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Poètes - Les touche à tout


La poésie est un genre littéraire très ancien, sans doute le plus ancien ; elle a donc eu le temps de se débarrasser des contraintes d’ukases générées par la ou les modes, de regarder le monde sans a priori, de s'adonner au syncrétisme en toute indocilité.

Pas étonnant qu'elle compte parmi ses nombreux enfants de turbulents créateurs, d'inventeurs de formes et de mots, de docteurs en sensations, de personnalités parfois déconcertantes à force d'emprunter des chemins de traverse, bref des touche-à-tout intemporels et salutaires.

Rien d'étonnant non plus de trouver parmi eux cinq personnages haut en couleurs, grands rebelles devant l'Eternel, qui - bien que disparus pour l'état civil - n'en finissent pas d'être présents au plus profond de nos émotions.

Ils s'appellent : Jean Cocteau, Colette, Charles Cros, Marguerite Duras, Boris Vian. Beau générique de magiciens partageant l'amour du verbe et de l'aventure artistique, ils pratiquèrent et mêlèrent littérature, poésie, théâtre, musique, chanson, cinéma, sciences, media... on est pris de vertige à les imaginer explorant le numérique.

Effaroucheurs de bienpensants, et sans doute comme le chante Aznavour « trop en avance », ils ont souvent été décriés ou méconnus de leur vivant. Aujourd'hui des rues, des écoles, des temples de la culture portent leurs noms, des timbres à leur effigie font la joie des philatélistes, des expos à guichets fermés leur sont consacrées et, quelque part dans le ciel, un astéroïde baptisé Vian se promène, se promène, se promène….

Par Arlette Tabart.

CHARLES CROS 


Comme le très inspiré Nicolas Mathieu l’a écrit : « Au dix-neuvième siècle, Boris Vian existait déjà et il s'appelait Charles Cros ». Bien vu.

Que de points communs entre ces deux loustics aux goûts éclectiques : à la base il y a la science – Boris est ingénieur sorti de Centrale, Charles est pion puis prof de chimie à l'institut parisien des sourds muets avant de commencer des études de médecine vite abandonnées - puis, tous les deux fils de bourgeois aimant jongler avec les idées et les mots, ils seront poètes dans leur œuvre et dans leur vie, chercheurs féconds adeptes de ces nuits à rallonges propices aux morts prématurées (la quarantaine quant à eux).

Revenons à Charles Cros, incarnation de l’inventeur poète (1842-1888).
En 1867, il présente à l’Exposition Universelle un prototype de télégraphe automatique. En 1869, il concocte un procédé de photographie en couleurs à l’origine de la trichromie. En 1877, dans la forme de ses 35 ans, il pond le principe d’un appareil reproducteur des sons qu’il baptise paléophone. Génial mais pas bingo car outre Atlantique Thomas Edison coiffe au poteau notre « touche à tout » tricolore en mettant au point le... phonographe.

Parallèlement à ses recherches, il participe activement tout d’abord au mouvement poétique symboliste en compagnie de Mallarmé, Rimbaud, Verlaine, Maeterlinck, Verhaeren puis au surréalisme. Sur fond de bohème alcoolisée, il publie ses premiers textes dans Le Parnasse contemporain, fonde le turbulent Cercle des poètes zutistes et autres Vilains bonhommes, s’engage dans la Commune, devient l’amant de Nina de Villard animatrice d’un salon littéraire très en vue, fréquente les chansonniers du Chat Noir… Aujourd’hui on le dirait hyperactif.

Hélas, bien que source d’inspiration référente pour ses confrères surréalistes, son œuvre est ignorée à l’époque ; Le Coffret de santal paru en 1873 - considéré aujourd’hui comme un chef d’œuvre du symbolisme - n’échappe pas au purgatoire. Pas découragé pour autant, il fonde la Revue du monde nouveau, publie l’ironique le Fleuve illustré par Manet, écrit pour les stars des planches dont Coquelin, rajeunit l’art du monologue, obtient un prix de l’Académie Française en 1879 plus une indemnité au titre des Arts et des Lettres et continue à se ruiner la santé en abusant de l’absinthe jusqu’au 9 août 1888 date à laquelle la « fée verte » l’emporte. Une grande partie de son œuvre ne sera publiée qu’en 1908 sous le titre Le collier de griffes, grâce à son fils Guy Cros lui-même poète talentueux.

