exposition
L'amour, le sexe, le corps en chansons 1900-1950
Sommaire
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Coquines, paillardes, équivoques, libertines…
Dans cette exposition, il
est bel et bien question de ces chansons sans cache-sexe qui, dans bien des
cas, ont été générées par des auteurs émérites, parmi lesquels des poètes, des
Prix de Rome, des Présidents, des romanciers, voire des abbés passant
allègrement de la chaire à la chair.
Elles choquent, elles émoustillent, elles s'inscrivent dans une tradition frondeuse. Elles sont un défi goguenard au politiquement correct.
Jugez-en…
Par Romain Bigay*, Claude Lemesle** et Arlette Tabart***.
Ah ! La première fois... La découverte d'un monde de sensations qui s'offre aux corps naïfs des jeunes gens qui ne demandent qu'à se mouvoir et s'émouvoir. La thématique, qui traverse les époques, est un classique du répertoire de la chanson du début du XXe siècle. Et il en va d'hier comme d'aujourd'hui : le plus important, c'est la première fois, et ensuite la deuxième fois. Et puis après, on recommence !
En 1932, Dominique Bernard-Deschamps réalise le film Le Rosier de Madame Husson, inspiré de la nouvelle de Guy de Maupassant, parue en 1887. L'occasion de chanter l'émoi de la première fois. Madame Husson, dans sa petite ville, veut promouvoir la chasteté et distinguer une jeune fille vertueuse. Malheur ! Aucune candidate ne satisfait aux critères de pureté et c'est le jeune Isidore Pastouret qui remporte le rosier. Incarné par Fernandel, qui a élevé l'interprétation de l'idiot du village au rang d'art, l'ingénu, enivré par le vin du banquet de la récompense, décide d'utiliser son prix pour aller s'encanailler à Paris !
Dans son texte, mis en musique sur un fox trot par Michel Lévine, Jean Boyer y va de ses conseils aux jeunes amants : ne pas stresser, gérer sa respiration, etc. On s'en fait tout une montagne, alors que ce n'est « rien, trois fois rien », juste « un petit mouvement, il suffit de l'attraper ». Le sens inégalable de l'interprétation de Fernandel, avec modulation suggestive de la voix et mimiques qui traduisent toute sa gourmandise coquine, finit d'achever les efforts de Madame Husson. Une fois initié, on ne pense plus qu'à une seule chose : recommencer ! *
La rime a été remise à sa place par Verlaine dans son Art poétique : « Ô qui dira les torts de la rime ! / Quel enfant sourd ou quel nègre fou / Nous a forgé ce bijou d'un sou / Qui sonne creux et faux sous la lime? ». Si la poésie, au XXe siècle, a pris de grandes libertés avec la rime, il n'en va pas de même pour la chanson, et plus d'un parolier s'est amusé à écrire quelques vers en « trompe-l'oreille » comme on peut peindre en trompe-l'oeil. Habitué à l'écho sonore qu'elle constitue, l'auditeur attend un mot et en entend un autre. Ouf!... Si certains auteurs, usant de ce procédé, n'ont pas évité l'écueil de la vulgarité, d'autres en ont tiré de subtils et réjouissants effets.
"J'ai eu la chance formidable d'être l'élève de Mireille au Petit conservatoire de la chanson entre 1965 et 1967. Cette petite Grande Dame excellait dans l'art de transmettre le virus de sa passion". Claude Lemesle, auteur.
Et elle était bien placée pour ça : c'est elle qui, entre deux guerres, avait révolutionné notre artisanat en inoculant dans ses musiques les rythmes, les cadences, les harmonies venus d'Amérique et piqué au jazz et à Gershwin nos vénérables mélodies. Son auteur, Jean Nohain, n'était pas en reste et ses textes intelligents, malicieux, quelquefois coquins, habillaient superbement la jeune femme qui, selon le mot délicieux de Sacha Guitry, « n'était pas desservie par une grande voix ». « Tant pis pour la rime » est un magnifique exemple de leur répertoire. L'humour fripon n'y empêche la pirouette finale, tout en tendresse. Un régal ! **
Dans le répertoire coquin de la chanson française, l'utilisation de la fausse rime est fréquente. À grand renfort de sous-entendus, elle met ses auteurs à l'abri des censures et assure ses interprètes d'un succès immédiat.
Champion du verbe et de la rigolade, le chansonnier montmartrois type en
faisait son miel à grands coups de «Pénélope» rimant avec «nana», le principe
étant de remplacer une rime attendue par une de ses sœurs inattendues voire pas
de rime du tout.
