exposition
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Louis Aragon l'a écrit : « À chaque fois que j'ai été mis en musique par quelqu'un, je m'en suis émerveillé, cela m'a appris beaucoup sur moi-même, sur ma poésie. J'ai l'habitude de dire que la mise en chanson d'un poème est à mes yeux une forme supérieure de la critique poétique ». Quant à Brassens, de son propre aveu, il peaufinait ses vers en composant la musique. Au-delà des débats universitaires sur le thème rebattu « Poésie et chanson », force est de constater que beaucoup de mélodistes ont excellé à déposer des notes le long des strophes des poètes. La phrase que l'on attribue à Victor Hugo sur sa soi-disant défense de le faire semble apocryphe et si on peut ne pas être d'accord avec lui quand il déclarait : « La musique, c'est du bruit qui pense... », on est éperdu d'admiration lorsqu'il écrit, parlant de Beethoven, « Ce sourd entendait l'infini... Il semble qu'on voie un dieu aveugle créer des soleils. ». Non, Hugo ne dédaignait absolument pas l'art des compositeurs et il leur a, d'ailleurs, souvent accordé l'autorisation de « musiquer » ses poèmes. Simplement, il était sélectif, c'est la moindre des choses, et il était très attentif à la protection de ses droits, ce que nous ne saurions lui reprocher ! La géniale plume des Chansons des rues et des bois a ainsi rencontré les partitions inspirées de Fauré, Gounod, Reynaldo Hahn, Louis Bessières, ainsi que de Georges Chelon, Colette Magny, Guy Béart, Serge Gainsbourg, et je suis obligé d'en passer beaucoup ! Le proscrit de Guernesey aurait certainement été heureux d'entendre La légende de la nonne et Gastibelza sur les notes et dans la voix du grand Georges. Il est d'ailleurs remarquable de constater qu'un de nos plus grands auteurs de chansons a mis ses mélodies, ses harmonies et ses rythmes au service de beaucoup de grands poètes : outre Hugo, on peut citer Villon, Pierre Corneille (avec l'irrespectueuse collaboration de Tristan Bernard), Lamartine, Musset, Verlaine, Richepin, de Banville, Paul Fort, bien évidemment, Aragon, Francis Jammes et Antoine Pol, poète inconnu qu'il a mis en pleine lumière grâce aux superbes « Passantes ».
Beaucoup d'autres rêveurs de vers ont rencontré en aval le talent de musiciens inspirés. Ainsi, Apollinaire avec Ferré, Ferrat et Perret, Aragon avec les mêmes plus Hélène Martin, Joseph Kosma, Yannis Spanos, Francis Carco avec Jacques Larmanjat, Varel et Bailly, Henri Leca et Kosma, encore lui ! N'oublions pas Paul Eluard, mis en musique par Francis Poulenc, Philippe-Gérard et, tout récemment, pour les Enfoirés, par Marc Lavoine et Richard Mortier, Pierre Mc Orlan, par Léo Ferré, Georges Van Parys et V. Marceau, Verlaine par Brassens, Reynaldo Hahn, Yannis Spanos, déjà cités, et Charles Trenet.
Cette liste, loin d'être exhaustive, n'est qu'un tout petit aperçu de la rencontre si fréquente et si riche entre les poètes et les compositeurs, souvent à travers le temps, avec des réussites majuscules, tel le poème de Marceline Desbordes-Valmore, Les séparés, quelques vers déchirants, fruits d'une déchirure amoureuse, ressuscités par la grâce de la mélodie et de l'interprétation de Julien Clerc et devenus un tube cent cinquante ans plus tard !
Par Claude Lemesle et Romain Bigay.
Poète, dramaturge, prosateur, chroniqueur, feuilletoniste, critique et théoricien de l'art, Guillaume Apollinaire est l'un des grands esprits du début du XXe siècle, dont la vie tout entière est engagée dans le tourbillon de l'Histoire. Celle des avant-gardes artistiques d'un Paris en effervescence, alors épicentre mondial de la modernité mais aussi, malheureusement, de la folie des Hommes qui mène à la Première Guerre mondiale.
