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Michel Berger


Des hits, Michel Berger en aura laissé un très grand nombre de son vivant : à la fois pour de grands interprètes de son temps qui ont profité de sa touche magique (France Gall, Françoise Hardy, Daniel Balavoine, Johnny Hallyday…) mais aussi pour lui qui connut comme chanteur un immense succès sur le tard.

Brutalement disparu le 2 août 1992, à l’âge de 44 ans, Michel Berger a marqué de son empreinte la chanson française des années 70 à 90, dont l’influence résonne encore trente ans plus tard auprès de la jeune génération d’artistes qui a bien compris son importance capitale.

Auteur, compositeur, interprète, il s’impose aujourd’hui comme le génial visionnaire qui a su, à l’instar de Serge Gainsbourg, moderniser la variété par son amour de la pop anglo-saxonne, de la soul, du rock et du jazz, tel un équivalent « plus raisonnable » de l’homme à tête de chou. Son image parfois lisse et faussement sage ne saurait faire oublier à quel point il modernisa la production.

En assumant ses larges influences, ce surdoué a pu élever ses ambitions et exceller dans l’écriture, la composition ou les arrangements, dans ses chansons ainsi qu’à travers des comédies musicales populaires dont il a réinventé le genre.

Parti trop tôt, il a traversé une existence parsemée de drames et d’épisodes douloureux qui ont conféré à certaines de ses chansons une profondeur de champ unique dans le paysage hexagonal de la fin des années 70. De ses amours passionnels ou contrariés, de son rapport douloureux à sa famille, il sortit souvent le cœur brisé mais avec une foi inébranlable en la musique, cette lumière comme inextinguible qui l’aura guidé toute sa vie sans jamais le trahir. Un Berger dont l’étoile brillera à jamais sur la chanson d’ici.

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« Au début des années 1980, Michel cherchait à former une équipe de musiciens, comme une garde rapprochée. Lui comme moi étions fans de synthé – à l’époque nous n’étions que quelques pionniers à Paris. J’ai été contacté pour intégrer le groupe, au clavier. Les années 1980 ont été un réel tournant lors duquel la création d’arrangements se faisait dorénavant en groupe. Chaque musicien était libre de proposer ses idées musicales pendant les séances d’enregistrement. Avec Michel, on travaillait en réelle collaboration, en groupe, on construisait les arrangements ensemble, chaque musicien amenait ses idées. C’est un château qui s’échafaude et ensemble, nous adorions travailler de cette façon. Si ça lui plaisait il esquissait un sourire, si ça n’allait pas, il bougonnait ! Michel était un compositeur inspiré. Pour France Gall et Johnny, il faisait du cousu main ! Quand il écrivait pour eux, c’était simple pour lui et le résultat était génial. Sa disparition fut un énorme choc. Pudique et brillantissime, Michel reste à jamais un génie de la création musicale. » 
Serge Perathoner, compositeur, Président du Conseil d’administration de la Sacem

NÉ DANS LE BAIN DE LA CULTURE


Photo d'identité de Michel Berger, 1964 (c) Archives Sacem
Photo d'identité de Michel Berger, 1964 (c) Archives Sacem

Cadet d’une famille aisée, de son vrai nom Michel Jean Hamburger, Michel Berger voit le jour le 28 novembre 1947 à Neuilly-sur-Seine. Son père Jean est un professeur de médecine de renom spécialisé en néphrologie. De sa mère Annette Haas, pianiste-concertiste, il hérite très vite du goût prononcé pour la musique. Dans le salon familial trônent deux pianos à queue, l’un qu’elle utilise, le second devenant vite celui de Michel, d’autant que sa grand-mère maternelle, elle-même pianiste, se charge de lui en enseigner la pratique.

De ses parents convertis au protestantisme, il reçoit une éducation stricte et athée. Il suit ses études sans passion mais avec application, tout en développant ses goûts musicaux. L’apprentissage du piano l’ouvre au monde des compositeurs classiques, de Mozart à Ravel, tandis que ses goûts personnels l’attirent parallèlement vers le jazz.

