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Poètes - Du temps jadis


“Mignonne allons voir si on chante”

Ils sont les pères de la poésie moderne mais ont aussi joué un rôle dans la fondation de la chanson populaire telle que nous la connaissons. Source d'inspiration inépuisable pour les auteurs et compositeurs classiques ou actuels, du presque légendaire et sulfureux poète médiéval François Villon aux élégants Pierre de Ronsard et Joachim du Bellay, les poètes du Moyen Âge et de la Renaissance continuent d'enchanter, comme de bienveillants fantômes, la chanson française d'hier et aujourd’hui.

Par Cécile Corbel.

François Villon


(1431-1463?) -  Passant & Passeur


Villon, dernier maillon de la littérature médiévale, est pleinement représentatif de l'esprit de son époque, celle de la fin du Moyen-Âge. Malgré la barrière de la langue (ses poèmes sont écrits en moyen français et non en français classique), son œuvre reste moderne et il compte aujourd’hui parmi les poètes du Moyen-Âge les plus adaptés en chanson.Il survit comme auteur et comme source de citation et d’inspiration, que ce soit par la reprise de ses thèmes de prédilection, par l'imitation de sa langue ou de la forme de son œuvre poétique, mais aussi comme un personnage imaginaire régulièrement convoqué dans la chanson française actuelle.

BNF
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Né François de Montcorbier à Paris, et d'extraction pauvre, éduqué par le Chanoine Guillaume de Villon, en hommage auquel il choisira son nom de plume, on ne sait de Villon finalement pas tant de choses, sinon qu’il vécut à Paris, et y mena une vie dissolue faite d’errances, vols et autres délits qui le conduisirent de temps en temps en prison, parfois en exil, et le firent presque pendre. La date de sa mort demeure elle aussi inconnue puisque l’on perd sa trace en 1463.

Ses oeuvres principales sont le Lai (ou Petit testament), le Testament ( ou Grand Testament), ainsi que quelques recueils de poésies et sept Ballades en jargon.


L’oeuvre poétique de Villon a grandement inspiré les poètes et les compositeurs et interprètes d’hier et d'aujourd'hui.Verlaine ou Apollinaire voyaient déjà dans Villon leur maître, et de nombreux compositeurs classiques comme Claude Debussy, Olivier Messiaen ou encore Kurt Weill ont mis en musique ses ballades et ses rondels ou se sont inspirés de son œuvre.
Mais c’est surtout à partir des années 1950, que de nombreux auteurs-compositeurs-interprètes et chanteurs à texte, comme Georges Brassens, Léo Ferré, Félix Leclerc, Monique Morelli ou Hélène Martin ont porté les poèmes de Villon en chanson.

Un Moyen Âge fascinant

C’est d'abord l’époque de Villon, le Moyen Âge, qui fascine.
Georges Brassens, fervent adepte de cette période, dira d’ailleurs à propos du poète : “Je ne pensais qu'à Villon, que par Villon, qu'à travers Villon”. Déjà en 1953, il adapte l’une de ses oeuvres les plus connues La Ballade des Dames du Temps Jadis.
Dans Le Moyenâgeux sa chanson la plus “villonienne”, écrite en 1966, Georges Brassens regrette même de n’avoir pas pu vivre au temps de Villon et recrée grâce à un vocabulaire choisi ( « seigneuries », « ribaudes », « nenni » et autres expressions médiévales) un passé légendaire et le monde fantasmé d’un Villon imaginaire. « Pardonnez-moi prince, si je suis foutrement moyenâgeux » conclue-t-il même à la fin de la chanson.

Comme Brassens, Léo Ferré boit à la fontaine Villon, et en 1958 dans La poésie fout l’camp, Villon ! regrette la venue de la modernité, ce « quelque chose de pourri au royaume de truanderie ». 
En 1959, Félix Leclerc, poète québécois, grand défenseur de la langue française, met en musique et interprète Le Testament poème majeur de François Villon.

Forme et vocabulaire villonien

C’est aussi avec la forme poétique et le vocabulaire de Villon que les auteurs et compositeurs contemporains vont jouer.