Il naît le 26 août 1880 à Rome, en Italie. Père inconnu, supposément un officier italien, mais mère détonante pour l'époque. Paul Léautaud, dans son célèbre Journal, écrit d'elle : « Exubérante. Une de ces femmes dont on dit qu’elles sont un peu « hors cadre ». En une demi-heure, elle me raconte sa vie : russe, jamais mariée, nombreux voyages, toute l’Europe ou presque. (Apollinaire m’apparaît soudain ayant hérité en imagination de ce vagabondage.) ». En 1885, elle s'installe, avec ses enfants, à Monaco, puis à Nice. En 1899, c'est à Paris, où il travaille comme employé de banque pour subvenir à ses besoins, qu'il décide de consacrer plus de temps à l'écriture de poèmes, commencée quelques années plus tôt. De 1901 à 1902, alors précepteur en Allemagne, il découvre les paysages et les légendes de Rhénanie, qui inspireront ses écrits. À son retour à Paris, il fréquente les milieux artistiques, et commence à vivre de ses textes, poétiques et journalistiques. Il se lie d'amitié avec de nombreux écrivains et peintres, comme le Douanier Rousseau, Maurice de Vlaminck ou encore Pablo Picasso. C'est ce dernier qui lui présente la peintre Marie Laurencin, avec qui il vit un amour passionné mais chaotique. En 1911, il publie son premier recueil de poèmes, Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée. En 1913, les éditions du Mercure de France éditent Alcools, qui compile ses poèmes écrits depuis 1898. Engagé volontaire pour défendre la France dès 1914, il est blessé à la tempe par un obus, quelques jours après sa naturalisation en mars 1916. Mais c'est la grippe espagnole qui l'emporte en novembre 1918, quelques mois après la parution de ses Caligrammes.
Voyage, vagabondage, mélange des langues, la poésie d'Apollinaire hérite de cette musicalité naturelle au rythme parfois coulant, parfois changeant, souple comme l'eau qui coule sous le Pont Mirabeau. Plus encore peut-être que tout autre poète, il était fait pour être mis en musique. Il suffit de l'écouter réciter son plus célèbre poème pour le comprendre. La voix, enregistrée le 24 décembre 1913 aux Archives de la parole, est traînante, presque hypnotique. Et l'écriture épouse la forme d'une chanson, avec le refrain qui revient : « Vienne la nuit sonne l'heure/ Les jours s'en vont je demeure ». Léo Ferré lui donne une orchestration dans laquelle l'accordéon adopte un rythme lancinant, comme celui de l'orgue de barbarie, instrument des rues de Paris, où le pont fut construit entre 1893 et 1896, à peine 20 ans avant la première parution du poème en 1912 dans la revue Les Soirées de Paris. Léo Ferré mettra également en musique Automne malade, La Chanson du mal-aimé ou L'affiche rouge.
Chantre des avant gardes artistiques (cubisme, dadaïsme, futurisme...), c'est un précurseur du surréalisme, dont il invente le nom dans Les Mamelles de Tiresias. Dans l'effervescence du Paris du début du XXe siècle, il se lie aussi d'amitié avec de nombreux musiciens, comme Erik Satie ou le Groupe des 6. Francis Poulenc, Louis Durey, Arthur Honegger et Germaine Tailleferre seront les premiers à mettre ses textes en musique. Tout au long du XXe siècle, ils sont nombreux à donner voix aux mots d'Apollinaire, d'Yves Montand à Bernard Lavilliers, en passant par Jean Ferrat, Serge Reggiani et Pierre Perret.
Plus surprenant encore, Le Pont Mirabeau a aussi inspiré DJ Spooky qui, en 2003, sample la voix d'Apollinaire sur une expérimentation sonore mêlant nappes d'ambiance et musique gnawie.
En 2015, Desireless, l'interprète du titre culte Voyage, voyage, écrit un album acoustique inspiré de l'oeuvre d'Apollinaire, sur lequel Jean-Christophe Magnin prête sa voix au poète. Le disque est prolongé par un spectacle de théâtre musical mettant en scène la marionnette du fantôme du poète. Plus d'un siècle après sa mort, il est toujours chanté. Les jours, les années, les siècles s'en vont, la poésie d'Apollinaire demeure.
Dans ce formulaire d'adhésion aux statuts de la Sacem, l'on apprend que les œuvres d'Apollinaire, décédé le 9 novembre 1918, ont été admises au répertoire à titre posthume, par décision du Conseil d'administration en date du 4 décembre 1946. C'est sa veuve, Jacqueline Kolb, La Jolie rousse du poème, qui en fait la demande. On lui doit de nombreuses publications et republications posthumes de l'œuvre du poète.