Les exemples foisonnent : Aventure galante assurait des
ovations à Fernandel et Ouvr' la
f'nêtre, la rente viagère de son chantre Sandrey, passait à la postérité.
Née en 1931 des talents conjugués du musicien Julien Prévost et de l'autrice et
éditrice Mathilde Montier (une précurseure dans le petit monde du show business),
l'œuvre s'inscrira de façon récurrente aux programmes des artistes caf'conc' en
vogue se divertissant d'asséner : « Mes paupières se mouillent, / Je
voudrais t'embrasser les…... / Ouvre la f'nêtre qu’on respire un peu». Pas
étonnant que les Charlots et Chanson plus bifluorée aient «repris» la bluette. ***
Si de nos jours, le harcèlement a supplanté les amourettes dans les transports en commun, dans les années 1920, on chante les idylles souterraines du métro parisien. Même quand elles mettent en scène ce qu'aujourd'hui l'on appellerait un « frotteur ».
Autre temps, autre mœurs... Et dans l'entre-deux gares, pardon, guerres, le rapprochement corporel en wagon donne lieu à un modèle de recours à la fausse rime : la finale n'est pas celle que l'on attend, mais tout le monde comprend très bien ce que l'on n'entend pas : « Et pour savoir c' qui la chatouille / Derrièr' son dos ell' tripatouille / Et tomb' sur un' bell' pair' de...gants / Que l' jeune homme, à la main /Tenait candidement »
Le texte de Louis Hennevé , chanté par Jean-Loup (Jean Rousselière) puis par Lyjo, sur le motif musical de Oui, mais la vague de paresse, de Gaston Gabaroche, sera réarrangé par Renaud en 1981 pour son P'tit bal du samedi soir et autres chansons réalistes, sous le nom de La Jeune fille du métro. Au final, la morale est sauve : si l'amour rattrape le vice, il ouvre aussi les... cœurs. Cette fois-ci, pas de grève dans le transport amoureux ! *
De profundis morpionibus, Allons à Messine, La putain de Nancy, La peau de couilles... chansons gaillardes et thérapeutiques soignant les maux de ceux qui ont la souffrance et la peur pour quotidien: carabins, militaires, marins…. Des chansons exutoires nées sous X ayant le sens de la fête et une parfaite connaissance de l'anatomie.
Des générations de choristes improvisés ont entonné ces hymnes excessifs et mal embouchés qui, répertoriés «du domaine public», ont été fréquemment, arrangées et adaptées par des loustics tel André Clergeat - co fondateur de la revue Jazz Hot - papa d’une version de La peau de couilles pas piquée des dards de hanneton.
Signe de nos temps frileux : les créations se font plus rares. Brassens en atteste dans sa célèbre Mélanie : « Les chansons de salle de garde / Ont toujours été de mon goût / Et je suis bien malheureux, car de / Nos jours on n'en crée plus beaucoup ». Si le grand Georges le dit... ***
"Les chansons de salle de garde / Ont toujours été de mon goût / Et je suis bien malheureux car de nos jours, on n'en crée plus beaucoup...".
Ainsi chante judicieusement Brassens dans sa très sulfureuse Mélanie. Le genre semble en effet en voie de disparition, et si Pierre Perret s'est fait un plaisir de chanter Le pou et l'araignée dans son album Les dieux paillards, il n'en est pas le créateur originel. Mais on sait toujours gré à un grand couturier de faire des reprises.
La paternité de ce monument de la chanson paillarde est fréquemment attribuée à Musset pour le texte et à Berlioz pour la musique. Est-ce si sûr ? Le compositeur de la Symphonie fantastique, s'il appréciait le poète, n'aimait pas beaucoup l'homme qui, de son côté, pilier de cabarets, finissait souvent ses soirées dans des vapeurs très alcoolisées, mais peut-être pas au point d'écrire les approximations contenues dans les couplets et le refrain du chef-d'œuvre carabin. Bref, la genèse de cette fable lubrique est incertaine, mais son extravagance est avérée. Au fond, dans ce domaine-là, n'est-ce pas tout ce qui compte ? **
Ouvrières ou demi mondaines, les femmes dans la chanson des premières décennies du XXe siècle fascinent les auteurs masculins, qui célèbrent leur force de caractère tout autant que la naïveté des hommes. C'est bien elles qui font tourner les robes et les têtes, et qui assument d'user de leurs charmes pour arriver à leurs fins. Libérées, libératrices, elles encouragent leurs semblables à profiter de la seule place que les hommes veulent bien leur laisser.
