exposition
Sommaire
UNE ENFANCE DÉJÀ DANS LA RÉVOLTE
LES PREMIERS SUCCÈS DES ANNÉES ODÉON
LE LIBRE-PENSEUR FACE À LA CENSURE
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Par sa personnalité débordante, son charisme sur scène, son œuvre prolifique – près d’une quarantaine d’albums – Léo Ferré est devenu le grand poète de la chanson française de la deuxième moitié du 20e siècle. Un paradoxe car l’homme était avant tout un immense compositeur féru de musique classique, dont le regret fut de ne pas avoir été reconnu comme tel de son vivant, lui qui dirigea des orchestres symphoniques après en avoir rêvé durant son enfance avec des ensembles imaginaires, face à la Méditerranée.
« C’est extra », « Avec le temps », « Jolie môme », « Paris canaille »…
Débutée au cabaret, sa carrière a traversé quatre décennies et un certain nombre de transformations musicales. Après une reconnaissance tardive en tant qu’artiste, c'est dans les années 60 et au début de la décennie suivante que sa popularité atteint les sommets. Autant inspiré par sa formation classique que par le mouvement de pensée anarchiste, il incarna de son vivant une composition passionnée qui se libéra du cadre de la chanson au moment même où arrivait la vague de la variété populaire.
Trente ans après sa disparition, son influence lui a survécu et continue de s’amplifier, ayant trouvé une caisse de résonnance dans la scène rock alternative, la chanson réaliste et même dans le rap hexagonal. Une personnalité dont les contours souvent jugés revêche, rebelle, radical ou intello, tendent à s’arrondir au fil du temps, pour mieux laisser parler l’immense héritage qu’il a laissé. Le mythe du « métamec » Ferré, ce mec au-delà des mecs, reste plus que jamais vivace.
Léo Albert Charles Antoine Ferré voit le jour le 24 août 1916 à Monaco. Joseph,
son père, occupe le poste de directeur des ressources humaines du Casino de
Monte-Carlo tandis que sa mère, Marie, travaille comme couturière.
La musique
entre très vite dans sa vie, d’abord par le chant. Dès ses sept ans, il intègre
le chœur d’enfants de la cathédrale de Monaco en tant que soprano. Son oncle
musicien lui permet d’assister à des spectacles à l’opéra où la découverte de
compositeurs classiques comme Beethoven ou Maurice Ravel provoque un choc en
lui.
À l’âge de neuf ans, son père, aux méthodes d’éducation strictes, décide de l’envoyer en pension dans un collège en Italie, non loin de la frontière française. Les huit longues années qu’il y passe, jusqu’en 1934, sont sources de souffrances et de solitude. Elles sont toutefois l’occasion de parfaire sa formation musicale à travers le solfège et la pratique du piston dans l'harmonie. À l’adolescence, il compose ses premiers thèmes.
Son mal-être trouve un formidable écho dans les poètes qu’il découvre, bien que leur lecture soit interdite par les frères de son pensionnat. Non seulement les vers de Voltaire, Baudelaire, Verlaine, Rimbaud ou Mallarmé le fascinent mais le mot « anarchie » qu’il repère l’interpelle.
« Anarchie : Négation de toute autorité, d'où qu'elle vienne ». Par cette définition qu’il trouve dans le dictionnaire, le concept s’impose comme la seule réponse possible à ses maux, comme à tous ceux de la société environnante.
Revenu à Monaco, il prépare et obtient son baccalauréat de philosophie. En parallèle, il devient critique musical pour le quotidien Le Petit Niçois, ce qui enrichit ses connaissances en matière de classique et de compositeurs. Mais en dépit de sa passion évidente, son père lui refuse des études au Conservatoire de musique.
À la place, le jeune Léo choisit le droit et part s’installer à Paris. Ses quatre années passées à Sciences Politiques lui permettent en parallèle de parfaire seul son apprentissage du piano. Elles se soldent par un diplôme obtenu fin 1939, au moment où éclate la seconde guerre mondiale. Mobilisé, il retourne à la vie civile à Monaco en mai 1940, suite à la capitulation française.