Les vers octosyllabiques, et le huitain (strophe de 8 vers), formes de prédilection de Villon, sont ainsi souvent repris par Brassens, notamment dans “ Le Moyenâgeux”.
La forme de la ballade, le vers-refrain (“mais où sont les neiges d’antan”) qui devient un véritable refrain chez Brassens, ainsi que l’envoi dans La Ballade des Dames du Temps Jadis mais aussi les enjambements audacieux, dont Villon était coutumier, et que pratique abondamment Brassens dans ses chansons, sont chez lui autant de références assumées ou subliminales à la forme poétique du poète médiéval.
Dans Liberté-Femme, sous-titrée également Ballade des dames du temps présent, Hélène Martin reprend la structure de legs du Testament et rédige un nouveau testament, adressé aux femmes qu’elle admire, en particulier des chanteuses françaises, en reprenant des expressions typiquement villoniennes.

L’écriture Villonnienne, c’est aussi le mariage de “la belle langue” avec l’argot, le jargon des “bas-fonds”, et de nombreux auteurs contemporains de chanson française ont manié avec délice ce mélange entre un français classique et une langue plus fleurie : Brassens, Ferré, mais aussi Renaud...

Les mots de Villon deviennent parfois aussi les hypotextes de certaines chansons contemporaines. C’est vrai chez Bernard Lavilliers, par exemple, quand il reprend le vers introductif de l’Épitaphe de Villon en le transformant, au début de chaque strophe, dans l’une de ses chansons, Frères humains synthétisés en 1979.

Le personnage de Villon

Mais Villon n’est pas un simple fournisseur de mots. Sa silhouette et son visage s’immiscent aussi dans les chansons contemporaines et il traverse le paysage musical français tel un fantôme. Ainsi Villon apparaît dans une strophe de Mon bistrot préféré de Renaud en 2002, chanson dans laquelle il décrit une taverne où bavardent les hommes qui peuplent ses souvenirs. “Trenet vient nous chanter une Folle Complainte Cependant que Verlaine et Rimbaud, à l’absinthe Se ruinent doucement en évoquant Villon Qui rôde près du bar et des mauvais garçons.”

Un Villon “des tavernes” et ses compagnons, les mauvais garçons, qui ont d'ailleurs sans doute aussi toute leur place dans l’imaginaire de groupes contemporains comme la Rue Kétanou ou Pigalle.

Les thèmes Villonniens


Villon le poète maudit, un Alter Ego. Les thèmes de la pauvreté, de la vie misérable et de l’hypocrisie de la bourgeoisie, développés chez Villon, ont aussi séduit et inspiré les auteurs.
On peut ainsi penser à La Mauvaise Réputation de Brassens ou à  La Poèsie Fout l’camp Villon de Léo Ferré, dans lesquelles le poète, rebelle à son temps, jugé et banni socialement, devient l’alter Ego, le “Frère de Mots” de Villon.
C’est aussi Yves Duteil dans sa chanson La valse des étiquettes qui se compare à Villon : « Je suis le gentil troubadour / Le bûcheron de la chanson / Le Villon de la salle des fêtes / L’artisan de la stéréo ».
Le chanteur François Corbier de son vrai nom Alain François Roux, va même aller jusqu’à puiser chez François de Montcorbier (notre Villon) son nom d’artiste.

Paris
Villon a été l’un des premiers poètes à dépeindre Paris, ses rues et ses habitants. Parmi ses dignes successeurs ayant chanté la capitale, on peut citer Yves Simon,  qui dans sa chanson Les Fantômes de Paris en 1977 voit parmi les fantômes de la ville le nom même de Villon gravé sur les murs de l’ancienne prison au théâtre du Châtelet,
Serge Reggiani est aussi en ce sens un des héritiers de Villon, lui qui incarnera François Villon dans le film éponyme de André Zwoboda en 1945, et deviendra l’un des grands interprètes de chansons sur la capitale notamment en célébrant Paris dans sa chanson Paris ma Rose en 1967.