Atteint d’une tuberculose foudroyante, son père subit en 1953 une opération qu’il dirige lui-même et pour laquelle il refuse une anesthésie. Il en ressort amnésique, perdant en particulier tout souvenir de sa femme et de ses enfants. C’est en tout cas ce qu’il prétend, sans qu’on sache s’il profite de la situation ou a subi un choc cérébral. S’il coupe brutalement tout lien avec sa famille qu’il ne veut plus reconnaitre, il poursuivra sa brillante carrière dans la médecine. Pour le petit Michel, seulement six ans et demi, cette disparition sans aucune explication provoque un traumatisme qui le marquera à vie.

UNE ENTRÉE PRÉCOCE DANS LA CHANSON

Suivre sérieusement ses études n’empêche par le jeune Michel de laisser toujours plus entrer la musique dans sa vie, au point de la vivre pleinement. Avec des copains du lycée Carnot, il compose ses premiers morceaux. En parallèle, sa culture ne cesse de s’enrichir. À côté des cours de piano qu’il continue de prendre, il envie le lâcher-prise qu’incarne Ray Charles ainsi que le vent nouveau que font souffler les jeunes générations d’artistes venus du Royaume-Uni et des Etats-Unis. Chaque fin d’après-midi, comme beaucoup d’adolescents français entre 12 et 15 ans, le petit Michel est fidèlement devant son poste pour l’émission Salut les Copains, radiodiffusée sur Europe 1.

Il y découvre les pionniers du rock’n’roll américain, le furieux écho renvoyé par le pop-rock d’outre-Manche, ainsi que leurs correspondants plus ou moins réussis que propose la France. Qu’importe que l’on soit aux prémices d’une nouvelle ère, Michel se nourrit de l’insouciance et du parfum de liberté qui flottent durant ce moment charnière du passage de la décennie 50 à 60. La lumière semble enfin passer dans les horizons bouchés de son quotidien.

Son ciel s’éclaircit totalement avec l’annonce passée par les studios Pathé Marconi pour un appel à audition de jeunes talents. Michel s’y rend avec ses deux copains. Après qu’ils aient interprété leurs quatre chansons, le jeune chanteur et pianiste se voit proposer un contrat. Sa mère accepte moyennant la poursuite de ses études jusqu’au baccalauréat. Michel transforme alors son nom pour oublier celui qui lui a valu tant de moqueries – et qu’il préfère laisser à son père. Nous sommes en 1963, Michel Berger a 15 ans mais vient en réalité de naître, en tout cas artistiquement.

CHEZ LES YÉ-YÉ


En ce début d’années 60, la vague yé-yé déferle sur la France qui en réclame toujours plus. Traduction maison et quelque peu inoffensive du modèle pop-rock, elle engendre son lot de nouvelles vedettes - Johnny Hallyday, Danyel Gérard, Frank Alamo, Dick Rivers et ses Chats Sauvages, Richard Anthony, Sylvie Vartan… - de tubes, et ouvre l’appétit des maisons de disques. En vue de profiter de son contrat avec un premier single, Michel Berger se plie à l’air du temps, mais à sa façon. En deux titres, Tu n’y crois pas et Amour et soda, il en livre une version où la légèreté du genre cède la place à une gravité directement héritée de son éducation et de son parcours, bien qu’il n’ait que 16 ans, comme sa voix encore juvénile l’indique.

Bien que ce premier essai ne rencontre aucun écho public, il permet au chanteur d’être invité dans l’émission Salut les Copains, avec diffusion tout au long de la semaine, ce qui a pour effet de le faire grimper au hit-parade. Dans la foulée, l’incontournable mensuel du même nom lui consacre un long article illustré de portraits signés Jean-Marie Perier, le photographe du moment.