Auteur marginal reconnu tardivement, participant à tout mais n’appartenant en fait à aucune école, trop mondain, trop doué, trop « encombrant » pour ses rivaux… Il enrichira pourtant les répertoires impeccables d’artistes tels Juliette Gréco (Berceuse extraite du Coffret de santal), Claude Debussy (L’archet) Julos Beaucarne (Moi, je vis la vie à côté), Jacques Douai (Belle, Belle), Ernest Chausson (La Chanson perpétuelle), Damia (L’orgue), Chanson + bifluorée et Jean Marc Tennberg (Le hareng saur ce mirobolant monologue destiné à amuser les enfants et à fâcher les adultes)… Du très beau monde rejoint par la somptueuse Brigitte Bardot évoquant Sidonie - mise en musique par Yani Spanos et Jean-Max Rivière – le temps de la Vie privée de Louis Malle.

Cerise sur le gâteau, en 1947 d’éminents critiques réunis par Roger Vincent fondent une association destinée à être un intermédiaire entre les pouvoirs publics définissant la politique culturelle hexagonale et les professionnels de la musique et du disque. Dans ses rangs, Armand Panigel, Franck Tenot, Pierre Brive, Henri Dutilleux, Paul Gilson, Daniel-Lesur, Marc Pincherle, Pierre Mac Orlan… La liste n’est pas exhaustive. Cette instance prendra, en hommage à notre pionnier de l’enregistrement sonore, le nom d’Académie Charles-Cros, de quoi faire sourire le fantasque poète n’ayant pas eu l’habitude de sacrifier aux règles établies.

COLETTE


Colette (1873-1954) n'a pas vécu 80 ans mais quatre fois 20 ans tant elle a su multiplier ses expériences et ses expressions.

Danseuse nue au music-hall, comédienne, journaliste, romancière, parolière, dramaturge, dialoguiste... n'en jetez plus Madame au risque de frustrer vos consœurs – et pourquoi pas confrères. Lesquels ne se sont pas privés – tout en vous reconnaissant un talent hors normes - de vous tailler des costumes sur mesures : Jean Cocteau déclarait « si Madame Colette n’est pas un monstre, elle n’est rien », François Mauriac la traitait « d’ogresse avide », Paul Léautaud la voyait comme « sensuelle, extrêmement grossière, même vulgaire »; à contrario André Gide appréciait « sa sûreté dans le choix des mots,  ses nuances... » et pour Francis Jammes elle était « une femme vivante qui a osé être naturelle ». Voilà qui en dit long sur cette personnalité complexe et dérangeante.

Colette était un condensé d'énergie, bousculant allègrement les convenances en s’adonnant avec le même appétit aux amours saphiques qui inspireront ses Claudine et des pages exaltées dans Le Pur et l’Impur - ou hétéro – trois maris, quelques amants dont, histoire de rester en famille, le fils de l’un de ses époux.

Ne cherchant pas à gommer ses origines de paysanne bourguignonne faisant rouler les « rrrrr » jusque dans le ciel bleu, elle évoquait avec une justesse incomparable les odeurs, couleurs, senteurs d’une nature qu’elle chérissait. Il faut relire sans attendre Pour un herbier, de la sensualité à l’état pur.
Avec son art de planter le décor, elle inspira très souvent le cinéma :  du Blé en herbe à Chéri, de La Vagabonde à Gigi - mettant en vedette l’un de ses grands amis, Maurice Chevalier. Sous la casaque de dialoguiste, elle collabora à de nombreux longs métrages dont le le Lac aux dames de Marc Allégret bénéficiant d’une B.O de Georges Auric.

