de « Fort Boyard », rendez-vous sportif et ludique, où il se découvre en maître du jeu intransigeant. Parallèlement, il anime, entre 1991 et 2001, un jeu en studio sur Antenne 2, « Pyramide ». Lui, se sentait parfois coincé dans le rôle « d’homme tronc » disait-il, confessant qu’il ne s’était jamais « senti aussi bien qu’entre 1975 et 1980, lorsqu’il a « produit [s]es propres émissions, dont [il a] élaboré les concepts, et dirigé une équipe », confiait-il. Deux magazines mêlant reportages, entretiens et variétés, « Un sur cinq », puis « Mi-figue, mi-raison », où la jeunesse est mise en valeur.
Patrice Laffont n’avait jamais quitté la scène, sa vocation première. On le voit jouant dans les théâtres parisiens, l’Essaïon, le Ranelagh pour une Phèdre inattendue, au Petit Gymnase, à l’Alhambra…
En 2006, il est le maitre de cérémonie de la première édition du Grand Prix Claude Lemesle (devenu Prix Pierre Delanoë) au théâtre de la Gaîté Montparnasse.
En 2023, il est sur les planches pour Bas les masques de Brunot Duhart et Patrick Angonin, mise en scène par Olivier Macé. Une pièce drôle, à la mesure de cet épicurien qui n’aimait rien tant que le jeu.
« Patrice Laffont avait su garder, en dépit de la forte notoriété qu'offre une extrême exposition médiatique, une simplicité et une sympathie naturelle tout à son honneur. Avant d'être sous le feu des plateaux télé, il avait été un homme de l'ombre et sa proximité juvénile avec deux des grands Michel, Fugain et Sardou, lui avait inspiré quelques beaux textes dont un superbe, coécrit pour Fugain avec notre cher Eddy Marnay : "Quand j'ai vu pleurer mon père". Salut, l'artiste, adieu, l'ami. » Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.
(c) Yann Bohac/MPP/SIPA