Dadaïste, surréaliste, communiste, résistant, toutes les vies de Louis Aragon ont été placées sous le signe de l'engagement, sans concession, au rythme des événements du siècle. Son œuvre, poétique, romanesque et journalistique porte la marque de cette exigence intellectuelle et politique, parfois clivante. Mais la langue d'Aragon fait l'unanimité. Son lyrisme, sa sentimentalité, puis son classicisme rassembleur se prêtent à merveille à une mise en musique.
Né en 1897 à Paris, d'un amour
adultérin entre Louis Andrieux, ex-préfet de police et Marguerite Toucas-Massillon,
il passe son enfance à Neuilly-sur-Seine. Sur les bancs de l'école, il côtoie
Henri de Montherlant et Jacques Prévert. Pendant ses études de médecine, il
rencontre André Breton et Philippe Soupault. Avec Tristan Tzara et Paul Éluard,
ils seront les figures de proue du mouvement surréaliste.
Mobilisé en 1917 et
envoyé au front en 1918, la guerre laisse des traces indélébiles dans son
esprit, et dans ses écrits. Après-guerre, il publie ses premiers recueils, dans
le Paris dandy des années folles. Feu de joie sort en 1920, et il se
jette à pleins vers dans l'aventure surréaliste à partir de 1924, renonçant en
même temps à sa carrière médicale. Son adhésion au Parti communiste en 1927,
dans le sillage d'André Breton, marque un tournant dans la vie d'Aragon. Juste
avant la seconde guerre mondiale, il épouse Elsa Triolet, rencontrée 11 ans
auparavant. Résolument engagé dans la résistance, à l'instar de Robert Desnos
et de Paul Éluard, il revient après-guerre à une poésie plus classique,
largement inspirée par l'amour qu'il voue à Elsa Triolet, première femme à
remporter le Prix Goncourt en 1941 (Le Crève-coeur en 1941, Les Yeux
d'Elsa en 1942, Le Fou d'Elsa en 1963, Il ne m'est Paris que
d'Elsa en 1964). Jusqu'à sa mort en 1982, il ne cessera d'écrire romans,
nouvelles, poésie et essais.
Francis Poulenc compose en 1943 des mélodies sur deux poèmes tirés des Yeux d'Elsa, mais la première mise en chanson est l'oeuvre de Georges Brassens, 10 ans plus tard, avec Il n'y a pas d'amours heureux. À fin des années 50, ses poèmes sont mis en musique par Léo Ferré. Ce dernier a déjà mis Baudelaire en musique en 1957 avec son album dédié aux Fleurs du mal, mais le succès est mitigé. En 1961, alors en pleine ascension, il s'attaque à cet autre monument de la poésie française et contribue grandement à la diffusion auprès du grand public de l'œuvre de Louis Aragon. Il enregistre le disque Les Chansons d'Aragon sur lequel figure l'un des grands succès du poète et chef d'orchestre anarchiste. Le texte, c'est celui du poème Bierstube magie allemande présent dans le recueil Le Roman inachevé (1956), dont la lecture marqua profondément Ferré. Celui-ci prend deux vers de la quatrième strophe pour refrain : « Est-ce ainsi que les hommes vivent / Et leurs baisers au loin les suivent ». Elle connaît par la suite de nombreux interprètes, comme Catherine Sauvage, Yves Montand, Philippe Léotard, Marc Ogeret, Sapho ou encore Bernard Lavilliers. Plus près dans le temps, Les Hurlements d'Léo ou encore Thomas Dutronc feront swinguer cette chanson intemporelle.
S'il fut chanté par l'anarchiste Ferré, il le fut également, affinité communiste oblige, par Jean Ferrat, qui tout au long de sa carrière, prêtera sa voix aux vers d'Aragon. En 1971, Jean Ferrat sort une compilation de ses mises en musique des textes d'Aragon réalisées au fil de la décennie précédente. La direction musicale est confiée à Alain Goraguer. Certains poèmes figurent même parmi les plus grands succès du chanteur ardéchois, comme Aimer à perdre la raison. Adaptation du poème La Croix pour l’ombre, c'est une ode à l'amour comme remède face aux maux du monde. Cet amour, c'est bien évidemment celui d'Elsa Triolet. Dionysos donnera des accents rock à ce classique dans l'album hommage sorti en 2015, cinq ans après la mort de Jean Ferrat.
En 1994, Ferrat sort un deuxième disque de mise en musique, dans lequel on retrouve notamment La Complainte de Pablo Neruda, sur un air aux accents andins : un poète chante un poète, qui écrit sur un autre poète, ou la rencontre de trois exigences et d'un engagement commun(iste) : leur « résidence est la terre et le ciel en même temps / Silencieux solitaire(s), et dans la foule chantant ».