Journaliste, du Mercure de France au Matin en passant par Le Figaro, elle écrit, rature, relit, réécrit jusqu’à devenir une plume reconnue apportant un style nouveau. Elle est reporter pour le procès de Landru ou le premier vol de l’aérobus. En point d’orgue, en 1935 elle assure le courrier féminin de l’hebdo Marie Claire. Pour le quotidien Gil Blas – elle y était critique musical aux côtés de Claude Debussy - elle court du festival de Bayreuth aux concerts parisiens de Reynaldo Hahn, Pierre Lalo... Elle, qui disait aimer par-dessus tout la musique est comblée même si parfois sa canine est féroce.

Plutôt bonne pianiste, son goût de la gamme est ponctué de collaborations avec Rodolphe Berger (pour l’opérette Claudine émanant d’un livret co-signé par son premier mari et « impresario » Willy), Francis Poulenc (Portrait), Gabriel Fauré – un de ses proches – et, bien sûr, Maurice Ravel. Il compose L’Enfant et les Sortilèges sur un poème de Colette intitulé initialement Ballet pour ma fille, une fantaisie lyrique en 2 parties dont la naissance n’est pas facile, et c’est un euphémisme. Les premiers contacts entre l’autrice et le musicien sont très froids (elle le trouve un brin pète sec), Ravel doit partir pour la guerre près de Verdun, il perd sa très chère maman et se mure dans le silence… Bref, la collaboration ne reprendra qu’en 1919. L’attente en valait la peine. Pour traduire les nombreuses onomatopées dont Colette a doté son texte, Ravel fait appel à des instruments peu habituels : râpe à fromage, crotale, luthéal, crécelle… Les rythmes s’entrechoquent : ragtime, menuet, polka... Le 21 mars 1925 à l’opéra de Monte Carlo, soir de la création de cet opéra, l’accueil du public est très, très réservé. Cela fleure bon le passage à la trappe. Mais, grâce à Euterpe et à l’évolution des sensibilités, l’enfant capricieux et ses sortilèges connaîtront au fil des années un succès international jamais démenti.

Elle devient sociétaire définitive le 16 février 1926 en qualité d'autrice. Sous le dossard « parolière », Colette n’a pas un catalogue très fourni mais on lui connait des bluettes concoctées avec Paul Misraki Filles et garçons pour la B.O. de Claudine à l’école ou Michel Emer Brune, blonde, rousse ou châtaine (peut-être inspirée par ses colocs de phalanstère : Polaire, Musidora ou la très fidèle Marguerite Moreno).

Au soir du 3 août 1954, à l’heure de quitter ses chats, ses stylos Parker, ses cahiers bleus, elle qui avant Brigitte Bardot « inventa » Saint Tropez à l’abri de sa treille muscate, la surdouée, la vagabonde et scandaleuse Sidonie Gabrielle Colette n’imagine pas que la France la gratifiera de funérailles nationales dans la cour d’honneur du Palais Royal. Bien fait pour elle qui ne raffolait pas des fanfares et avait fait de la liberté son credo….

JEAN COCTEAU


En 1889, la France inaugure la tour Eiffel et, à Maisons-Laffitte, naît Clément Eugène Jean Maurice Cocteau (1889-1963). Le lascar se place d’emblée sous le signe du spectaculaire.

A l'âge des billes et des panoplies de cowboy, Jean Cocteau découvre le théâtre et le cinéma grâce à ses grands-pères et père, de grands bourgeois amateurs d'arts éclairés. Il quitte à 15 ans le nid familial, se fait virer de Condorcet pour indiscipline, rate son bac par 2 fois et écrit ses premiers textes. Le grand bal des rencontres peut commencer.

Le top départ est donné par le tragédien Edouard de Max qui repère le style du jeune rebelle et organise un récital des poésies de son protégé. Cinq années plus tard paraît – à compte d'auteur – son premier recueil La Lampe d'Aladin ; il devient rapidement la coqueluche des cercles artistiques en vogue sous le sobriquet de « prince des poètes » et découvre les ballets russes de Serge Diaghilev et Nijinsky.