Le 15 février 1923 au théâtre Édouard VII, c'est un véritable triomphe pour la comédie musicale L'Amour masqué, de Sacha Guitry et André Messager.
« Elle » a 20 ans, et
un principe, celui d'avoir deux amants : le baron D'Agnot et le
Maharadjah. « Elle » ne les aime pas c'est entendu, mais dispose à sa
guise de son corps comme des hommes qui le convoitent. De passage chez un
photographe, elle tombe amoureuse de la photo d'un jeune homme. Sans savoir
qu'elle a été prise il y a 20 ans. Par un stratagème, elle succombe au charme
de celui qu'elle pense être le père du beau jeune homme. Le père et le fils
sont le même homme, mais le principe est respecté : « elle » a
toujours deux amants.
Cette femme libre, qui se joue des hommes et profite de
leur crédulité, c'est Yvonne Printemps, actrice et soprano, épouse de Guitry,
qui lui donne corps et voix. Elle n'en est pas, loin s'en faut, à son coup
d'essai grivois, elle qui fut dans la distribution de Ah ! Les beaux
nichons avec Maurice Chevalier aux Folies Bergères, à 18 ans à peine.
J'ai
deux amants, titre phare de la comédie musicale, est un hymne à
l'indépendance de la femme, qui assume de se faire entretenir, non pas par un,
mais par deux hommes. Comme elle le chante : « Un seul amant,
c'est ennuyeux / C'est monotone et soupçonneux / Tandis que deux, c'est
vraiment mieux / Mon Dieu que c'est bête un homme / Alors, vous pensez
deux ». *
Voici une petite merveille d'impertinence et d'humour.
Le texte en est signé par
Eugène Héros, auteur, entre autres, de la très jolie valse Pourquoi ne
pas m'aimer? et Albert Cellarius, journaliste et parolier décédé très
jeune, à 36 ans.
On en doit la musique à Lucien Delormel, auteur de
l'inoubliable En revenant de la revue, et à Fragson, son créateur,
mort en 1913 assassiné par son propre père pour une sombre histoire de
rivalité amoureuse. Si la version originale est savoureuse, on peut se
régaler en écoutant les interprétations de deux immenses artistes : Barbara
et Isabelle Huppert. ***
Jeanne Aubert, comédienne et chanteuse très en vogue dans les années 30, a été la première à chanter cette chanson dont le texte est dû au tandem Albert Willemetz - Georges Thenon (alias Rip) et dont musique a été composée par Moisés Simons.
À l'origine de l'expression bien connue, elle exprimait la volonté de liberté de sa créatrice qui refusait de se plier à l'autorité de son mari, richissime roi américain du corned beef, et qui, faisant fi de son interdiction, continua à exercer son métier de saltimbanque.
Bien lui en prit, puisqu'aujourd'hui, ces quelques mots bien sentis font encore florès, comme on disait à l'époque.
Claude Lemesle en a usé
au début d'une chanson de Joe Dassin : «Si
tu chantes mon cul sur la commode / C'est gagné, t'as trouvé la méthode /
Dans six mois, tu seras à la mode / Pense pas trop, Vade retro!».
Ainsi étaient réunis en 1974 deux
grands présidents de la Sacem, Albert, l'ancien et Pierre, le futur. ***
À priori, La Biaiseuse est un hommage aux ouvrières de l'atelier de couture Paquin, des femmes suffisamment émancipées pour faire les 3/8 et donner à jaser.
On compte deux créateurs de cet exemple type du texte à double sens. Tout d'abord, Paul Marinier - compositeur et co auteur - chansonnier patenté pensionnaire du cabaret La Lune rousse, à qui l’on doit Le printemps chante, Bonsoir madame la lune, À la cabane bambou, entres autres succès. Ensuite, Léo Lelièvre – auteur – père de la Matchiche (et de 2 garçons également paroliers dont l’un signera tout simplement Léo Lelièvre fils), spécialiste en rimes coquines et … Président de la Sacem !
Nos deux acolytes écrivent pour le gratin des interprètes du moment : Mayol, Fragson, Yvette Guilbert… auxquels, pour servir joyeusement la cause de la taille en biais, viendront se joindre Annie Cordy et Marie Paule Belle quelques décennies plus tard. ***
Évoqué par des écrivains tels Balzac, Daudet, Verne, Graham Greene ou Dostoievski, Paul de Kock est le procréateur fécond de romans, vaudevilles et chansons dont la plus célèbre est Madame Arthur, la spécialiste d’un «je ne sais quoi» décoiffant et addictif (demandez à ses nombreux amants...)