Le 12 octobre 1944, Louis Aragon envoie à la Sacem une demande d'adhésion en qualité d'auteur. Parmi la vingtaine d'œuvres mentionnées (Les Yeux d'Elsa, Le Crève-coeur, Hourra l'Oural, Cantique à Elsa, France, écoute...), une apparaît comme mise en musique par le compositeur Francis Poulenc (Deux poèmes) et deux par Louise Simon (Rose et la réséda, Richard II quarante).
Romancier, poète, conteur, critique et journaliste, mais aussi parolier à ses heures perdues, Francis Carco mit sa plume au service des minorités, des prostituées et des mauvais garçons. Avec bienveillance, sans jamais juger, toujours à la recherche de l'étincelle d'humanité cachée sous la noirceur des rues obscures et du désespoir.
Francis Carco est né à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) en 1886. Ces premières années sur l'île pénitentiaire, où il voit passer les défilés de bagnards, le marquent profondément, et sont sûrement à l'origine de son penchant pour les marginaux et les voyous. Sa jeunesse se passe ensuite en métropole, entre la Bourgogne et l'Ardèche, au gré des mutations de son père, Inspecteur des domaines de l'État. Face à la violence physique et verbale de ce dernier, le jeune Carco se réfugie dans l'écriture. En 1910, il s'installe sur la butte Montmartre. Au cabaret Le Lapin agile, il rencontre le Paris bohème et se lie d'amitié avec Pierre Mac Orlan, Guillaume Apollinaire, Max Jacob, Maurice Utrillo, Amedeo Modigliani, Colette et Katherine Mansfield.
En 1912, il publie son premier recueil La Bohème et mon cœur, après s'être éloigné des plaisirs et de la débauche parisienne, puis Chansons aigres douces l'année suivante. Son premier roman Jésus-la-caille, sort en 1914 au Mercure de France. Il y raconte les (més)aventures d'un jeune gigolo de la Butte au milieu de la faune interlope haute en couleurs des bas-fonds des faubourgs. Mobilisé la même année en tant qu'intendant des postes, il se fait remarquer pour écrire régulièrement des poèmes sur les enveloppes des lettres qu'il apporte aux soldats. Dans l'entre-deux guerres, il publie deux autres de ses romans les plus célèbres : L'Homme traqué (1922), pour lequel il obtient le Prix de l'Académie française et Rue Pigalle (1927). Ses livres sont diversement accueillis par la critique, mais sont des succès de librairie. En précurseur de Céline ou de Frédéric Dard, ses histoires ont l'odeur sulfureuse de la rue, du crime crapuleux et de l'amour vénal, sur fond de drogue et de petites arnaques. Élu en 1937 à l'académie Goncourt, il continue d'écrire jusqu'à sa mort en 1958. Son œuvre est riche d'une centaine de romans, reportages, recueils de poésies, pièces de théâtre mais aussi de chansons !
La musique est omniprésente dans le Paris bohème du début du XXe siècle. C'est d'ailleurs en poussant lui-même la chansonnette au Lapin agile qu'il s'attire la sympathie, puis l'amitié, des artistes qui fréquentent le célèbre cabaret. Il écrit aussi quelques chansons. Le Doux caboulot et Chanson tendre sont mis en musique par le compositeur et directeur de théâtre Jacques Larmanjat. Dans les années 30, la première est chantée par Marie Dubas, Jean Sablon ou Suzy Solidor, et la seconde par Fréhel en 1935. Carco les chante à l'occasion. Elles connaîtront par la suite de nombreux interprètes célèbres, comme Tino Rossi, Cora Vaucaire, Yves Montand, Colette Renard, Francis Lemarque ou Juliette Gréco. L'Orgue des amoureux, mis en musique par le duo de chansonniers Varel et Bailly est interprété par Édith Piaf en 1949.
Joseph Kosma, le célèbre compositeur et complice de Jacques Prévert, écrit la musique de l'adaptation au théâtre de Jésus la Caille, notamment la chanson éponyme en 1952 et met en musique Bonjour Paris en 1955. Henri Leca adapte également quelques textes de Carco.
Le 11 mars 1924, Francis Carco, dont l'œuvre poétique et romanesque est déjà riche, adresse à la Sacem une demande d'adhésion en qualité d'auteur. Il demeure alors au 21 rue de Douai, à proximité de la place Pigalle.
