exposition
Arthur Rimbaud dans sa lettre du 15 mai 1871 à Paul Demeny, dite « Lettre du voyant » : « ...Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. ». Une semaine avant l'atroce semaine sanglante qui devait mettre fin aux rêves de la Commune, « l'homme aux semelles de vent » affirmait ainsi sa vision révolutionnaire de la poésie.
On peut considérer sans grand risque de se tromper quelques plumes «destroy» contemporaines comme trempées dans la même encre que la sienne. C'est clairement le cas de Philippe Léotard, homme de tous les excès, artiste de toutes les exceptions, comédien, chanteur, auteur de fulgurances qu'il lançait lui-même comme une grande révérence à l'amour et un grand bras d'honneur à la mort. Grand Prix Sacem des Poètes en 1997, il était l'incarnation majuscule du « Voyant » rimbaldien.
Et Allain, l'immense Allain Leprest, notre Rimbaud à nous, Grand Prix lui-même en 2009, deux ans avant qu'il ne décide de confier à la corde son désespoir devenu trop brûlant. Allain, l'irremplaçable, mis en musique par Jean Ferrat, Romain Didier, Richard Galliano, entre autres, et chanté par Isabelle Aubret, Francesca Solleville, Enzo Enzo, Juliette Gréco, Jean Ferrat, Christophe, Hervé Vilard, Michel Fugain... J'en passe, il y en a eu beaucoup et il y en aura beaucoup d'autres. De grands comédiens ont choisi de dire ses textes, tels Jean-Louis Trintignant et Philippe Torreton. Ils seront nombreux à les suivre. La reconnaissance posthume de Leprest ne fait que commencer. J'ai terminé mon hommage, le 23 août 2011, au cimetière d'Ivry par ces mots : « Au revoir et merci, Allain. Le soleil de ta vie s'est couché. L'étoile de ton destin se lève. J'espère que l'avenir saura te mériter ». Je n'en retire pas un mot, et c'est en train de se réaliser...
Arthur lui-même a inspiré les compositeurs : Charles Trenet, Léo Ferré, Louis Bessières, Mouloudji, Catherine Le Forestier, Hubert-Félix Thiéfaine. Il a été une icône pour Jim Morrison et Patti Smith et je n'oublie pas la façon dont le grand Serge Reggiani lançait « Le dormeur du val » juste avant de chanter « Le déserteur » de Boris Vian. Immense émotion ! Oui, j'en suis sûr, les enfants d'Arthur auront la peau dure...
Par Claude Lemesle et Romain Bigay.
Si l'on demande à n'importe qui de ne nommer qu'un seul poète, il y a des chances que Rimbaud soit le plus cité. Génie précoce, incarnation de l'adolescence rebelle et fugueuse, figure éclatante du poète maudit, qui a inspiré, et continue d'inspirer, des générations entières de créateurs et créatrices, il trône tout en haut du panthéon poétique.
Né en 1854 à Charleville, Rimbaud est et restera éternellement le jeune homme ébouriffé, évidemment pas sérieux, mais pourtant grave, de 17 ans, immortalisé par le photographe Étienne Carjat en 1871, alors que sa vie prendra des détours aventureux, parfois loin de l'écriture, jusqu'à sa mort en 1891. Son influence est majeure sur la poésie du XXe siècle, quelle qu'en soit la forme et le mode d'expression, et touche tous les domaines de la création. Au-delà de son génie littéraire, c'est aussi sa personnalité singulière et son parcours de vie atypique qui nourrissent l'imaginaire des artistes qui font œuvre de poésie depuis son passage sur cette Terre, et qui entretiennent la légende.