Cette deuxième rencontre l'entraine vers le cubisme ; il en naitra le ballet Le Dieu bleu sur une musique de Reynaldo Hahn, puis – et surtout – Parade mis en musique par Erik Satie et dont les costumes et décors sont signés Pablo Picasso (jamais à court d'aphorisme, Cocteau dira plus tard de son ami « Picasso peint les femmes avec une bouche à la place de l'oreille. Ça prouve qu'il les connait bien »).
Turbulent et avide de nouveautés, le poète se convertit temporairement au catholicisme, devient l’amoureux mentor de Raymond Radiguet et participe aux aventures surréalistes puis dada. Devenu l'intime et le porte-voix du Groupe des Six réunissant Auric, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre, il enfante avec eux Les Mariés de la tour Eiffel.
Autre rencontre, néfaste celle-là : l’opium. Suite au décès de Radiguet, le virevoltant poète cherche dans la drogue ce qu’il qualifie « d’heures parfaites », des haltes alternant avec de douloureux sevrages qui ne freinent pas sa ponte créatrice. La preuve en est : Les Enfants terribles est écrit en huit jours.

Dans les années 30/40, sa liaison avec la fille morganatique d’un grand-duc de Russie, ne l’empêche pas d’offrir La Machine infernale à un acteur de ses amants et à des amies triées sur le volet de superbes rôles : La Voix humaine pour Berthe Bovy, Le Bel indifférent pour Edith Piaf. Il demande à adhérer à la Sacem le 26 octobre 1935 en qualité d'auteur.

Rencontre en images : le 7ème art. Bien avant de devenir Président du Festival de Cannes (en 1953), il est le scénariste de L’Éternel retour de Jean Delannoy dont il surveille jalousement les répliques destinées à son compagnon, le magnifique Jean Marais. Il devient le chef de « bandes » de courts et longs métrages devenus des classiques : Le Sang d’un poète, Les Parents terribles, L’Aigle à deux têtes, Orphée, La Belle et la Bête...  La plupart de leurs B.O. sont dues au prolifique et talentueux Georges Auric, ancien Président de la Sacem. A souligner, le penchant de Cocteau pour la musique et ses novateurs ; en témoignent ses parcours avec « les 6 » et Satie - bien sûr - mais également François Rabbath, Martial Solal, Igor Stravinsky, Maurice Thiriet. Il procurera à des interprètes curieux des œuvres à mi-chemin entre le théâtre et la chanson : Anna la bonne pour Marianne Oswald, Le Joueur De Monte-Carlo pour Mouloudji, L’Acteur par l’époustouflant duo Nougaro/Higelin. Se joindront à la clique au fil du temps, Marc Robine, Colombe Frezin, Denis d’Arcangelo, James Ollivier...

Seigneur des touches à tout, le peintre-dessinateur-lithographe-céramiste-tapissier-auteur abrité dans le corps frêle de Cocteau crée à tour de bras : bijoux pour Schiaparelli, « poésies de laine » pour Aubusson, fresques pour diverses chapelles de la Côte d’Azur et de Londres, vitraux, lustres, décors, discours tel celui qu’il écrira pour la réception à l’Académie Royale de Belgique de sa consœur Colette. Dire qu’il aimait répéter «de temps en temps il faut se reposer et ne rien faire »...

Le repos, éternel celui-là, il le trouvera le 11 octobre 1963, quelques heures après la mort de son amie Edith Piaf. Sans surprise, lors de ses obsèques le Gotha a répondu présent : Marlène Dietrich, René Clair, Jean Wiener, Georges Auric, Zizi Jeanmaire et Roland Petit (ses interprètes du ballet Le Jeune Homme et la Mort) et un certain Gilbert Bécaud qui, sur un texte hommage de Louis Amade, chantera un peu plus tard, comme un ultime rappel Quand il est mort le poète.

MARGUERITE DURAS


Touche à tout, forcément touche à tout… La diversité de ses occupations justifie pleinement ce clin d’œil à son célébrissime édito.