« Sur mes cahiers d'écolier / Sur mon pupitre et les arbres / Sur le sable et sur la neige / J'écris ton nom ». Qui n'a pas appris, ou lu ces vers, au moins une fois ?
Né Eugène Grindel à Saint-Denis à côté de Paris en 1895, Paul Éluard illustre superbement la phrase chère à Gilles Deleuze : « petite santé, grande vie ». Atteint de tuberculose à l'adolescence, il multiplie les séjours en sanatorium, notamment en Suisse, où le destin place sur son chemin Helena Diakonova, qu'il renomme Gala. L'esprit vif, la culture affutée et le caractère affirmé de la jeune femme subjugue le jeune Éluard et inspire sa poésie.
Mobilisé en 1914, sa santé fragile l'éloigne vite du front, ce qui lui permet d'épouser Gala en 1916. Mais pour lui aussi, l'expérience de la guerre est un traumatisme qu'il tente d'oublier dans l'absurdité, la folie et la drôlerie du mouvement Dada, dans lequel il se jette à corps perdu. Il est de toutes les extravagances dadaïstes. Avec Aragon et Breton, il adhère au Parti communiste en 1927. Les années 20 le voient également publier deux de ses recueils les plus importants : Capitale de la douleur (1926) et L'Amour la poésie (1929). Mais la décennie se termine encore au sanatorium pour Éluard.
Les années 30 sont marquées par l'amour pour sa nouvelle compagne, Nusch, et par ses engagements contre le colonialisme et le fascisme qui grondent en Europe. Pendant la Seconde guerre mondiale, ses poèmes de résistance sont publiés clandestinement. Celui dont les poumons fragiles lui ont joué des tours tout au long de sa vie a pourtant soufflé le vent de la révolte, quand son célèbre poème Liberté, écrit en 1942, est parachuté par l'aviation anglaise dans le ciel de la France occupée. Fêté à la Libération comme le grand poète de la Résistance, avec Aragon, sa poésie d'après-guerre accompagne son engagement pour la Paix. Il meurt en 1952 d'une crise cardiaque. Comme l'écrivit Robert Sabatier : « ce jour-là, le monde était en deuil ».
Le Paris bohème de l'entre-deux-guerres est un petit monde où se côtoient écrivains, poètes, peintres et musiciens. Comme Apollinaire ou Max Jacob, Paul Éluard est mis en musique par le compositeur Francis Poulenc. Dans son cycle de neuf mélodies pour voix et piano Tel jour, telle nuit, il donne ainsi corps à des poèmes tirés du recueil Les Yeux fertiles (1936).
En 1967, Yves Montand, habitué à
prêter sa voix aux poètes dadaïsto-surréalistes, chante Je t'aime, mis
en musique par Maurice Philippe-Gérard. Éluard sera, comme ses condisciples
surréalistes, chanté par Juliette Gréco, sur une musique de Yanis Spanos
(1969) et par Catherine Sauvage dans ses Chansons libertines (1969). En
1977, l'auteur compositeur argentin Jairo, mondialement célèbre pour son duo
avec Nana Mouskouri, Cucurucucu Paloma, reprend le texte. C'est
d'ailleurs le succès immédiat de cette chanson qui lui permet de sortir la même
année l'album Liberté, sur lequel figure le poème d'Éluard.
Des
décennies plus tard, le duo stéphanois autoproduit Cassandre connaît le succès
grâce à ce poème. En 2016, dans un contexte post-attentats lourd, l'adaptation
par Marc Lavoine pour les Enfoirés trouve un écho populaire fort. Quarante personnalités, de Sophie Marceau et Gérard Jugnot à Patrick Bruel et
Jean-Jacques Goldman, en passant par Francis Cabrel, Louane, Soprano ou encore
Zazie et Vanessa Paradis, rappellent ainsi que, quelles que soient les
épreuves, nous sommes toutes et tous nés « pour te connaître / pour
te nommer / Liberté ».
Le 12 octobre 1944, Paul Éluard adhère à la Sacem en qualité d'auteur.
Il réside rue Marx Dormoy, dans le 18e arrondissement de Paris. La Sacem se trouve alors dans le 9e arrondissement, rue Chaptal, à deux pas de la place Pigalle. La butte Montmartre est toujours à cette époque l'épicentre de la vie artistique et bohème parisienne.
D'abord tenté par la peinture, Pierre Mac Orlan est un amoureux de l'art pas si mineur qu'est la chanson, dont les héros sont pour lui François Villon et Aristide Bruant. Passionné depuis son plus jeune âge, il envoie ses premiers poèmes de lycéen au célébrissime chansonnier à l'écharpe rouge.
