Expérimental, pourrait-on dire. Mais le qualificatif serait bien trop réducteur pour définir le style de Catherine Ribeiro. Figure incontournable des années 1970 et 1980, elle appartenait à la famille des contestataires de la chanson française, avec ses mots ciselés, ses prises de positions tranchées et ses audaces musicales. La chanteuse Colette Magny, elle-même grande diseuse de révoltes, affirmait, avec affection, que « dans la famille coup de poing, Ferré était le père, Ribeiro la fille, Lavilliers le fils ».
Née le 22 septembre 1941 dans une famille d’immigrés portugais de six enfants, dont la mère est illettrée, elle se réfugie dans l’imaginaire de la poésie quand elle comprend « qu’elle n’ira jamais en classe de 6e parce que c’est trop cher », mais qu’elle finira à l’usine. À 17 ans, elle s’inscrit au conservatoire d’art dramatique de Lyon. Mais la comédie, dit-elle, est « un carcan ». Elle veut être libre, elle écrit et pose bientôt sa rage de vivre sur une musique rock incantatoire. Les camarades, le rouge et le noir, le Chili ou encore le Viêt-Nam : Catherine Ribeiro fut de tous les combats anticapitalistes.
Apparue dans les années 1960 en chanteuse yéyé (elle figure sur la célèbre photo de « Salut Les Copains » de juin 1966, entre Hugues Aufray et Eddy Mitchell), elle attrape au vol le folk américain, reprenant Bob Dylan ou Pete Seeger. Ses disques se vendent bien mais, en 1968, désillusionnée par le show-biz, elle tente d’en finir une première fois en absorbant massivement du Gardénal, un puissant barbiturique, peu après avoir rencontré Patrick Moullet sur le tournage des Carabiniers de Jean-Luc Godard.
Ensemble, ils fondent le groupe Catherine Ribeiro +2 bis, renommé plus tard Catherine Ribeiro + Alpes, symbolisant leur aspiration à atteindre les sommets avec une poésie exigeante portée par des musiques innovantes.
Patrice Moullet cheveux longs jusqu’à la taille, barbe jusqu’au nombril, invente des instruments : une lyre électrique, une 24 cordes… Ils répètent dans les communautés hippies, publient l’album n° 2, sept morceaux qui torpillent les codes de la chanson. Long de dix-huit minutes et trente-six secondes, Poème non épique est la plainte douloureuse d’une trentenaire sur le point d’être quittée par son compagnon.
De 1970 à 1980, le groupe Catherine Ribeiro + Alpes publie neuf albums, donne des milliers de concerts des petites salles à Bobino, bien qu’ignoré par la télévision, peu joué à la radio. Philips leur impose une étiquette sur la pochette : « les textes de ces chansons n’engagent que leurs auteurs ». Parallèlement, Catherine Ribeiro n’a jamais cessé de revisiter la chanson française en solo. En 1977, elle publie Le Blues de Piaf, lauréat du Grand prix de l'Académie Charles-Cros, suivi en 1978 d’un album consacré à Jacques Prévert. À Bobino ou aux Bouffes du Nord, elle chante Gérard Manset ou Colette Magny, et puis Ferrat ou le Perlimpinpin de Barbara.
Sans Dieu ni maître, elle a toujours revendiqué, avec une hauteur souveraine, le droit de décider pour elle-même de sa vie et de sa mort… jusqu’à finir par cribler sa gorge de plombs au début des années 1990.
En 1984, elle épouse le maire de Sedan, Claude Démoulin, et s’écarte de la scène. Sa dernière performance en date, en 2008 au Bataclan, témoignait de son charisme scénique, de sa sincérité.
Inscrite à la Sacem en tant qu'autrice en 1970, puis en tant que compositrice en 1999, elle devient sociétaire définitive le 5 avril 1984, après avoir mené une grève de la faim en 1979 pour faire reconnaître le droit de l’artiste-interprète. Eternelle rebelle.
« Électron libre et survolté, chanteuse à voix et à foi, égérie des rêveries soixante-huitardes, Catherine, que j’ai eu la chance de connaître, était pour moi la Louise Michel de la chanson. Indomptable, inclassable mais humaine, humaine à l’amour à la mort… » Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.
Publié le 23 août 2024 © Universal Music France / Bridgeman Images
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