La mort et les pendus
Mais c’est surtout la mort, qu’il redoutait de façon obsessionnelle, qui est au cœur de l'œuvre de Villon. Dans son œuvre maîtresse, que Serge Reggiani interprètera, La Ballade des Pendus, Villon décrit la décomposition des corps et fait parler les pendus s’adressant aux vivants. L’image forte du pendu fascine aussi les compositeurs, auteurs et interprètes modernes, qui développeront à leur tour cet imaginaire macabre et son cortège d’images : corbeaux, juges et gibets, pendus souriants se balançant au vent…


On retrouve ces “chapelets de pendus” dans Le verger du Roi Louis chez Brassens ou dans le “pendu tout sec perforé de corbeaux” dans À mon Enterrement ou encore “le ventre des pendus qui coule des potences” dans À Toi, deux chansons de Léo Ferré. En 1980, il déclamera La Ballade des Pendus en y mêlant sa chanson L’Amour n’a pas d’âge pour un rendu narratif poignant et intense en émotion.
En 1969, c’est Jacques Higelin qui se rêve en pendu s’agitant sur sa potence Six Pieds en l’Air dans sa chanson du même nom : «Tout doucement je me balance Tout abandonné aux caprices du vent ».
Mais c’est surtout l’air de Charles Trenet Je Chante que vous pourriez garder en tête pour célébrer et entretenir la mémoire du poète médiéval : "C'est vous le chanteur, le vagabond ? / On va vous enfermer, oui, votre compte est bon / Non, ficelle, tu m'as sauvé de la vie / Ficelle, sois donc bénie / Car, grâce à toi, j'ai rendu l'esprit / Je me suis pendu cette nuit, et depuis / Je chante, je chante soir et matin / Je chante sur les chemins / Je hante les fermes et les châteaux / Un fantôme qui chante, on trouve ça rigolo / Et je couche, la nuit sur l'herbe des bois / Les mouches ne me piquent pas / Je suis heureux, ça va, j'ai plus faim / Et je chante sur mon chemin."
Un chanteur vagabond, qui pour échapper à la sentence se pend dans sa cellule et néanmoins continue de chanter et nous enchanter, voilà assurément un digne héritier de Villon, et de quoi réconcilier morts et vivants !

Bibliographie

Colloque "Le Temps de la mémoire II : Soi et les autres".
Passage(s) de Villon dans la chanson contemporaine - par Céline Cecchetto.
Éditeur : Presses Universitaires de Bordeaux, Collection : Eidôlon | 79.

Podcasts et émissions

Villon le Piéton de Paris (France Inter - 2017)

Interview de Georges Brassens par Luc Berimont en 1958 (France Culture)

Playlist 

Les classiques

- William Wallace (1860-1940) : Villon, poème symphonique n° 6
- Claude Debussy (1862-1918) : Trois Ballades de François Villon (1. Ballade de Villon a s'amye ; 2. Ballade que Villon feit à la requeste de sa mère pour prier Nostre-Dame ; 3. Ballade des femmes de Paris)
- Arthur Honegger (1892-1955) : musique pour La rédemption de François Villon pièce radiophonique de J. Bruyr
- Kurt Weill (1900_-1950) : Grabschrift – Epitaphe (Opéra de 4 sous) adaptation, fidèle au départ, de Ballade des pendus (Ihr Menschenbrüder, die ihr nach uns lebt… Vous frères humains, qui après nous vivez…)
- Olivier Messiaen (1908-1992) : Deux Ballades de Villon
- Roger Calmel (1920-1998) : Ballades de François Villon

Georges Brassens

- Ballade des dames du temps jadis, récital n° 2, Philips, 1954.
- Le moyenâgeux, Philips, 1966.
- Le verger du Roi Louis, récital n° 7, Philips, 1960.
- Elégie à un rat de cave

Léo Ferré

- Frères humains (La ballade des pendus).
- La poésie fout l’camp, Villon ! (1962).
- À mon enterrement  Barclay, 1971.
- À toi, Barclay, 1969.