Il arrive à Paris en 1899. Comme tous les artistes désargentés, c'est à Montmartre qu'il échoue, fréquentant le Zut, cabaret et point de ralliement des anarchistes parisiens. Après la fermeture de celui-ci par la police, comme une évidence, c'est au Lapin agile qu'il se lie d'amitié avec Apollinaire. S'il écrit des poèmes d'inspiration symboliste, c'est d'abord le pinceau qui le tente. En grand amateur de rugby, ses toiles, toutes perdues, ont pour sujet le sport, en particulier le rugby, dont il aimerait être le Toulouse-Lautrec. Le succès n'est pas au rendez-vous, et le jeune bohème se retrouve vite sans-le-sou. Entre petits boulots pour les imprimeurs et petite truande avec les apaches, le jeune Pierre Dumarchey vivote, et en dépit de quelques éclaircies éparses, se retrouve quasiment à la rue... C'est à cette époque qu'il choisit le nom de Mac Orlan, à l'origine floue. À côté de la peinture et des illustrations, il tente de vendre ses chansons.
C'est par l'intermédiaire de Roland Dorgelès qu'il rencontre Gus Bofa, qui dirige la revue Le Rire. C'est lui qui l'oriente vers l'écriture, notamment de nouvelles humoristiques. En 1912, il publie son premier roman d'inspiration dadaïste, La Maison du retour écoeurant. Puis vint la guerre, il est mobilisé en 1914 et blessé lors de la bataille de la Somme en 1916, il ne retourne plus au front ensuite. Dans l'entre-deux guerres, il continue son activité d'écrivain et de journaliste, et devint éditeur, publiant les textes de ses amis Francis Carco ou André Salmon. Il écrit en 1927 son roman le plus célèbre, Le Quai des brumes, que Marcel Carné adaptera au cinéma en 1938.
Toute sa jeunesse, Mac Orlan a écrit des chansons vendues au feuillet, pour survivre, et s'inscrit en 1936 à la Sacem comme auteur. Mais ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale, à partir de 1947, qu'il accorde une véritable place à la chanson dans ses activités créatrices, et devient parolier. Ses chansons, une soixantaine au total, sont publiées dans deux recueils : Chansons pour accordéon (1953) et Mémoires en chansons (1965). Homme de radio, il consacre dans les années 1950 de nombreuses émissions à l'histoire de la chanson populaire, et s'intéresse aux « jeunes pousses » du métier, de Félix Leclerc à Georges Brassens.
Quelques-unes de ses chansons deviennent de beaux succès, comme La Chanson de Margaret, chantée en 1952 par Germaine Montero, puis enregistrée dans les années 50 par Marie Dubas, Monique Borelli, Barbara et Juliette Gréco, qui interprètera également Jean de la Providence de Dieu, puis par Catherine Sauvage en 1968, qui prêtera aussi sa voix à La Fille des bois. Elle sera reprise dans les années 1990 par Mistigri (1992) puis Françoise Kucheida (1996).
En 1964, l'album Juliette Gréco chante Mac Orlan obtient le Grand Prix du disque de l'Académie Charles-Cros.
Germaine Montero chante La Fille de Londres, que Mac Orlan écrit avec le célèbre accordéoniste Marceau Verschueren, dit V. Marceau. Ce denier fut un complice privilégié du Mac Orlan parolier, et met en musique nombre des chansons pour accordéon. Yves Montand, les Frères Jacques ou encore Francesca Solleville chanteront également les textes de ce poète qui entretiendra toute sa vie le mystère autour de sa personne et de son existence, allant jusqu'à brûler l'intégralité de ses correspondances. Pour percer son secret, peut-être faut-il songer à ce qu'il confie dans ses Mémoires en chansons, écrites en 1962 : « pour moi, écrire des chansons, c'est écrire mes mémoires ».
Pierre MacOrlan demande à adhérer à la Sacem en qualité d'auteur le 28 octobre 1936. Il se présente comme « Homme de lettres » de profession et peut se prévaloir de nombreuses distinctions et appartenances (Officier de la légion d'Honneur, membre de la SACD, de la SGDL …).
Parmi la trentaine d'œuvres revendiquées, on peut citer le recueil de ses poésies complètes, mais aussi de nombreux romans et essais. Pierre bayle est l'un de ses deux parrains.