La célébrité naissante ne lui monte pas pour autant à la tête. Le jeune homme entend continuer à mener de front sa carrière et ses études, prenant la première comme le principal passe-temps au beau milieu des secondes, bien loin de l’image de rébellion ou de la réputation sulfureuse que traîne déjà le rock. Michel prend son temps et mène pour l’heure sa carrière à son rythme. Il adhère à la Sacem en qualité de compositeur le 19 novembre 1964, puis d'auteur le 6 mai 1966.

YÉ-YÉ MALGRÉ LUI

De 1963 à 1966, Michel Berger sort sept 45 tours quatre titres, qui ne rencontrent que peu de succès, en dépit d’une première apparition télévisée dans l’émission Discorama où il interprète La camomille, chanson doucement dirigée contre l’ambiance corsetée de son milieu social. L’occasion d’y croiser une autre débutante qui fait aussi ses premiers pas au petit écran : France Gall.

En juin 1966, Michel apparait au milieu de quarante-six artistes réunis dans le poster central du numéro anniversaire de Salut les copains. Plus tard surnommée « photo du siècle », Jean-Marie-Perier a réussi à y réunir des vedettes du moment en dépit de l’emploi du temps chargé de chacune, parmi lesquelles Johnny Hallyday, France Gall, Serge Gainsbourg, Sylvie Vartan, Claude François, Eddy Mitchell ou Danyel Gérard.

D’autres filles, Vous êtes toutes les mêmes, A quoi je rêve, Me débrouiller, Jim s’est penducertains des titres de Michel Berger révèlent une part du mal-être et des questionnements du jeune homme qu’il est encore, bien que ses musiques restent ancrées dans cette période de twist et de danse gentiment frondeuse. Face à cette mode à laquelle il se voit associé sans s‘y reconnaitre, devant ce public qui n’est pas au rendez-vous d’un début de carrière qu’il mène sans pression, peut-être est-il temps de reprendre sa liberté afin de se donner les moyens de ses ambitions. Toujours autant passionné de musique, il admire des artistes et des chefs d’œuvres que le rock et la pop produisent en ce milieu des années 60. En 1966, Michel Berger met provisoirement un terme à sa carrière de chanteur.

DÉTECTION DE TALENTS ET PRODUCTION


En retrait du cercle bouillonnant des jeunes interprètes et prétendants vedettes, Michel reprend le chemin des études qu’il n’a en réalité jamais quitté. Des bancs du lycée, il passe à ceux de l’université Paris-Nanterre pour des études de philosophie. Il y décroche en mai 1968 sa maîtrise pour laquelle il rédigé un mémoire, l'Esthétique de la pop musique, dans lequel il se livre à une étude comparative des deux derniers albums de Jimi Hendrix : Are You Experienced et Axis: Bold as Love

Acceptant un poste de directeur artistique dans la maison de disques Pathé Marconi, son rôle consiste à détecter et produire de jeunes talents prometteurs de la chanson. À défaut de dénicher la perle rare, Michel s’attèle à répondre à des demandes de chansons, travaillant ainsi pour Bourvil (Les girafes), Georges Guétary, Patricia (Quand on est malheureux), Cécile Valéry, ou encore Monty (Les petites filles de 1968).

Devant le peu d’écho que reçoivent ses compositions, Berger multiplie les commandes, y compris sous pseudonyme. C’est derrière celui de Michel Hursel qu’il signe « Adieu jolie Candy », slow de 1969 interprété par Jean-François Michael, qui s’écoule à plus de cinq millions d’exemplaires. 

Le succès continue avec Vanina Michel, rôle principal féminin de la comédie musicale « Hair », dont il écrit et réalise en 1969 le premier 45T, « Dans la ville de Katmandou ». La fin des années 60 voit Michel Berger se hisser dans la cour des grands.

JESUS, UN COUP QUI RAPPORTE GROS !