C’est à Yvette Guilbert qu’il confie le double rôle de compositrice et d’interprète du destin de son héroïne. Bonne pioche. La dame est une surdouée aux multiples casquettes, rodée aux répertoires du théâtre, de la revue et du café-concert. Elle se produit aux Bouffes du Nord, à l’Eldorado, au Casino de Nice et même au Carnegie Hall de New York. Sa Madame Arthur est voyageuse et ratisse large, séduisant aussi bien Proust que Freud. Intemporelle, celle «qui fit parler, parler, parler d’elle longtemps» inspirera les reprises intelligentes de Juliette Gréco et Barbara, toutes deux femmes éprises de liberté. ***
Au siècle des lumières, les cadets des familles aristocratiques étaient destinés à l'état ecclésiastique, même s'ils étaient totalement dépourvus de vocation, ce qui était souvent le cas.
On se souvient de l'abbé Dubois, superbement incarné par Jean Rochefort dans le chef-d'oeuvre de Tavernier, «Que la fête commence», s'escrimant à «répéter» la messe à grand renfort de «Nom de Dieu de bordel de merde!...». On peut aussi citer l'abbé Prévost, bénédictin défroqué et créateur de la célèbre Manon Lescaut. L'abbé de Lattaignant, prêtre licencieux s'il en fut, était de ceux-là. Homme d'église malgré lui, libertin et libidineux par goût, il nous laisse ce succulent «Le mot et la chose» interprété, entre autres, par une Juliette Gréco allusive et alléchante à souhait. **
«Le meilleur moment de l'amour, c'est quand on monte l'escalier». Cet aphorisme attribué au Tigre, Georges
Clémenceau, explique-t-il la fascination exercée sur les auteurs par ce qu'on
a coutume d'appeler «Le plus vieux métier du monde» ?
Le romantisme de la
grimpette vers l'inconnu derrière une jolie paire de jambes a-t-il occulté
pour des générations de créateurs tout ce que pouvait avoir de sordide et,
en tout cas, de très peu joyeux le quotidien des filles de joie ? Il faut toute
la «bonhommie» de «Momo de Ménilmuche» pour faire passer ces quelques vers de
«Prosper», le mac du macadam : « Et quand sur le champ Elles ne sont pas à la page,
Voulant fermement Faire leur apprentissage, Dans une ville de garnison, Ils les
envoient en saison Faire un petit stage».
Toujours est-il que les amours fugaces et pécuniaires ont
beaucoup inspiré nos paroliers, même si quelquefois, comme l'a écrit Brel
dans une œuvre de jeunesse, «L'air de la bêtise» : «Les putains, les vraies, Sont celles qui font payer Pas
avant, mais après».
Le grand-père photographe de Claude Lemesle officiait l'été dans une petite station balnéaire du nord de la France : Onival. Toute la semaine, il se baladait sur la plage armé de son appareil et immortalisait les vacances de jeunes femmes en maillot et de leur progéniture. La légende familiale raconte que le vendredi, en fin d'après-midi, en entendant siffler la locomotive qui s'apprêtait à déposer à la gare sa cargaison de maris, il lançait d'un ton plutôt goguenard: «Tiens, voilà le train des cocus!». Son aïeul avait sans doute des raisons de l'appeler ainsi... Nous étions au cœur des années 30 et il aurait été curieux que les auteurs et compositeurs de l'époque passent à côté de l'éternel trio qui a fait la fortune des piliers du théâtre de boulevard : le mari, la femme et l'amant... **
Jean Boyer, réalisateur, scénariste et parolier, auteur, entre autres, du célèbre «Comme de bien entendu» interprété par Arletty et Michel Simon dans le film «Circonstances atténuantes», en a écrit la musique et les coauteurs, Léo Lelièvre et Henri Vantard, nous offrent un texte bien gaulois, apte à enluminer l'heure du digestif à la fin des noces et banquets.
C'est gai, c'est sans nuances, ça se chante en choeur entre «Les montagnards» et «La danse des canards».
On pense à quelques espiègleries bien senties du père Audiard telles que « Quand on mettra les cons sur orbite, t'as pas fini de tourner ». Le tout est, comme de bien entendu, de ne pas se sentir visé... **
Les parents de Léon Fourneau le rêvaient avocat à la cour. Lui se voulait auteur compositeur. Il le devint sous le pseudonyme de Xanrof, une concession à ses géniteurs effarouchés par le monde du spectacle.