S'il a publié au cours de sa vie six recueils de poésies, c'est pour un poème, mis en musique par Georges Brassens, qu'Antoine Pol est passé à la postérité.
Antoine Pol est né à Douai le 23 août 1888. Centralien, ingénieur des Arts et Manufactures, il combat comme capitaine d'artillerie pendant la Première Guerre mondiale, puis entre au service des mines de La Houve à Strasbourg en 1919. S'il publie plusieurs recueils au cours de sa vie, et ce, dès son plus jeune âge, c'est quand sonne l'heure de la retraite, après une carrière de dirigeant d'entreprise, qu'il peut enfin consacrer son temps à sa passion de toujours, la poésie.
C'est dans son tout premier recueil, Émotions poétiques, publié en 1918, que se trouve le poème qui, par sa mise en chanson, va faire connaître Antoine Pol : Les Passantes. On est au début des années 1940, et le jeune Georges Brassens, 20 ans à peine, découvre ce texte, au hasard des bacs de bouquinistes des puces, qu'il fréquente régulièrement. Séduit par cette ode à la Femme, il en fait plusieurs versions, remanie la musique et les arrangements, sans toutefois être satisfait. Ce n'est que bien plus tard, en 1969, qu'il se décide à l'enregistrer. Il demande alors à ce que l'on retrouve l'auteur du texte, pour lui demander son autorisation, mais sans succès. L'enregistrement n'aura donc pas lieu. Ce n'est que deux ans plus tard qu'Antoine Pol, souhaitant publier un livre sur Brassens, contacte Pierre Onténiente, le secrétaire et homme de confiance du poète à la pipe et à la moustache. Il découvre alors, ravi, l'existence de la version de son poème mis en musique. Une rencontre est programmée entre les deux hommes, mais Antoine Pol décède dans l'intervalle. En décembre 1972, Brassens la joue pour la première fois sur la scène de Bobino.
La chanson est par la suite reprise et adaptée de nombreuses fois, dans des styles variés. Maxime Le Forestier, Francis Cabrel et Philippe Léotard l'ont ainsi chantée. Dans le cadre de l'album en hommage à Brassens Les Oiseaux de passage, paru en 2001, Lofofora en livre même une version metal. Et plus tard, Jehro lui donne des accents reggae. Elle traverse également les frontières, traduite en anglais par Graeme Allwright, puis par Iggy Pop, sur une adaptation d'Andrew Kelly, The Passers by (qui en livre également une version française très... originale).
Sur la demande d'adhésion à la Sacem d'Antoine Pol en qualité d'auteur, il est précisé, à la main, à propos des Passantes : « Le poème de M. Antoine Pol, mis en musique par Georges Brassens, est exécuté tous les soirs à Bobino depuis le 10/10/1972 jusqu'au 10/01/1973 et sera gravé sur le prochain 33 tours de Georges Brassens ». Aucune autre œuvre n'est mentionnée. Vous avez dit One hit wonder ?
Est-il seulement besoin de présenter Paul Verlaine ? Il est la figure absolue du poète maudit, dont la vie, indissociable de son œuvre, s'effondre sous le poids d'un génie si puissant qu'il ne peut qu'être incompris par son temps.
Cette vision de la création comme nécessaire sacrifice de soi, avec son inévitable lot de souffrances et de flirt permanent avec les limites, a construit une image d'Épinal à laquelle nombre d'artistes du XXe siècle ont donné corps. Du peintre excentrique à la rock star torturée, du jazzman solaire à la vie dissolue au chansonnier un peu fou qui chante l'amour et le désespoir, son aura dépasse toutes les frontières, géographiques et artistiques. Et cette conception de l'art, qui ne peut s'accomplir qu'en payant son tribut sur l'autel de l'autodestruction, continue d'inspirer encore aujourd'hui.