Ses plus célèbres poèmes ont été mis en musique et chantés par les plus grands : Le Dormeur du val, évidemment, par Yves Montand ou Serge Reggiani, On n'est pas sérieux quand on a 17 ans par Léo Ferré, Le Bateau ivre par le même Ferré ou Philippe Léotard, Les Jardins Sauvages par Hubert-Félix Thiéfaine, Les Corbeaux par Mouloudji, Sensation par Jean-Louis Aubert, Chanson De La Plus Haute Tour par Catherine Le Forestier ou Les Frères Jacques... Aux États-Unis, La beat generation, puis les artistes rock des années 1960 revendiquent également son héritage, de Bob Dylan à Jim Morrison en passant par Patti Smith, qui lui dédie son album Radio Ethiopia.
Il est également abondamment cité dans les textes des autres, comme par Michel Sardou dans la chanson Rouge. Transcendant le temps et les générations, il l'est également par de nombreux rappeurs, comme MC Solaar dans La Concubine de l'hémoglobine. Booba le cite même comme source d'inspiration majeure de son écriture, marqué, comme nombre d'entre nous, par la découverte sur les bancs de l'école de cette œuvre unique. Les illuminations de l'homme aux semelles de vent n'ont pas fini de faire écrire, et chanter, pour le plus grand bonheur de tous les amoureux de la poésie. Si tout le monde peut se sentir un « enfant d'Arthur », certains ont porté haut son héritage littéraire.
Le 18 octobre 1950, le compositeur Louis Bessières adresse à la Sacem un bulletin de déclaration d'une œuvre. Il a mis en musique l'un, si ce n'est le plus connu des poèmes écrit en langue française, celui que tout enfant francophone a appris au moins une fois dans sa scolarité. Il s'agit bien sûr du Dormeur du val, dans la version chantée par Yves Montand.
Acteur, poète, chanteur, Philippe Léotard était un écorché vif. Solaire, magnétique, insolent, sa part d'ombre a fini par le rattraper, comme en son temps Rimbaud. Un poète oui, mais pas maudit, naviguant dans toutes les eaux de la création. De ceux qui aiment la vie, quitte à la brûler par les deux bouts.
L'enfance de Philippe Léotard, né en 1940 à Nice, est marquée par la maladie de Bouillaud. Alité, affaibli, il se plonge alors dans la lecture de Rimbaud, Baudelaire, Lautréamont, Hugo, Flaubert. Ce goût de la poésie et de la littérature l'amène à suivre des études de lettres, après avoir abandonné la légion étrangère, dans laquelle il s'était engagé à ses 18 ans. C'est d'ailleurs à la Sorbonne, dans l'atelier de l'Association théâtrale des étudiants de Paris, qu'il rencontre Ariane Mnouchkine, avec laquelle il fonde le Théâtre du Soleil en 1964. En parallèle, il devient professeur de lettres au collège Sainte-Barbe. À partir de 1970, il entame une prolifique carrière d'acteur au cinéma, qui le verra tourner avec François Truffaut, Claude Sautet, René Vautier, Maurice Pialat, Claude Lelouch, Patrice Chéreau, Bertrand Tavernier, Jacques Doillon ou encore Agnès Varda, Jean-Pierre Mocky et Marco Ferreri.
Au début des années 1990, il ajoute une corde à son arc artistique, en s'essayant à la chanson. Sa voix rauque, éraillée par les excès, porte à merveille des textes profonds sur des musiques surprenantes, qui reflètent les états de son âme errante. L'album À l'amour comme à la guerre sort en 1990. Sur un air reggae et une diction très « nougariennne », Ch'te play plus se fraye même un chemin jusqu'aux ondes radio.
En 1994, c'est un hommage qu'il rend, au poète anarchiste disparu un an plus tôt, Léo Ferré. L'album Philippe Léotard chante Ferré reçoit le Grand-Prix de l’Académie Charles-Cros. Sur scène, il chante aussi Brassens, et donne vie aux mots de Rimbaud et de Verlaine, accompagné par l'accordéon de Philippe Servain. Ses lectures poignantes du Bateau ivre confirment qu'en plus d'être un poète, Philippe Léotard est aussi un grand interprète. Deux autres albums suivront : Je rêve que je dors en 1996 et Demi-mots amers en 2000. En 1997, il reçoit le Grand Prix Sacem Des Poètes, en même temps de Pierre Delanoé.