L’esprit de Villon

- Daniel Balavoine, Le français est une langue qui résonne (D. Balavoine), Barclay, 1978.
- Jacques Brel, Le moribond (Jacques Brel), Philips, 1961.
- Yves Duteil, La valse des étiquettes, Ton absence, (Y. Duteil), EMI, 1987.
- Jacques Higelin, Six pieds en l’air (J. Higelin), Higelin et Areski, Jacques Canetti, 1967.
- Bernard Lavilliers, Frères humains synthétisés, Pouvoirs, Barclay, 1979.
- Hélène Martin, Liberté-femme, Ballade des dames du temps présent, (H. Martin), Disques du Cavalier, 1972.
- Catherine Sauvage, La poésie fout le camp, Villon ! (Léo Ferré), Philips, 1962.
- Monique Morelli, Chante Villon et Ronsard, EPM Musique, 1990.
- Serge Reggiani, Paris ma rose (H. Gougaud/D. Pankratoff), Les loups sont entrés dans Paris, Éd. Jacques Canetti, 1967.
- Serge Reggiani, Ballade des pendus (Villon / L. Bessières).
- Renaud, Mon bistrot préféré (Renaud Séchan), Boucan d’enfer, Virgin, 2002.
- Pigalle, Dans la salle du bar tabac de la rue des Martyrs, Regards affligés sur la morne existence de Benjamin Tremblay, Boucheries Productions, 1990.
- Yves Simon, Les fantômes de Paris (Y. Simon), Un autre désir..., RCA, 1985.
- Charles Trenet, Ohé Paris (Trenet), Columbia, 1950.
- Charles Trenet, Je chante (Trenet), Columbia, 1937.
- Weepers Circus, Ballade de la belle heaumière aux filles de joie, Le fou et la balance, Circus productions, 1997; Faites entrer, ArtDisto, 2004 ; L’ombre et la demoiselle, Circus productions, 2000 ; L’épouvantail, Circus productions, 1999.

Joachim Du Bellay


(1522-1560) - Le beau voyage  


La vie de Joachim du Bellay, contemporain de Ronsard, fut moins auréolée de gloire et son destin bien plus tragique que celui de son confrère.Le poète, membre fondateur de la Pléiade, et son œuvre, souvent mise en musique, ont cependant, à l'instar de Ronsard, traversé les époques et marqué l’histoire de la poésie et de la chanson.

La Pléiade

BNF
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Joachim Du Bellay naît à Liré en Anjou au début du XVIème siècle dans un château dans lequel il vivra les vingt premières années de sa vie.
Orphelin et de santé fragile, il est élevé par son frère avant d’entamer des études au Collège de Coqueret à Paris.

C’est là qu’il rencontre Pierre de Ronsard et qu'ils fondent avec une poignée d’autres écrivains et poètes le groupe de “La Brigade”, bientôt rebaptisé “La Pléiade”, mouvement fondateur de la poésie française moderne.
Leur but : créer des chefs-d'œuvre en français d'aussi bonne facture que ceux des Latins et des Grecs, et donner ses lettres de noblesse à la langue française.

Du Bellay signe en 1549 un manifeste collectif : La Défense et illustration de la langue française.
L’époque est propice, car dix années auparavant, François 1er faisait paraître l'ordonnance de Villers-Cotterêts, imposant le français comme langue du droit et de l'administration dans le royaume, et créait une bibliothèque royale avec commandes, achats, et dépôt légal des œuvres.

Du Bellay souhaite transformer la langue française, « barbare et vulgaire », en une langue élégante et digne. Avec Ronsard, il souhaite la fortifier, l’enrichir, par l’invention de nouveaux mots, pour la rendre aussi puissante que le grec et le latin.  Comme Ronsard, Du Bellay sera beaucoup mis en musique, dès le XVIème siècle (dont une partie de ses Odes par Antoine de Bertrand) et particulièrement au XXème siècle.
Il s’empare de thèmes amoureux, de sentiments intimes ou nostalgiques, évoque la nature, les paysages ou les ruines antiques, dans un français parfois presque romantique, et comme chez Ronsard, l’alexandrin chez lui devient roi, et la forme “sonnet”, reine.

Les Regrets

Parmi ses nombreux poèmes devenus chansons (plusieurs dizaines recensés) le sonnet Heureux qui comme Ulysse, extrait du recueil Les Regrets résonne particulièrement aujourd’hui encore. Du Bellay l’écrit entre 1553 et 1557, alors qu’il est en voyage à Rome, accompagnant son cousin le cardinal Jean Du Bellay à la cour pontificale.
Ce voyage, idéalisé au départ par le poète, s’avère être décevant : Du Bellay s’ennuie, ne goûte pas aux merveilles promises de l’Italie et de son illustre passé antique, et multiplie les soucis de santé et d’argent. Ce sonnet fait part de l’envie qu’il a de retrouver son pays natal, l’Anjou, et sa nostalgie pour le petit château de Liré dans lequel il a grandi. Le poète se rêve en Ulysse, qui serait enfin de retour chez lui après avoir accompli un long voyage, réalisant que les merveilles découvertes lors de ses aventures ne valent pas les trésors simples de son lieu de naissance.