Son œuvre la plus célèbre est sans conteste : «Le fiacre» qui fit scandale à sa création au point de provoquer l’urticaire du directeur de l’Eden Concert l’incitant à supprimer les couplets trop coquins à son goût.
Evocation d'un adultère assumé avec un pragmatisme préfigurant les
«femmes libérées» elle fut remarquablement distillée par Yvette Guilbert, la
taulière des diseuses. Pas étonnant donc de trouver au rayon «reprises» les
versions de ses émules : Barbara, Patachou, Colette Renard, Cora Vaucaire,
Germaine Montero …
Au masculin, ce sont Georges Brassens et Jean Sablon qui s'y colleront
avec charme et malice.
Attention pépite : «La jaguar», version yéyé de Jean Claude
Massoulier chantée par l'espiègle Marcel Amont. **
Encore un modèle de fausse rime, pour raconter les déboires d'un jeune galant qui pensait avoir affaire à une fille probe...
Fernandel, toujours parfait en gentil naïf, se laisse subjuguer, il le confesse, par de jolies...dents, dans un restaurant. Une jeune et jolie apprentie modiste, un trottin comme on les appelait alors. Son air mutin aurait du lui mettre la puce à l'oreille... Plaisir de chair ne dure qu'un temps, et la coquette finira par s'en aller, ne laissant derrière elle que des dettes. Moralité, quitte à frayer avec des filles de joie, « Moi je vous dis, il n'y a rien d'tel / Vaut bien mieux aller au... théâtre / C'est plus folâtre / Malgré que je ne sois pas puritain / Méfiez-vous de ces... souvenirs / Qui font souffrir ».
Roger Dumas à la composition, Jean Mansé à l'écriture et Fernandel en interprète, c'est un trio fécond dans les années 1930 et 1940, avec pas moins de treize films, dont Les Bleus de la marine de Maurice Cammage (1934), Barnabé d'Alexandre Esway (1938), Simplet (1942, réalisé par Fernandel) et L'Aventure de Cabassou de Gilles Grangier (1946), mais aussi l'opérette Ignace, créée à Marseille en 1935. **
Quand il s'agit d'anatomie, la langue des chansonniers sait se montrer créative. Les attributs deviennent lune ou fruits ronds et mûrs, paratonnerre, ou petit objet, habit à papa et joli fusil. Ces métaphores, parfois filées jusqu'à la corde, font le délice des oreilles des spectateurs des cabarets, se jouant de la censure tout en préservant la morale. Les mots, comme les illustrations des partitions vendues lors des entractes, évitent ainsi les fourches caudines d'Anastasie et de ses « Monsieur la censure » qui veillent alors à l'entrée des salles.
Henri Christiné, le compositeur des années folles et de Phi-phi, fait montre dans ce texte d'une créativité certaine, mais somme toute classique, pour ne pas nommer les parties intimes d'une belle jeune fille en fleur. Le galant, qui aimerait bien être son amant, se veut protecteur. Son paratonnerre peut faire face à tous les orages. Sûr de lui, il aimerait bien apprendre à l'ingénue les voluptés du jardinage intime. Fleur, bouton, jardin à arroser, la métaphore est en effet horticole. Mais l'empressement à déflorer du mâle n'a d'égale que l'ironie de Christiné. De l'impatience à l'empressement, il n'y a qu'un pas. Et la jeune fille, désormais au fait des choses de la chair, se demande : à quoi bon l'éternité avec un éjaculateur précoce ? La version Belle Époque du « 5 minutes douche comprise » d'un ancien président de la République ? *
Dans le premier tiers du XXe siècle, les minorités sexuelles s'exposent en chansons sur les scènes des music halls et des cafés concerts. Sur le ton de la dérision ou de l'ambiguité, comme l'a montré le journaliste et historien Martin Penet dans son anthologie Chansons interlopes, l'on chante l'homosexualité, qu'elle soit moquée, assumée, (à peine) dissimulée ou subversive.
Au palmarès de la contrepèterie et de la fausse rime, Le trou de mon quai occupe sans aucun doute une place privilégiée.
Cette chanson de 1906, officiellement écrite pour célébrer le percement d'une ligne de métro (la première ligne avait été inaugurée en 1900, année de l'exposition universelle et de son célèbre trottoir roulant, le 19 juillet très exactement). Paris était très en retard sur Londres dont le chemin de fer souterrain (the tube) avait été ouvert en 1863 !