En 2001, à peine âgé de 60 ans, l'auto-proclamé « ministre de la défonce », en référence à son frère, François Léotard, qui fût ministre de la Défense de 1993 à 1995, succombe à une vie d'excès.
Ce reggae aux accents « nougarriens », mis en musique par Philippe Servain, est sorti (et déposé à la Sacem, comme en atteste le tampon sur la partition) en 1990. C'est le titre phare d'À l'amour comme à la guerre, premier album de Philippe Léotard.
Allain Leprest est un ovni. De ceux qui traversent le ciel sans se faire remarquer des foules, mais qui laissent dans le ciel de ceux qui ont su voir, et entendre, une marque indélébile.
Allain Leprest naît en 1954 dans une famille modeste de la Manche. S'il prépare un CAP de peintre en bâtiment, il sait très tôt, dès sa prime adolescence, que sa vie sera faite d'écriture et de chansons. Il commence à chanter dans les années 1970, écumant les petits lieux normands, et exerçant divers métiers pour vivre. À 27 ans, il se décide à « monter » à Paris, pour devenir parolier. Ne trouvant pas d'interprètes, il monte lui-même sur scène, à Saint-Germain-des-Prés. En 1981, il sort son premier recueil de poésie, Tralahurlette. La rencontre avec Jean Ferrat, avec qui il se lie d'amitié, lui permet d'écrire pour Juliette Gréco. En 1985, il se fait remarquer au Printemps de Bourges, grand rendez-vous de la profession pour dénicher les nouveaux talents. Le compositeur Romain Didier devient son complice en chanson, et met en musique nombre de ses textes. En 1986, il écrit, toujours avec Romain Didier, plusieurs chansons pour Isabelle Aubret sur l'album Vague à l'homme, notamment Sa Montagne, en honneur à Ferrat, dont la chanteuse est aussi une amie intime. Le disque remporte le Grand prix du disque 1987 de l'Académie Charles-Cros.
Les années 1990 s'ouvrent sur la collaboration d'Allain Leprest avec Pierre Barouh, fondateur de la célèbre maison d'édition Saravah. En 1992, tout en éclatante sobriété, il pose ses mots et sa voix sur l'accordéon du virtuose Richard Galliano, sur l'album Voce a mano, où l'on retrouve notamment La Gitane et C'est peut-être.
Au cours de sa vie, Allain Leprest a écrit plus de 1000 chansons. S'il en a chanté sur onze albums, il en a également « offert » à de nombreux et nombreuses interprètes au fil des ans. Juliette Gréco, bien sûr, mais aussi Enzo Enzo, Hervé Villard et Francesca Solleville. Et il en a perdu aussi, beaucoup, et un tiers seulement ont été éditées. Nombreux sont celles et ceux qui l'ont chanté : Kent, Christophe, Daniel Lavoie, Salvatore Adamo ou plus récemment Sanseverino, Olivia Ruiz et La rue Kétanou.
Incompréhensiblement boudé par le grand public, celui qui a écrit, chanté et fait chanter l'amour, l'enfance et les marges, suscitait l'admiration de ses pairs, comme Claude Nougaro, Anne Sylvestre ou encore Henri Salvador. Jean d'Ormesson le qualifia même de « Rimbaud du XXe siècle », lors d'un hommage radiophonique orchestré par Didier Varrod. Emporté par une longue maladie en 2011, il repose à Ivry-sur-Seine, sa ville de cœur.
Le 23 juillet 1981, Allain Leprest adresse à la Sacem sa demande d'adhésion en qualité d'auteur et de compositeur. C'est le moment où il « monte » à Paris, avec l'ambition de devenir parolier, après une décennie passée en tours de chant dans sa Normandie natale. Cette annnée-là, il sort son premier recueil de poésie, Tralahurlette.