Moustache à la Jean Ferrat et pattes descendant sur les joues, Gilles Dreu publie en 1968 Pourquoi Bon Dieu, chez Disc’AZ, le label fondé par Lucien Morisse, directeur artistique d’Europe n°1. Il y est question de l’opposant grec Míkis Theodorákis ou du héros mexicain Emiliano Zapata. Mais c’est grâce à une chanson d’origine argentine que l’album triomphe. Pierre Delanoë est tombé amoureux d’une mélodie, La peregrinación, incluse dans Navidad Nuestra, qu’il a adaptée en français. L’œuvre a été écrite pour orchestre symphonique, chœur et instruments folkloriques par Ariel Ramirez et Félix César Luna, à qui l’on doit la Missa Criola. Sous la plume du parolier français, « A la huella, a la huella » devient Alouette, Alouette.
Refusée par Jean-Claude Pascal, la chanson parvient à Gilles Dreu. En plein mai 68, Lucien Morisse en fait « le disque de la semaine », les ventes explosent. « La chanson aurait pu passer inaperçue. Or, on était dans une ambiance latino-américaine en 68, période révolutionnaire. J'avais un physique, moustache et cigare, qui évoquait un peu Che Guevara en poster dans toutes les chambres d'étudiant », analysait l’intéressé. Un an plus tard, Gilles Dreu rejoint La Compagnie, le label de son « parrain » et ami Hugues Aufray, dirigé par son producteur Norbert Saada, et publie Chante en 1969. C’est le début d’une logique artistique que Gilles Dreu va développer six décennies durant.
Né Jean-Paul Chapuisat à Dreux (Eure-et-Loire) le 31 juillet 1934, Gilles Dreu est mort le 7 janvier 2025 à Vals-les-Bains (Ardèche) à l’âge de 90 ans. Habitué à une vie nomade, vécue au gré des affectations de son père, militaire, du Mali à la Guinée, de la Martinique à Marseille, il envisage de devenir professeur d’éducation physique. Mais, libéré après trente mois de service militaire en Algérie, il s’immerge dans la chanson. Le voici en 1959 au Tire-Bouchon, un cabaret montmartrois, où il croise Bernard Dimey, Daniel Prévost, Pierre Richard, Victor Lanoux ou Serge Lama. Impressionné par son interprétation de Quand on n’a que l’amour de Jacques Brel, le directeur artistique de Barclay et compositeur Léo Missir l’engage à devenir chanteur. Il prend alors un pseudonyme, Dreu, clin d'œil à sa ville natale, et signe un contrat discographique en 1963, avec Riviera, où figure Filles de Garches, enfants de Puteaux. À cette époque, il débute au cinéma : doublage, seconds rôles…
Alouette lui donne des ailes. En 1970, il partage la scène de Bobino avec Marie Laforêt, et en 1971 il interprète Dans la montagne, générique de la série télévisée, puis la chanson du film Un aller simple de José Giovanni - musique de François de Roubaix. En 1972, il enregistre Moïse avec Nicole Croisille, et revient au sommet des charts avec le titre Descendez l’escalier, de Jean-Pierre Bourtayre et Yves Dessca. En 1973, il anime sa propre émission intitulée Jamais Dreu sans trois, sur Télé Monte-Carlo.
Gilles Dreu n’a jamais quitté la scène, ni l’amitié de ses pairs. En 2020, il avait sorti son seizième et dernier album, Le Comptoir des amis, dans lequel on retrouvait des chansons inédites chantées en duo avec Serge Lama, Fabienne Thibeault, Didier Barbelivien, Stone ou encore Gérard Lenorman. En 2022, il avait fêté ses 63 ans de carrière à La Nouvelle Ève à Paris, clin d’œil aux cabarets, de l’Échelle de Jacob au Don Camillo, qui avaient forgé sa détermination et la légèreté de cet homme aux yeux pétillants.
« Gilles Dreu jusqu’au bout, s’est tenu debout, envers et contre tout. Jusqu’au bout, il a chanté, il a lutté et le Comité du Cœur de la Sacem l’a accompagné. Sa voix vigoureuse et ensoleillée vient de s’éteindre, mais son écho va continuer à donner de l’énergie à ceux qui, intimes ou anonymes, ont eu la chance de l’écouter un jour. » Claude Lemesle, auteur, Président d’honneur de la Sacem.
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Publié le 9 janvier 2025