exposition
Une artiste aux multiples talents : compositrice, pianiste, pédagogue
Comment ne pas rendre hommage à Odette Gartenlaub, femme, compositrice, pianiste, pédagogue, autant de définitions à resituer dans le temps, pour comprendre l’importance de cette artiste et la nécessité absolue de faire perdurer son œuvre et sa mémoire …
Elle aurait eu cent ans ce 13 mars 2022. Si son absence physique est indéniable, Odette Gartenlaub nous a laissé une œuvre suffisamment grande pour ne finalement jamais disparaître. Elle est à la pédagogie, au solfège et à la musique ce que la recherche est à la médecine : un trésor indispensable, une contribution indiscutable. Il n’est pas surprenant de voir encore aujourd’hui combien ses anciens élèves se mobilisent pour faire perdurer son œuvre. Ou comment les conservatoires nationaux ne peuvent se passer de ses techniques pédagogiques révolutionnaires.
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Odette Gartenlaub est née le 13 mars 1922 de parents juifs originaires d’Europe centrale. Son père était bijoutier horloger, Jacques Gartenlaub, sa mère Polly Gartenlaub, une passionnée d’Opéra. C’est grâce à elle qu’elle développe un attachement particulier pour la musique.
Toutes deux se rendaient régulièrement à la Gaîté Lyrique pour assister à des spectacles d’opérettes. Du haut de ses six ans, reprenant alors l’Air des Clochettes de l’opéra Lakmé, un client de son père l’entend et conseille immédiatement aux parents de l’inscrire au Conservatoire.
Elle entre à 9 ans en classe de solfège au Conservatoire de Paris. Elle obtient rapidement sa première médaille. C’est au départ en tant que chanteuse qu’elle s’envisage.
Suite à trop d’efforts dans les aigus, elle s’abîme la voix et décide d’entrer en classe préparatoire de piano enseignée par Jeanne Chapart, puis dans la classe supérieure de Marguerite Long.
À seulement 14 ans elle obtient le Premier Prix à l’unanimité, en jouant les Variations sérieuses de Mendelssohn, une Étude transcendante de Liszt et le troisième Scherzo de Chopin. Sa relation avec Marguerite Long, professeure de piano connue pour être exigeante, se solde mal. Elle est alors repérée par Lazare-Lévy, qui décide de la prendre sous son aile. Son enseignement est en totale opposition de celui reçu précédemment, elle se découvre et s’épanouit complètement. Sont-ce ces différentes méthodes d’apprentissages, cette vision complète, qui ont fait d’elle la grande artiste qu’elle est devenue ?
A 15 ans, elle est lauréate du premier concours International Gabriel Fauré. Puis entre en tant que soliste à la Société des Concerts du Conservatoire, jouant la « très exigeante techniquement » Wanderer Fantasie de Schubert, orchestrée par Liszt, sous la direction de Gustave Cloëz (élève-lui aussi de Lazare-Lévy).
De concertiste, elle décide de passer à la composition (à ses 10 ans elle avait déjà commencé à écrire !). Elle suit donc la classe d’harmonie enseignée par André Bloch, dans laquelle elle remporte un Second Prix, puis d’histoire de la musique, dont un des professeurs, Louis Laloy, n’est autre qu’un ami intime de Debussy, puis encore la classe d’harmonie avec Olivier Messiaen qui succédera à André Bloch.
La guerre éclate, les lois antisémites du gouvernement de Vichy tombent, elle est renvoyée du Conservatoire en 1942. Motif ? Elle est juive.
« Que voulez-vous, j’ai été renvoyée, nous avons tous été renvoyés en même temps, mes camarades et moi. Le Conservatoire de Paris est le seul établissement d’enseignement supérieur de France qui a renvoyé la totalité de ses élèves et professeurs juifs pendant la guerre. Tout de même, ce n’est pas rien » (entretien de 2004).
Elle adhère à la Sacem le 24 septembre 1946 en qualité de compositrice, avant d'en être nommée sociétaire définitive le 23 mai 1956.
À la Libération, Messiaen lui propose de réintégrer son cours au Conservatoire, puisqu’elle en a « le droit ». Mais cette formule ne lui convient guère, elle préfère alors suivre les cours de compositions d’Henri Büsser et Darius Milhaud. Quel bien lui en a pris. En 1948, Odette Gartenlaub remporte le Premier Grand Prix de Rome ! Elle est à cette époque la cinquième femme seulement à obtenir ce prestigieux sésame.