Il se lance comme compositeur, imaginant des musiques pour le mariage de sa sœur, puis pour des textes d’une amie. De plus, il se produit pour la première fois en public sous le nom d’artiste de Forlane. L’événement a lieu en février 1941, au Théâtre des Beaux-Arts de Monte-Carlo. Il prend des leçons de composition à Nice et gagne sa vie en exerçant divers métiers pour Radio Monte-Carlo.
Deux ans plus tard, l’écrivain René Baer lui confie des écrits (La Mauvaise étoile, Oubli, Le Banco du diable) qu’il met en musique, donnant naissance à La chanson du scaphandrier, qui attendra 1953 pour une publication sur disque.
Parmi les rencontres qu’il réalise, Charles Trenet lui suggère de confier ses chansons à d’autres interprètes tandis qu’Edith Piaf, plus enthousiaste, lui conseille de venir s’installer à Paris. Un retour à la capitale qu’il opère une fois la seconde guerre mondiale terminée.
Léo Ferré débarque une deuxième fois à Paris à la fin de l’été 1946. Il y décroche un contrat de trois mois pour se produire au Bœuf sur le toit, célèbre cabaret où il chante en s’accompagnant au piano. Il compose à cette époque La vie d’artiste dans laquelle il décrit cette période de vaches maigres doublée de la tristesse d’une rupture amoureuse. Il se lie d’amitié avec Jean-René Caussimon, leur collaboration donnant naissance à plusieurs chansons dont Monsieur William et Le temps du tango.
Une tournée en Martinique se passe mal et à son retour, Ferré a beau multiplier les apparitions dans les cabarets parisiens, sa carrière peine à décoller. Dans une France de l’après-guerre en quête d’insouciance et de divertissement, Ferré reste à l’écart de l’émergence de la nouvelle génération d’artistes et de la légèreté qui ravit le grand public.
En mars 1947, il signe son premier contrat avec un éditeur musical, Le Chant du Monde, une maison d'édition affiliée au Parti communiste. Il adhère à la Sacem le 21 mai 1948 en qualités d'auteur et de compositeur.
Pas encore certain de sa capacité à mener une carrière de chanteur, il décide de se concentrer sur l’écriture pour d’autres artistes : Yvette Giraud, Renée Lebas, Édith Piaf, Henri Salvador, puis Yves Montand et Les Frères Jacques. Ce choix s’avère judicieux puisque la chanson Paris Canaille (1952), interprétée par Catherine Sauvage, auparavant refusée par Yves Montand et Mouloudji, devient la première réussite signée Ferré, qui l’aide par la même occasion à sortir de sa précarité économique.
En 1953, la réussite de Paris Canaille change l’image de Ferré qui signe un contrat avec la maison de disques Odéon. Il y publie son premier album, qu’il clôt avec sa propre version de cette fameuse chanson qui donne aussi son titre au disque. Sur cette œuvre figurent aussi La chambre, sur un texte de René Baer, et Le pont Mirabeau, adapté d’un poème de Guillaume Apollinaire.
La reconnaissance publique s’opère enfin en 1954 avec l’album suivant pour Odéon, Le piano du pauvre, la chanson-titre remportant le Grand prix de l'Académie du Disque Français 1954. Il y grave aussi L'homme et Graine d'ananar entrées dans la postérité. Sa popularité croissante voit Ferré passer du cabaret aux salles de music-hall. Il apparait en première partie de Joséphine Baker à l’Olympia de Paris en mai 1954 avant d’y revenir l’année suivante pour 20 dates en tête d’affiche. Suite au succès mitigé de ces concerts, il évitera toute grande salle parisienne durant trois ans mais en tire toutefois un premier album live intitulé Récital Léo Ferré à l'Olympia.
En 1956, son album La guinche rencontre un bon accueil grâce à la chanson Pauvre Rutebeuf faite d’un assemblage d’extraits de deux œuvres du poète homonyme du Moyen-âge. Cette même année, il est nommé sociétaire définitif de la Sacem.