Alors que l’heure est aux cheveux longs, à l’esprit hippie et aux chansons flower-power, les maisons de disques françaises veulent leur hit en anglais. Pour Michel Berger, l’occasion se présente quand Helmuth Grabher, un musicien autrichien installé à Paris, rencontre dans le métro un imprésario en quête d’interprètes anglophones. Un texte écrit par Jacques Barouh, alias Jean Darcelle, est adapté en anglais, qui mélange ferveur religieuse et allusion aux drogues douces du moment. Quant à Michel Berger, qui signe sous le nom de Mike Hamburger pour sa consonance british, il en assure la composition et la réalisation.

Pour la chanson Jesus parue en 1971, le nom et l’identité de Grabher sont tenus secrets, le premier remplacé par celui de Jeremy Faith, auquel est associé le St Matthews Church Choir And Orchestra, formation qui en impose bien que sortie de l’imagination des instigateurs du projet. Le tout colle à merveille avec le mysticisme de la pop gospel, des comédies musicales et de l’esprit libéré de la jeunesse du moment.

La chanson devient un tube et grimpe dans les hit-parades à tel point qu’un album, Lord, est enregistré dans la foulée, comportant des titres qui poussent le bouchon encore plus loin : You Are My Lord J., Lord Speak To Me, ou encore Thanks My Lord : divin ce succès !

L’ÉCLOSION DE L’ARTISTE


La pause qu’il s’est accordée permet à Michel de prendre du recul sur son rapport au métier, et de prendre conscience de l’évolution du paysage musical.
Un séjour aux Etats-Unis le met en prise avec les avancées permanentes de la pop et du rock, des genres encore jeunes mais qui livrent des œuvres de plus en plus riches et complexes. Cela le conforte dans son ambition d’embrasser les différents univers qu’il affectionne et sur sa situation : non seulement avance-t-il bien dans le sens de l’histoire mais c’est son propre pays qui accuse du retard. C’est avec une foi nouvelle qu’il se lance dans un concerto pour piano, groupe pop et orchestre symphonique, inspiré de l’album Concerto for Group and Orchestra enregistré en 1969 par le groupe de hard rock anglais Deep Purple avec le Royal Philharmonic Orchestra. Classique et populaire ne sont pas incompatibles et ne demandent même qu’à être associées.

Sa démarche se concrétise avec Puzzle, son premier album paru en 1971, une œuvre entièrement instrumentale sur laquelle il se fait assister de Michel Bernholc, pianiste et arrangeur qui lui restera fidèle.
Cuisant échec commercial, il dévoile toutes ses qualités nouvelles de compositeur et s’inscrit dans les monuments maudits de la scène française, à l’instar de l’album Lux Eternae de William Sheller. Pour Berger, Puzzle marque aussi le passage du compositeur et de l’artiste à l’âge adulte : loin des préjugés familiaux, débarrassé de l’image contrainte du jeune yé-yé, il va enfin pouvoir profiter de la liberté qu’il s’est lui-même offerte, quittant même sa maison de disques EMI pour de nouvelles aventures.

L’AMOUREUX INSPIRÉ

En 1971, Michel Berger passe dans le camp d’une autre major du disque : WEA, dont il devient directeur artistique. Sur le label Elektra, il signe celle qui partage alors sa vie, Véronique Sanson. Il produit ses deux premiers albums : Amoureuse, inspiré du fruit de leur amour, et De l’autre côté de mon rêve, imprégné de l’attirance de Sanson pour un autre homme. Tous deux parus en 1972, ils lancent brillamment la carrière de la chanteuse, autrice-compositrice et pianiste.

Quand Véronique Sanson le quitte, Michel trouve l’inspiration pour un retour au chant sur un album à la pochette occupée par un immense cœur rouge brisé en deux, ses moitiés séparées par un point d’interrogation. Sobrement nommé Michel Berger, il contient des premières chansons marquantes comme Donne-moi du courage, Attends-moi et Pour me comprendre

C’est avec le suivant, Chansons pour une fan, qu’il décroche son premier hit personnel avec Écoute la musique (Quelle consolation fantastique). Entre temps, il a retrouvé France Gall, qui apparait sur l’album. C’est le début d’une immense histoire d’amour et d’une nouvelle collaboration pour Michel Berger, d’abord réticent puis finalement prêt à relever le défi d’élever le niveau de production de sa petite amie. Leur histoire musicale démarre en fanfare avec l’immense tube La Déclaration d'amour, écrit et composé par Michel Berger, paru en single en 1974, puis sur l'album France Gall de 1976, qui contribue à amorcer la seconde vie musicale de la chanteuse.