Elle passera 3 ans dans la Villa Medicis, à travailler, créer, dans des conditions exceptionnelles. « J’ai fait là-bas la connaissance du compositeur Goffredo Petrassi (1904-2003), qui me donnait bien volontiers son avis sur mes œuvres en cours »
Elle écrit beaucoup à Rome mais garde peu de pièces. Ça ne fait que souligner l’exigence qu’elle s’inflige !
Elle écrit entre 1955 et 1959 trois de ses plus grandes œuvres. Concerto pour flûte et orchestre, une commande de l’État, puis Concerto pour piano et orchestre sous la direction de Désiré Inghelbreht et Espace Sonore pour petit orchestre et deux voix en vocalises, une commande de la RTF en 1959.
C’est également cette même année qu’elle épouse le compositeur Bernard Haultier. Ils auront une fille Pascale.
D’autres œuvres viennent compléter le tableau. En 1967, elle enregistre Les Caractères de La Bruyère, en 1981 Trois Caractères pour trombone et orchestre à cordes
À son retour de la Villa Medicis, au début des années 1950, Odette Gartenlaub développe sa carrière pianistique en solo, avec notamment l’enregistrement de plusieurs concertos avec l’Orchestre National, ou en musique de chambre avec le Trio de Paris, et quelques-uns des meilleurs instrumentistes ou chanteurs de l’époque, comme Christian Ferras ou Irène Joachim.
Elle enregistre les deux sonates pour clarinette de Brahms avec Guy Deplus, un magnifique disque de pièces pour piano solo de Debussy, ou encore les mélodies de Debussy avec Flore Wend qui lui vaudra le Grand Prix du disque.
On peut également l’entendre au cinéma, dans plusieurs films de son ami Georges Delerue ou de Bertrand Blier, Trop belle pour toi, par exemple, où elle interprète Schubert.
Odette Gartenlaub cumule les talents : professeur de déchiffrage, de pédagogie musicale, de solfège …
Elle a révolutionné cet enseignement souvent considéré comme cloisonné ou trop éloigné d’un enseignement musical. Elle choisit de le penser comme en lien total avec la musique et l’instrument : « Faire de la technique avec la musique, dans la musique » aimait-elle à dire. Toujours d’actualité et très utilisés, cinq volumes de Préparation au déchiffrage pianistique et six cahiers de Préparation au déchiffrage instrumental, continuent d’accompagner les élèves sur la voie de l’apprentissage de la musique.
À la demande du ministère de la Culture, Odette Gartenlaub mène une réflexion et porte une réforme sur l’enseignement du solfège, qu’elle préfère nommer « retour aux sources ». Elle estime qu’apprendre le solfège pendant deux années, avant même de pouvoir toucher un instrument, est une aberration totale. Elle dirige donc en suivant la classe de pédagogie de « Formation Musicale » (qu’elle préfère au mot « solfège ») de 1976 à 1988, et encore associé à son nom aujourd’hui.
« Faire ses débuts musicaux dans Bach ou Mozart procure infiniment plus de joies. Sans pratiquer un cours spécifique « d’histoire de la musique », il faut parler aux élèves du compositeur au cours de l’étude d’un texte. Il y a tellement de choses à apprendre avec la musique ! Le bénéfice pour l’élève, c’est aussi qu’il voit immédiatement l’utilité de son apprentissage solfégique. Sinon, c’est comme s’il apprenait une langue sans la manier. »
Elle s’est également essayée au jazz en collaboration avec Jack Diéval, alors administrateur de la Sacem à cette époque.
Elle a collaboré avec le poète Maurice Carême, fait des illustrations sonores pour une série d’émissions sur France Culture consacrées au poète Henry James …
Ce n’est ni une vie facile ni toute tracée qu’Odette Gartenlaub a traversée, loin s’en faut. Pourtant le parcours fut exceptionnel… Cette brillante carrière elle ne la doit qu’à elle-même et à son talent, car l’Histoire (avec un grand H), celle que nous voudrions réécrire autrement, n’aura pas manqué de lui mettre quelques bâtons dans les roues.
Peu importe, Odette est passée à travers, nous laissant un répertoire immense. À ses débuts très académique, elle explore, expérimente, se remet en question et glisse rapidement vers une forme de liberté, faisant d’elle une grande artiste du XXème siècle.
Femme, juive, compositrice de musique classique… Cet hommage est incontestablement mérité. Décédée en 2014, l’immense artiste laisse derrière elle œuvre majeure. Tous les conservatoires peuvent en témoigner !
Célyne DF Mazières