Le film Heureux qui comme Ulysse, racontant l’amitié entre un ouvrier de ferme et un cheval nommé Ulysse, réalisé en 1969 par Henri Colpi (et dernier film de Fernandel), rend hommage à ce sonnet.
La chanson-thème du film y est interprétée par Georges Brassens, sur le texte de Du Bellay (adapté et enrichi par Henri Colpi) et une musique de Georges Delerue.

Plus proche de nous, en 2007, c’est le chanteur Ridan qui reprend avec beaucoup de succès ce même extrait des Regrets, pour le plus grand bonheur de tous les professeurs de collège, qui y puiseront une matière pour faire vivre et aimer le poète de la Renaissance à tous les collégiens de France.

Le pays natal où l’on pose enfin ses valises, le retour aux sources, et la vanité du voyage, resteront des thèmes propices à la chanson populaire : de Nougaro dans sa nostalgique chanson hommage à Toulouse en 1967 à la Maison Bleue de Maxime le Forestier , de Charles Trenet et sa Douce France en 1947, jusqu'à Orelsan dans sa chanson La Terre est Ronde en 2012, de nombreux auteurs continuent d’explorer ce thème nostalgique.

Si Du Bellay connut une fin tragique (malade, solitaire et désargenté à Paris, loin de son Anjou natal), sans doute aurait-il été heureux de son héritage, et de savoir que Liré est hanté de sa présence grâce au travail patrimonial du musée Du Bellay qui organise régulièrement des manifestations sur les thèmes de l'écriture, de la poésie, de la musique et de la langue française.

Playlist 

Lassus - chanson françaises à quatre voix, volume 1 N° 8, la nuit est froide et sombre
René Gerber, 3 poèmes de la renaissance, le beau voyage
Heureux qui comme Ulysse, poème dit par Gérard Philippe
Georges Brassens - Heureux qui comme Ulysse
Ridan, Ulysse, 2007
Charles Trenet, Douce France, 1947
Claude Nougaro, Toulouse, 1967
Maxime le Forestier, San Francisco (la maison bleue),1972
Orelsan, La Terre est Ronde, 2011

Ronsard


(1524-1585)  - “Prince des poètes et poètes des princes”

Poésie engagée et officielle, épopées, poésie lyrique et amoureuse, l’oeuvre de Pierre de Ronsard est vaste, et celui qui fut l’un des poètes français les plus importants et les plus auréolés de gloire de son vivant à la Renaissance, reste aujourd’hui connu comme un des pères de la poésie moderne, voire de la chanson moderne, c’est dire si les auteurs et les compositeurs d’aujourd’hui lui doivent beaucoup !

Réinventer la langue : La Pléiade

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Lorsqu’au milieu du XVIème siècle, déjà protégé des princes, il fonde avec du Bellay, de Baïf et Dorat (entre autres), le mouvement littéraire de "La Pléiade", le but est pour eux d’imiter et de surpasser les Italiens comme Pétrarque ou Dante, en créant une littérature en langue française capable d'égaler les poètes latins ou grecs.

Pour l’inspiration : l’amour, les références à l’antiquité grecque ou latine, la nature, la joie d’aimer ou une certaine nostalgie devant le temps qui passe, seront de mise.
Les Discours, Les Hymnes et La Franciade, oeuvres majeures de Ronsard, continuent d’emprunter à un vocabulaire  érudit, mais, dans Les Odes ou Les Amours par exemple, dans lesquelles figurent ses poèmes les plus connus aujourd’hui, (car peut être plus “frais” de ton ?) le vocabulaire s’enrichit.
Car pour écrire en français, il faut réinventer et moderniser la langue, en y introduisant le langage populaire, et une capacité nouvelle à se raconter et à décrire des sentiments simples.

Et c’est la forme qui elle aussi devient moderne et se pérennise pour plusieurs siècles : sous la plume de Ronsard, le sonnet, le décasyllabe et l’alexandrin deviennent rois.