STARMANIA, MÈTRE-ÉTALON DE LA COMÉDIE MUSICALE

Michel Berger souhaite investir un champ qu’il adore chez les anglo-saxons : la comédie musicale, et plus particulièrement, l’opéra-rock. En 1976, il rencontre le Québécois Luc Plamondon, auteur pour la chanteuse Diane Dufresne. Tous deux se mettent au travail et donnent naissance à Starmania, première comédie musicale française originale là où de précédents succès comme Hair ou Jesus-Christ Superstar résultaient d’adaptations de succès américains. La répartition du travail est simple : l'histoire est signée Plamondon, la musique Michel Berger. Le pitch ? À l’aube du troisième millénaire, une histoire d’amour impossible dans un univers où règnent totalitarisme et terrorisme...

Présenté en avril 1979 au Palais des Congrès à Paris, le spectacle compte 40 chanteurs, danseurs, musiciens et choristes, dans une mise-en-scène digne des productions de Broadway. Aux côtés de Daniel Balavoine dans le rôle principal figurent France Gall, Diane Dufresne, Nanette Workman, Etienne Chicot ou encore Fabienne Thibeault. Starmania connaitra au fil des décennies de multiples reprises avec d’autres comédiens et metteurs en scène, ainsi que des adaptations à l’étranger.

Vendus à plusieurs millions d'exemplaires, les albums studio et live issus de la comédie musicale deviennent tout aussi cultes, propulsés par d’énormes tubes dont Le blues du businessman, Quand on arrive en ville ou Le monde est stone. L’association Berger Plamondon fonctionne à merveille. En 1990, les deux referont des étincelles avec La légende de Jimmy, opéra-rock mis en scène par Jérôme Savary qui ne connaitra pas le même succès.

L’EMPREINTE SUR LA CHANSON 80’S


La décennie 80 reste à jamais en France celle de Michel Berger, à côté de grands artistes comme Renaud, Johnny Hallyday, Alain Souchon, Daniel Balavoine, Maxime le Forestier, Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman. 

Par son approche réunissant pop, rock et classique, et ses oreilles constamment à l’écoute des productions les plus inventives venues d’outre-Manche et d’outre Atlantique, Michel Berger se pose sans le savoir en intermédiaire parfait entre les générations de la variété, et celle, naissante, de la french pop, d’où émergent alors Etienne Daho, les Rita Mitsouko ou Niagara. Pianiste habile et accompli, Michel Berger n’est pas pour autant opposé à une approche modernisée du studio.

En témoigne la grande quantité d’œuvres qu’il laisse de cette décennie, à l’image de l’album Beaurivage (1981) avec son tube Mademoiselle Chang, ou de Voyou (1983), sur lequel il utilise pour la première fois un synthétiseur, album qui compte les célèbres Voyou et Les Princes des villes.
Par ses ambitions parfois trop élevées, il y vit aussi des demi-échecs comme Dreams in Stones (1982), album en anglais enregistré dans des studios américains avec des musiciens renommés parmi lesquels des membres du groupe Toto, œuvre qu’il ne transposera pas en opéra-rock tant ses ventes furent décevantes.

ANNÉES 80, ANNÉES BERGER

Entre 1980 et 1990, Michel Berger publie trois albums parmi ses plus marquants, qui contiennent certains de ses plus grands succès.

Beauséjour (1980)

Boosté par le succès de La Groupie du pianiste, l’un des hits de l'été 80 resté parmi ses compositions les plus célèbres, son sixième album studio le porte au sommet en tant que chanteur. D’autant que ce n’est pas son seul atout puisque d’autres tubes suivent, comme Celui qui chante et Quelques mots d'amour. En un album, Michel Berger conquit le cœur de la France.