Les joyeux auteurs, Jules Combe (rien à voir avec le «petit père» qui avait scellé, l'année précédente, la séparation de l'église et de l'Etat) et Paul Briollet avaient concocté sur une musique de Désiré Berniaux cet équivoque délire métropolitain.
Le cher Dranem, as du café-concert façon comique- troupier, en faisait des tonnes pour le bon public de la belle époque qui ne boudait pas son plaisir en entendant le tourlourou lancer d'une petite voix haut-perchée «Y a un quai dans ma rue/ Et y a un trou dans mon quai».
Si vous ne trouvez pas l'enregistrement de l'excellent Charles Armand Ménard (véritable patronyme du chanteur), écoutez la savoureuse reprise des Charlots. **
Casimir Oberfeld, un des très grands compositeurs des années folles, a eu un destin tragique. Il a en effet été victime de la barbarie nazie en 1945, dans l'épouvantable marche à la mort entre le camp d'extermination d'Auschwitz et Prelouc, en république tchèque.
Il est, à ce jour, la seule
personne à reposer dans le caveau de la Sacem, au cimetière Montmartre. Or,
cet homme qui a connu une fin effroyable a passé sa vie à créer avec ses
paroliers des chansons pleines de joie et d'humour. C'est avec ses deux
complices de «Félicie aussi», Charles Pothier et Albert Willemetz, qu'il a
concocté ce titre équivoque à souhait et l'interprète, Maurice
Chevalier, n'hésite pas à prendre certaines intonations pour contrefaire les
jeunes filles ou - qui sait ? - certains jeunes gens.
Selon votre humeur, vous
pourrez trouver ça très léger ou un peu lourd. Toujours est-il que l'on sait
gré à monsieur Oberfeld qui, par delà sa disparition dramatique, nous fait le
cadeau d'un sourire, émouvante générosité posthume ! **
Au début du XXe siècle, l'homosexualité est, déjà, un sujet de dérision et de moquerie. Et sur ce point, la chanson n'est pas en reste...
L'homme efféminé, tout un sujet qui alimente couplets et fantasmes
d'avant-guerre. Charmant, maniéré, tous les clichés de la « folle » y
passent. Et les trois acolytes Titi, Toto et Patata de la chanson de
Gaston Ouvrard en sont, comme Le p'tit rouquin du faubourg Saint Martin
de Fortugé, ou encore Dranem dans Je m'aime, de parfaits exemples.
Ici,
pas d’ambiguïté, l'autre approche classique du sujet. Les trois joyeux compères
se rient de la morale, s'assument et s'exposent dans le Paris des années
folles : « Ils poussent des « hou !», ils font des
« ha !» / Des chichis, des esbroufes et des tas de flaflas / Il faut
les voir sur le boulevard / Se tortiller gentiment en faisant des petits
pas ». *
Chanter l'amour et les émois, c'est charmant, mais la chanson sait aussi se faire apologie du sexe et des multiples manières de s'y adonner. Masturbation, fellation, libertinage et échangisme sont aussi de la partie. De façon détournée mais très libre, les mille et une façons de se faire plaisir sont mises en mots et en musique, pour le plus grand plaisir (coupable?) des oreilles tout aussi chastes qui écoutent.
Quand un président de la Sacem se montre coquin, cela donne cet hommage aux attributs et au savoir faire de la femme pour réchauffer les maris engourdis. Octave Pradels, poète, romancier, chansonnier, et également président de la Sacem de 1895 à 1898, conte ici les affres d'un pauvre mari, que le froid a saisi !
Mais surtout les trésors d'ingéniosité trouvés par sa femme pour réchauffer ce pauvre doigt gelé, qu'aucune chaleur ne semble vouloir faire revenir à la vie... Tout y passe, l'eau, le chaud, le froid, mais rien n'y fait. Jusqu'à l'idée lumineuse de prodiguer à l'appendice un massage adapté, puis de tenter l'ultime effort, en s'exilant dans la chambre. Moralité, pour raviver la flamme, il n'est pas besoin d'aller chercher le feu dans un autre foyer, car « cet élément du diable / Peut vous rendre un peu votre essor / Mais le cul d'une femme aimable / Est mille fois plus chaud encore ».
Faut-il y voir une ode déguisée à la masturbation et la sodomie ? À chacun de se faire son avis ! *