A l’instar de Colette (danseuse nue en moins), Marguerite Duras (1914-1996) est femme de lettres, dramaturge, scénariste, réalisatrice, éditorialiste, invitée récurrente des radios et télés, parolière, belle brochette d’expressions qu’elle assume en militante, flirtant avec la provocation et suscitant autant de rejets que d’idolâtrie. Son parcours est jalonné de polémiques et coups d’éclat :  de son verdict de culpabilité à l’égard de la mère du jeune Grégory aux échanges vipérins avec Jean-Edern Hallier ou Angelo Rinaldi, de l’interdiction de son livre La Cuisine de Marguerite aux critiques aussi drôles qu’assassines de Desproges, du refus de ses éditeurs de faire paraître un de ses ouvrages posté anonymement… Autant d’épreuves affrontées le plus souvent sur fond d’alcool.

Née Marguerite Donnadieu en 1914 au Vietnam de parents instituteurs, elle découvre la France à l’âge de huit ans suite au décès prématuré de son père. C’est le choc des cultures et des paysages, les rizières font place aux champs où elle joue et garde les vaches. En souvenir de ces jours parfumés à la confiture de mûres, elle empruntera le nom du village de Duras - en Lot et Garonne - pour en faire un pseudonyme qui fera le tour du monde.

De retour en Asie, la sauvageonne de 15 ans fait déjà preuve d’une ouverture d’esprit remarquable et d’un comportement rebelle qui la mèneront tout droit dans les bras d’un chinois expert en sciences de l’alcôve. Cette liaison inspirera L’Amant - prix Goncourt 1984 - le plus grand succès de l’écrivaine à ce jour.

En 1933, c’est en boursière qu’elle quitte l’Indochine définitivement, s’inscrit à Paris en fac de Droit et de Sciences, rencontre Robert Antelme qui deviendra son premier mari et dont elle évoquera le terrible séjour à Dachau dans La Douleur. Marguerite, résistante affirmée, rencontre et devient proche de François Mitterrand alias Morland et publie son premier ouvrage Les Impudents. Intellectuelle engagée, elle est membre du PCF, milite contre la guerre d’Algérie, signe le manifeste des 343 pour le droit à l’avortement, sans pour autant ralentir ses activités littéraires. Un barrage contre le Pacifique - fixé sur pellicule par René Clément – inaugure la liste de ses livres adaptés au cinéma : Dix heures et demie du soir en été (Jules Dassin), Le Marin de Gibraltar (Tony Richardson), L’Amant (Jean Jacques Annaud), La Douleur (Emmanuel Finkiel).

A ce catalogue, il faut ajouter ses propres réalisations : La Musica, India song, Le Vice-Consul, Le Camion (où elle est comédienne aux côtés de l’un de ses fans, Gérard Depardieu), Des journées entières dans les arbres, Prix Jean Cocteau 1976… Ce prix est l’une des multiples distinctions qu’elle recevra : Grand Prix du Théâtre de l’Académie Française 1983, Prix Goncourt et Prix Ritz-Hemingway pour L’Amant 1984, entrée dans la Pléiade 2011 et au répertoire de la Maison de Molière avec Savannah Bay… A noter que, chaque année à Trouville, le prix Marguerite Duras est remis à un artiste, un livre, une pièce ou un film ; parmi les lauréats : Laurent Terzieff, Annie Ernaux, Alain Cavalier ou Patrick Modiano.

Et la musique dans tout cela ? Importante, très importante dans sa vie. N’a-t-elle pas déclaré : « Devant la musique, les mots ne signifient plus rien ». L’auteur de Moderato cantabile encense Bach, Beethoven, Stravinsky, Callas, Mozart, Chopin ; pour le cinéma l’accompagneront Gabriel Yared, Nino Rota, Georges Delerue et, évidemment, à partir de 1973, Carlos d’Alessio son alter ego chilien qu’elle disait venu « du pays de partout ». Enfant elle a appris à jouer du piano, elle en a gardé le besoin d’avoir, dans son salon, un instrument dont elle joue peu laissant le soin de câliner les touches à des amis plus doués. La chanson également lui est essentielle. Ses références : Charles Trénet, Léo Ferré, Catherine Sauvage, Edith Piaf, Harry Belafonte et la fidèle Jeanne Moreau qui sera son interprète le temps d’un lancinant India song et avec laquelle elle gravera une Rumba des îles inattendue. Membre de la Sacem depuis le 3 mai 1960, elle occupe une place de choix parmi les 5600 poètes qui honorent notre Société.