Chansons à partager

De nombreux poèmes de Ronsard seront mis en musique, et ce dès son vivant, dans des recueils de chansons s’adressant au plus grand nombre.
En effet, au milieu du siècle (1551) est créée l’entreprise d'édition Le Roy & Ballard, nommés “imprimeurs du roi en musique” (l'entreprise va fleurir et ne disparaîtra qu'au XIXème siècle). Ces éditeurs de génie inventent la forme moderne que nous connaissons aujourd'hui pour les recueils de partitions de chansons, à savoir une présentation qui fait figurer l'air du premier couplet et du refrain, avec, imprimé sous la partition, le texte, dont chaque syllabe est découpée et placée sous une note. Puis, sans la partition, suivent les textes des couplets suivants publiés de façon simple et lisible sous forme de strophes.
Le public savant et populaire va désormais pouvoir chanter ces mélodies et en partager les paroles à travers le pays de la façon la plus simple qui soit !

La plupart des poèmes de Ronsard, dont le célèbre Mignonne allons voir si la Rose (1552) dont les vers résonnent pour beaucoup d'entre nous comme un souvenir d'écolier, seront ainsi adaptés et mis en musique de son vivant (par Certon, Goudimel, Janequin et Muret entre autres). Il semble même que certains poèmes aient été écrits spécifiquement par Ronsard pour qu'ils soient chantés.  La chanson moderne est née, le binôme auteur/compositeur aussi !

Au nom de Ronsard, il faut associer celui de Jehan de Chardavoine, compositeur, chanteur, et poète.
En 1576, celui-ci fait paraître son Recueil des plus belles et excellentes chansons en forme de voix de ville, tirées de divers autheurs et Poëtes François, tant anciens que modernes”. Il comporte 190 airs en “voix de ville", c'est-à-dire des chansons qui sont identifiées comme des mélodies uniques pour un texte unique, présentées sous une forme accessible et donc populaire.
Parmi eux, on retrouve plusieurs textes de Ronsard, que Jehan de Chardavoine n’hésite pas à légèrement remanier (serait-il le premier adaptateur ?) pour les faire rentrer dans cette esthétique de chanson en forme de “couplet et refrain”. La plupart des thèmes musicaux sont pensés pour être chantés, joués par tous, sur tout instrument, et dansés aussi, car Jehan de Chardavoine dans sa préface termine par cette devise : « bien vivre et se resjouir ». Quoi de mieux qu’une chanson pour y parvenir ?

Et quoi de plus normal que la poésie de Ronsard ait inspiré et continue d’inspirer des compositeurs d’hier et d’aujourd’hui, de Bizet à Wagner, en passant par Saint Saëns, Poulenc ou Milhaud, ou des interprètes comme Alain Souchon, qui récemment encore convoquait le poète de la Pléiade dans sa chanson Ronsard Alabama ?

Bibliographie 

Les chansons qui ont tout changé - Bertrand Dicale, Bayard

Podcast

Ronsard et ses chansons par Bertrand Dicale (France Info - 2016) 

Mignonne allons voir si la rose par Bertrand Dicale (Eduscol - Ministère de l’écucation nationale/France Info - 2011)

Playlist

Clément Janequin, Petite nymphe folastre, Qui vouldra voir, Nature ornant, 1552
Guillaume Costeley, Mignonne, allons voir si la rose, 1570
Jean de Castro, Chansons, odes et sonnetz de Pierre de Ronsard mis en musique à 4, 5, et 8 parties, 1576
Georges Bizet, Sonnet, 1866 
Camille Saint Saëns, mélodies sur les poèmes, L'Amour oyseau, L'Amour blessé, À Sainte Blaise, Grasselette et Maigrelette, L'Amant malheureux, 1907-1921
Maurice Ravel, Ronsard à son âme 1924
Arthur Honegger, Chanson 1924 
Francis Poulenc, Poèmes de Ronsard ; Attributs, Le Tombeau, Ballet, Je n'ai plus que les os, À son page 1924
Georges Auric, Quand ce beau Printemps je vois,1935
Darius Milhaud, Les Amours de Ronsard, La Rose des vents, La Tourterelle, L'Aubépin, Le Rossignol (1934), Prends cette rose (1937)    
Cécile Chaminade, Mignonne
Les Ménestriers, Mignonne
Dorothée, Mignonne allons voir si la rose
Michele Arnaud, Ronsard, 1958
Alain Souchon, Ronsard Alabama