La reconnaissance artistique, Léo Ferré la gagne de façon inattendue auprès d’une partie du milieu intellectuel. Les surréalistes André Breton et Benjamin Péret affichent leur admiration pour le poète Ferré. Celui-ci entame la rédaction de Benoît Misère, roman autofictionnel qui verra le jour en 1970, dont le parcours fantasmé du personnage principal, né à Monaco et pensionnaire en Italie, s’inspire grandement de sa propre expérience.
En 1957, il publie aussi son premier recueil de poésies, Poète... vos papiers !, qui rassemble soixante-dix-sept poèmes et textes, suivi de l’album Les fleurs du mal, qui célèbre le centenaire du recueil de Charles Baudelaire, premier album de chanson française entièrement consacré à un poète. Cet exercice qu’il affectionne, il le renouvellera avec Aragon, Verlaine, puis de nouveau Baudelaire en 1967 (Léo Ferré chante Baudelaire) et 1977 (Les Fleurs du mal, suite et fin).
Fort de sa notoriété, Ferré démontre ainsi sa situation singulière dans le paysage de la chanson française avec un attachement sans failles aux mots et à la poésie.
Quant à la scène, il trouve enfin le bon équilibre lors de son passage à Bobino en janvier 1958, effaçant le goût amer laissé par l’Olympia quatre ans plus tôt.
Libre de tout contrat, Ferré resserre une équipe de musiciens qui constitue sa garde rapprochée : les pianistes Jean-Michel Defaye et Paul Castanier, le guitariste Barthélémy Rosso, l’accordéoniste Jean Cardon, l’ondiste et choriste Janine de Waleyne. Également orchestrateur, Defaye sera l’instigateur du son propre aux œuvres de Ferré durant la toute décennie à venir.
En 1960, il signe sur le label Barclay, qui s’apprête à devenir le fer de lance de la jeune génération yé-yé et du renouveau de la chanson française. Eddie Barclay, son patron, s’y connait en matière de marketing et Ferré ne va pas tarder à profiter de ses méthodes modernes. L’album Paname paru en fin d’année contient quelques-uns de ses titres éternels comme Jolie môme, Merde à Vauban ainsi que sa chanson-titre Paname.
La retransmission en direct sur Europe 1 de son récital au théâtre du Vieux-Colombier à Paris recueille un bon écho, et lui vaut d’être programmé à l'Alhambra, où le public se presse toujours plus nombreux.
L’année suivante, il enchaine avec l’album Léo Ferré chante Aragon où il met en musique l’illustre poète, une œuvre majeure contenant entre autres L'affiche rouge, L'étrangère, Est-ce ainsi que les hommes vivent ? ou encore Elsa.
À 45 ans, Ferré a désormais les moyens de tout se permettre, ou presque.
Léo Ferré n’a jamais caché ses opinions politiquement tranchées et nul autre artiste français aussi célèbre n’aura autant politisé son œuvre. Proche des milieux libertaire et anarchiste, antimilitariste, anticapitaliste… il est ouvertement opposé à la peine de mort, à la guerre d’Algérie, à la société de consommation, et au général de Gaulle en tant que président de la République.
En 1961, il met en musique certaines de ses chères thématiques mais se heurte à la censure : Mon général, La gueuse, Pacific Blues, Les rupins, Miss Guéguerre, Thank you Satan, Les 400 coups, Les temps difficiles… autant de chansons qui attendront 2003 et leur réunion sur la compilation Les Chansons interdites... et autres pour témoigner de son esprit révolté et de son ton acide.
Ferré estime aussi que l’ennemi se niche dans la bourgeoisie de l’époque. Y inclut-il ce show-business parisien auquel il reproche d’avoir mis longtemps à reconnaitre son talent ? Peu importe car il garde une créativité débordante. Il alterne les projets tant sur scène qu’en studio, tout en se faisant discret du côté de sa vie publique.
Paru début 1969, un album sans titre prend le nom de L’Eté 68 d’après l’une des deux chansons inspirées des événements de mai 68. Le disque contient aussi Les Anarchistes, interprétée pour la première fois sur la scène de la Mutualité lors du gala de la Fédération anarchiste le 10 mai 1968, date de la première nuit des barricades au Quartier latin. Enfin, l’album compte C’est extra, l’un de ses plus grands succès, slow à la teinte érotique osée, ainsi que Pépée, hommage à sa défunte femelle chimpanzé adoptée sept ans plus tôt. Preuve que Ferré était capable de concilier comme personne son engagement avec toutes les autres sources d’inspirations du moment.