Différences (1985)

Hit de ce dixième album, Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux révèle une autre facette de Michel Berger, celle de l’homme investi dans des causes humanitaires, en particulier engagé pour les opérations Action Ecoles et en faveur de l’Ethiopie, dans la droite ligne de la prise de conscience d’artistes anglais (Bob Geldof) et français (Renaud, Balavoine, Coluche…)

Ça ne tient pas debout (1990)

Depuis Différences et surtout, la disparition de ses amis Coluche et Daniel Balavoine, Berger se consacre à la carrière de France Gall. Rompant le silence, son onzième et dernier album se pose comme une œuvre crépusculaire traversée par son ultime hit, Le Paradis blanc, chanson évoquant la tentation de la disparition face aux malheurs et à la complexité du monde.

DES SUCCÈS PAR PROCURATION

Durant toute sa carrière, Michel Berger semble avoir trouvé son équilibre entre son travail pour lui et celui réalisé pour d’autres. Son éclosion comme chanteur à l’orée des années 70 suit directement les deux albums qu’il produit pour son amoureuse d’alors, Véronique Sanson. La passion l’inspire, lui fait gravir des montagnes. Amoureuse et De l’autre côté de mon rêve, restent des albums qui frappent par l’audace de leur production d’envergure internationale. Le désespoir l’inspire tout autant, y compris quand la chanteuse le quitte. Une alchimie douce-amère qui séduit Françoise Hardy, elle-même dans une relation complexe avec Jacques Dutronc, qui donne naissance à Message Personnel, chanson inoxydable dans laquelle chaque amoureux éconduit se reconnaitra.

Sa relation professionnelle avec France Gall est plus prolifique. Pour elle, il compose La déclaration d’amour en 1974, et produit tous ses albums de 1975 à 1992, date de sortie de Double Jeu leur unique disque en duo. Avec Michel Berger, France Gall enregistre son premier véritable album studio. L’ex-chanteuse yé-yé entame la partie plus mature de sa carrière, enchainant un nombre phénoménal de tubes : Si, maman si, Il jouait du piano debout, Résiste, Débranche, Diego libre dans sa tête, Babacar, Ella, elle l'a, Viens, je t'emmène ou Évidemment, extraits des six albums qu’il a amoureusement concoctés.

Son autre immense réussite reste l’album de 1985 de Johnny Hallyday qu’il écrit et réalise. Succès critique et public, Rock’n’Roll Attitude marque le retour au premier plan de Johnny qui y grave certaines de ses chansons éternelles comme Le chanteur abandonné ou Quelque chose de Tennessee.

LE TOUCHE-À-TOUT DE LA MUSIQUE

De par ses goûts éclectiques, son ouverture aux autres artistes et son excellence en studio, Michel Berger a œuvré en dehors du seul cadre de la chanson. Dès la fin des années 60, il nourrit son quotidien de compositions de musiques d’illustrations sonores. En 1972, il signe la musique d’une publicité pour la boisson Orangina que réalise Jean-Jacques Annaud. L’âge d’or des émissions de variétés télévisées lui donne l’opportunité d’écrire le scénario, les chansons et les thèmes d’Émilie ou la Petite Sirène 76, un conte musical librement inspiré de La Petite Sirène d’Andersen où jouent Eddy Mitchell, France Gall, Christophe et Françoise Hardy.

Par la suite, son appétence pour la comédie musicale l’amène à concevoir des chansons qui s’inscrivent dans un cercle narratif commun. Dès 1970, il travaille pour le cinéma, signant la musique de Mektoub d'Ali Ghalem, puis de Sérieux comme le plaisir (1975) de Robert Benayoun, Tout feu, tout flamme (1982) de Jean-Paul Rappeneau et Rive droite, rive gauche (1984) de Philippe Labro.