Né en 1844 à Metz, admirateur de Baudelaire, il s'essaye très jeune à la poésie. À peine âgé de 22 ans, il publie son premier recueil, le plus célèbre, Poèmes saturniens, à compte d'auteur en 1866. Sa vie bascule au moment des événements de la Commune, qu'il soutient en s'engageant dans la garde nationale sédentaire. Mais c'est la rencontre en septembre 1871 avec Arthur Rimbaud, étoile filante de la poésie, qui bouleverse sa vie. Leur relation amoureuse, tumultueuse, passionnée, puissante, violente, aux relents d'opium et d'absinthe le conduit aux portes de la folie, et en prison en 1873. Derrière les barreaux, il tente d'oublier celui qui a ruiné sa vie, et se tourne vers la religion. Il y écrit des poèmes qui prendront place dans ses derniers recueils : Sagesse (1880), Jadis et Naguère (1884), Parallèlement (1889) et Invectives (1896), puis dans ses Œuvres posthumes. Libéré deux ans plus tard, il ne reverra Rimbaud qu'une seule et dernière fois, mais participera activement à faire publier et connaître son œuvre. Les années qui suivent lui offrent un peu de répit. Il s'installe même quelques temps à Londres. Mais ses démons finissent par le rattraper, et la décennie suivante sera faite d'alcool, de crises violentes et de séjours en prison. Il termine sa vie dans la déchéance, traînant son spleen dans les rues et les cafés, tel un clochard céleste en rupture totale avec son époque, jusqu'à sa mort en 1896.
Verlaine est probablement l'un des poètes qui a été le plus mis en musique, à toutes les époques, et dans une diversité esthétique qui va de la musique classique au rock en passant par le jazz et, bien sûr, la chanson. Dès la fin du XIXe siècle, des compositeurs de musique classique s'attaquent aux poèmes de Verlaine, comme Claude Debussy (Clair de lune en 1882, Fêtes galantes en 1892), Gabriel Fauré (Spleen en 1888, La Bonne chanson en 1894) ou Maurice Ravel (Un grand sommeil noir en 1895). Arthur Honneger, Darius Milhaud, Edgard Varèse et Igor Stravinsky également. Plus près dans le temps, en 2015, le contre-ténor français Philippe Jaroussky livre Green, un double album des mélodies françaises sur des poèmes de Verlaine où l'on retrouve de nombreuses mises en musique des compositeurs classiques et de chanson.
Les grands noms de la chanson ont d'ailleurs également prêté leur voix aux vers de Verlaine : Georges Brassens, Maxime Le Forestier et Serge Lama (Colombine, en 1956), Léo Ferré (Soleils couchants), Moustaki et Serge Reggiani (Gaspard), Juliette Gréco (Le Petit berger). En 1969, comme un symbole, Catherine Sauvage, dans son album Chansons libertines, rend hommage à un aspect moins connu de l'œuvre de Verlaine, ses poèmes érotiques, avec Pensionnaires. En 2011, le groupe Chanson plus bifluorée, dans un album qui s'éloigne de leurs habituelles envolées humoristiques et parodiques, a mis en musique Gaspard Hauser chante, où Verlaine raconte l'histoire tragique du célèbre orphelin bavarois.
C'est d'ailleurs la version mise en musique par Charles Trenet en 1941 de La chanson d'automne (dont le texte diffère légèrement du poème original, publié dans les Poèmes saturniens en 1866), qui sera utilisée par Radio Londres le 5 juin 1944, non pas pour annoncer le débarquement à l'ensemble de la Résistance française comme le veut la légende, mais pour donner l'ordre de sabotages ferroviaires. Le poème sera également adapté par Jacques Higelin (Les Sanglots longs).
S'il a été chanté, Verlaine a également directement inspiré de nombreux textes de chansons, comme le Pauvre Verlaine d'Adamo, L'enterrement de Verlaine de Georges Brassens ou Pauvre Lelian d'Allain Leprest. Le plus célèbre des hommages est probablement l'œuvre de Serge Gainsbourg, qui utilise certains vers de La Chanson d'automne pour écrire l'un des plus beaux textes de rupture amoureuse : « comme dit si bien Verlaine, au vent mauvais, je suis venu te dire que je m'en vais ». Autant que son œuvre, sa vie a inspiré de nombreux artistes maudits. La jeunesse créatrice, l'alcool, la drogue, les confins de la folie, la crise mystique et la rédemption par le retour à la foi, il y a incontestablement du Verlaine chez Daniel Darc. Tom Verlaine, guitariste et chanteur du groupe américain Television, décédé en janvier 2023, avait choisi son nom de scène en hommage à l'auteur des Poèmes saturniens. Ce ne sont que quelques exemples des plus de 700 artistes et 1500 morceaux inspirés par l'œuvre du poète... Et son aura n'est pas près de s'estomper.
Le 11 avril 1895, sous les bons auspices de Victor Souchon et des éditions Henri Tellier, Paul Verlaine sollicite son adhésion en qualité d'auteur à la Sacem. Les nombreuses œuvres mentionnées ont été mises en musique par Gabriel Fauré Reynaldo Hahn ou encore Gustave Charpentier.