Le succès de C’est extra dans les hit-parades et son triomphe à Bobino début 1969 font enfin entrer Léo Ferré dans la catégorie des monuments en activité de la chanson. D’autant qu’enfin, les médias lui déroulent le tapis rouge en l’invitant le 6 janvier 1969 à une discussion restée mythique avec Georges Brassens et Jacques Brel.
À l’initiative du magazine Rock & Folk et de la radio RTL, tous trois se retrouvent dans un petit appartement de la rive gauche de Paris. Sur la table, des micros posés au milieu des verres, des bières et des cendriers, suivent les deux heures de discussions à bâtons rompus immortalisées par le photographe Jean-Pierre Leloir et le magnétophone du journaliste François-René Cristiani à l’initiative de ce projet fou. On y entend les trois échanger librement sur la création, le disque et la scène, mais aussi sur la vie, l'amour, la mort, l'argent, la publicité, la liberté, la solitude, l'anarchie, l'enfance, l’âge adulte, les femmes... Un moment historique de la chanson française dont ses trois plus grands poètes affichent alors une simplicité, une disponibilité et une complicité à la hauteur de l’âge d’or qu’ils incarnent.
Son aura toujours croissante donne des ailes à Ferré qui se laisse aller à ses envies tous azimuts. Il réenregistre ainsi d’anciennes chansons orchestrales. Adopté par la génération montante de la chanson et du rock, il tente en parallèle d’embrasser les bouleversements en cours dans le rock et s’intéresse à Pink Floyd ou aux Beatles. À New York, il rencontre Jimi Hendrix, y travaille avec John McLaughlin et Billy Cobham pour la chanson Le chien qui ouvre l’album Amour anarchie (1970).
Plus question pour lui de s’embarrasser des formats en usage dans la chanson. Les changements se font aussi sentir au niveau de son style vocal. Sur scène, son chant se fait moins théâtral tandis que son écriture fait la part belle à des textes déclamés dans un style proche du « spoken word », donnant l’impression de longs monologues profondément habités.
Son instinct le pousse à sortir en 45 tours la chanson Avec le temps que Barclay a écartée d’Amour Anarchie. Elle devient un tube immense, s’impose comme sa chanson fétiche et l’une des plus reprises de l’histoire, aussi bien en France qu’à l’étranger. « J’ai écrit « Avec le temps » en deux heures » confie-t-il en 1980 dans l’émission télévisée Apostrophes de Bernard Pivot.
Il collabore avec le groupe pop français Zoo le temps de l’album La solitude et d’une tournée. En 1972, il enregistre son premier album en italien, un an après avoir élu domicile à Castellina in Chianti, charmant village niché au cœur de la Toscane.
Plus les années 70 avancent, moins Ferré se reconnait dans l’évolution de la variété française. En 1973, son père Joseph s’éteint tandis que lui se sépare de son équipe de musiciens. Il se lance dans l’album symphonique Il n’y a plus rien, tandis que le suivant, Et… Basta !, ne comporte que deux morceaux, le premier, Et Basta ! (Pas vrai mec !) durant plus de 35 minutes, immense monologue traversé d’éclairs et de de divagations.
Sa séparation d’avec le label Barclay après l’album L’Espoir (1974) le rapproche un peu de plus de son rêve de gamin de direction d’orchestre. Pour une nouvelle version de son oratorio sur La chanson du mal-aimé, il dirige 70 musiciens, prélude à une collaboration avec l'orchestre de l'Institut des Hautes Études Musicales de Montreux en Suisse, de l'Orchestre symphonique de Liège et des chœurs du Théâtre Royal de la Monnaie en Belgique, de l'orchestre Pasdeloup et de l'orchestre symphonique de l'Essonne en France, puis de l'orchestre de l'Opéra de Monte-Carlo.