Tenté par un passage derrière la caméra, il réalise deux clips pour France Gall, Babacar en 1987 et Papillon de nuit l’année suivante, des tentatives qui laissent présager d'une soif de diversification qui restera sans suite.

UNE VIE D’AMOURS ET DE DRAMES

Jamais guéri de l’abandon de sa famille par son père, Michel Berger revit cette sensation lorsque Véronique Sanson, avec laquelle ils forment le couple parfait de la chanson, le quitte soudainement pour l’artiste américain Stephen Stills. Si elle donne naissance à une collaboration encore plus fructueuse, son histoire d’amour avec France Gall démarre en 1974 et se scelle par un mariage le 22 juin 1976. De leur union naissent deux enfants, Pauline et Raphaël.

En 1982, Jean, frère ainé de Michel, décède des suites d’une sclérose en plaques. Quatre ans plus tard, il est cette fois frappé par la disparition d’amis très proches comme Daniel Balavoine et Coluche, tous deux victimes d’accidents. Bien qu’il n’évoque pas ses drames lors de ses apparitions publiques, ses proches ressentent à quel point il en sort profondément affecté.

Le 2 août 1992, Michel Berger décède d’une crise cardiaque.

UN HÉRITAGE FLORISSANT


Michel Berger laisse derrière lui une œuvre monumentale, autant par ce qu’il a offert aux autres interprètes que ce qu’il a bâti pour lui-même. Mais l’un ne va pas sans l’autre. De son vivant, il a lancé, voire même relancé des carrières, qui ont alors pris un tour différent à travers des chansons qui portent sa patte. Logique que l’on retrouve France Gall autour de nombreuses initiatives pour faire vivre le répertoire de son mari, à commencer par la tournée pour Double Jeu qu’elle assura seule.

À travers ses comédies musicales, il a aussi fait porter son univers par d’autres voix pour des chansons qui ont traversé les âges. Depuis le début des années 2000, les émissions de télécrochet se régalent de ses compositions sur lesquelles les chanteurs amateurs s’exercent, comme Grégory Lemarchal qui reprit SOS d’un terrien en détresse.

L’année de sa disparition, Céline Dion interpréta la chanson de la comédie musicale Ziggy (Un garçon pas comme les autres), tandis que Starmania lui survit, repris par Lewis Furey qui remporte le prix du meilleur spectacle musical aux Victoires de la musique de 1994. En 2009, France 2 célèbre les 30 ans de Starmania avec une émission spéciale qui réunit Lara Fabian, Catherine Ringer, Julien Doré, Christophe Willem et Nolwenn Leroy. En 2017, TF1 lui rend hommage avec un concert symphonique où se succèdent Christophe Willem, Élodie Frégé, Isabelle Boulay, Marina Kaye, Nolwenn Leroy, Raphaël, Shy'm, Slimane, Tal…

Après que Jeanne Cherhal ait repris l’album « Amoureuse » de Véronique Sanson et laissé imprégner sa propre musique de l’influence de Michel Berger, de jeunes artistes se sont mis à le citer encore plus ouvertement, comme Juliette Armanet, Janie, Pharaon de Winter ou Vendredi sur Mer. Une nouvelle génération que Michel Berger a inconsciemment décomplexée et qui n’a pas peur de reprendre le flambeau d’une pop qu’on appelait il y a peu variété de qualité.

L'auteur

Pascal Bertin

Journaliste spécialisé musique, Pascal Bertin a travaillé au magazine Les Inrockuptibles. Freelance depuis 2010, il collabore au mensuel Tsugi et au cahier musique de Libération, a réalisé de nombreuses interviews pour les sites Noisey et i-D de Vice France ainsi que des chroniques sur France Inter et le Mouv’. Il est co-auteur du Dictionnaire du Rock, auteur du documentaire La Story d’Eminem (CStar), conseiller sur le documentaire Daft Punk Unchained, (Canal+) et co-auteur d’épisodes de la série d’animation Tout est vrai (ou presque) pour Arte.

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