BORIS VIAN


Premier pied de nez dans la vie de Vian : on l'a longtemps cru originaire des steppes de l’Asie centrale mais.... En fait, sa mère, musicienne et fan d'opéra, emprunta au Godounov de Moussorsky le prénom Boris pour son fils cadet.

Bien évidemment quelques années plus tard le distingué satrape métaphysicien patenté ajoutera à la confusion en chantant L'Âme slave. Sa courte existence – Boris Vian est mort à 39 ans – a été des plus mouvementées, riche en rencontres, en occupations diverses, en aléas économiques, en inventions…

A Ville d'Avray, son enfance a pour toile de fonds les jeux de mots, calembours et autres « cadavres exquis » dont se délectait sa famille (bourgeoise nantie mais vite ruinée) et ses amis, parmi lesquels les jeunes Yehudi Menuhin, François Missoffe, Jean Carmet et François Rostand fils de Jean. De ces joutes, il lui restera le goût des bandes de potes et un amour inconditionnel des mots au point de déclarer une guerre permanente « aux escrocs du verbe qui font de la démagogie verbale ».

On doit à ce Centralien fan de Rabelais, Jarry et Céline une œuvre multiforme et volumineuse :
- Douze livres - dont Vercoquin et le Plancton, l’Écume des jours ou l’Arrache-cœur -,
- une douzaine d’incursions dans le théâtre et l’opéra (Le Chevalier de neige sur une musique de Georges Delerue et la comédie ballet Fiesta avec Darius Milhaud en atteste),
- des scenarios ou adaptations pour le cinéma,
- des centaines d’articles et chroniques pour Combat, Constellation, le Canard Enchaîné ou Jazz Hot -  revue  qui permet à ce joueur de trompinette de mettre en valeur son Panthéon jazzistique,
- ajoutez à cela une dizaine de tableaux néo cubiques – eh oui il était également un peintre exposé.

Membre de la Sacem depuis 1951, il génère plus de 500 chansons dont Le Déserteur cultissime succès planétaire défendu par lui-même, Mouloudji, Joan Baez, Richard Anthony, Peter Paul & Mary sous le titre The Pacifist, « On n’est pas là pour se faire engueuler » repris avec entrain par Coluche et l’orchestre du Splendid, La Java des bombes atomiques et Arthur où t’as mis le corps ? distillés par Serge Reggiani, J’suis snob, Le Blouse du DentisteFais-moi mal Johnny immortalisé par une Magali Noël en transe et les premiers « rock’n’roll » made in France composés par Michel Legrand et interprétés par le facétieux Henri Salvador devenu Henry Cording : Rock and Roll-Mops ou Va t’faire cuire un œuf, man, une belle association de bienfaiteurs que ces trois-là.

Son élégante insolence, son imagination fertile et la qualité de sa plume justifient, s’il en était besoin, l’éclectisme de son cercle relationnel : Sartre et Beauvoir, Duke Ellington, Mouloudji, Jean-Jacques Pauvert, Brassens, son voisin Prévert, Juliette Gréco, la bande de l’Oulipo, Alain Goraguer, Jacques Canetti, Claude Luter, Pierre Kast, Raymond Queneau...

Poète, Boris Vian – dit Bison Ravi, Jack K Netty ou Vernon Sullivan, exemples des 27 pseudos qui le mettaient en joie - nous a légué d’innombrables trouvailles allant de noms de fleurs telles les revioles de l’Arrache cœur, à des machines aussi folles qu’indispensables à la plénitude de notre quotidien : « le pianocktail » dispensateur de musique et spiritueux raffinés, « le peignophone » cousin sonore du kazoo improbable dompteur de crinière zazou ou le gidouillographe. En complément de cet inventaire, 6 recueils poétiques dont Barnum’s Digest, Je voudrais pas crever, Un seul Major, un Sol majeur et l’incontournable Cent sonnets. Pas mal pour un éternel jeune homme au cœur fragile qui répétait à longueur de couplets être « bourré de complexes ».