Novateur dans son approche, il réussit à chanter tout en dirigeant un orchestre, associant des compositions de Ravel et Beethoven à son propre répertoire. Un pari risqué, accueilli froidement par le monde du classique, qui l’incite à monter son propre ensemble symphonique, puis à se résoudre à abandonner ces projets démesurés malgré vingt-cinq représentations complètes au Palais des Congrès de Paris.
La fin des illusions contestataires, les effets du système capitaliste dans la culture, l’avènement de nouvelles tendances musicales, la domination de la pop anglo-saxonne… tout semble pousser Ferré vers une prise de recul, lui qui plus que jamais, incarne une forme de résistance au jeunisme et à la modernité à tout prix. Sans maison de disques, refusant de n’être qu’un produit à leurs yeux, Ferré monte sa propre structure de production musicale.
Loin de tomber dans l’oubli durant les années 80, Ferré n’est certes plus à la mode, ne décroche plus de tube, mais commence à être cité comme une référence majeure par une nouvelle génération d’artistes. Il réalise des tournées, multiplie les projets, continue d’enregistrer des albums qui ajoutent de nouvelles pièces toujours plus diversifiées : La Violence et l'ennui (1980) où il tourne le dos au symphonique, le triple Ludwig - L'Imaginaire - Le Bateau ivre (1982), L'Opéra du pauvre (1983), Les Loubards (1985)…
Un nouveau public se passionne pour lui et se presse à ses récitals où son style et son attitude tranchent avec l’absence de profondeur de la variété. À l’excès d’idolâtrie succède une admiration aussi justifiée que raisonnée. Ses défauts aux yeux d’une partie du show-business et des médias se transforment en qualités pour qui sait reconnaitre la force et l’authenticité de l’artiste, d’autant qu’il évite la redite au fur et à mesure que de nouvelles œuvres enrichissent un répertoire devenu monumental. Non seulement sa force créatrice n’a en rien été atteinte mais il sait aussi mener à leur terme des projets avortés ou des idées qui n’avaient pu voir le jour.
Comme si le destin l’aidait à réaliser ce rêve inachevé, Ferré voit de nouvelles opportunités se présenter à travers des propositions d’orchestres venues de l’étranger et de province. Il profite à merveille de ce regain d’intérêt pour des récitals dantesques où il revisite son répertoire de façon parfois surprenante.
Après la publication du double album On n'est pas sérieux quand on a 17 ans, Ferré se lance dans une tournée internationale qui passe le 9 juillet 1987 par les toutes jeunes Francofolies de la Rochelle, avec un concert hommage La Fête à Ferré auquel participent Jacques Higelin, Mama Béa et Catherine Ribeiro entre autres.
Ses concerts font l’objet de longues ovations, mais lui demande au public de ne plus applaudir, préférant disparaitre dans l’ombre sur une ultime interprétation d’Avec le temps, comme pour tirer sa révérence avec dignité. Une révérence qu’il tire une dernière fois en studio avec l’album Une saison en enfer, qu’il enregistre seul au piano à l’occasion du centenaire de la mort d’Arthur Rimbaud. Il se lance aussi dans un projet d’album où il met en musique son long poème Métamec, selon le concept de « mec au-delà des mecs » qu’il a inventé, ultime œuvre qui ne verra le jour qu’après sa mort.
Sa dernière apparition publique, il la réserve à la Fête de l’Humanité 1992 qui accueille cette année-là l’exposition « Aragon dans son siècle ». Invité par Bernard Lavilliers, il y chante Est-ce ainsi que les hommes vivent ? et Les Anarchistes. Malade, il doit annuler sa date prévue au Grand Rex de Paris en octobre. Il s’éteint dans sa demeure toscane le 14 juillet 1993, à l'âge de 76 ans, des suites de la maladie qui le mine depuis plusieurs années. Il est inhumé au cimetière de Monaco.
« Moi, j'ai cent mille ans. C'est pas pareil. Je suis un mort en instance et je vous regarde » Extrait de « Et Basta ! (Pas vrai mec !) »
Si Léo Ferré a beaucoup été chanté durant les premières années de sa carrière, c’est bien parce que le chanteur interprète ne s’était encore affirmé et que ses compositions se destinaient à d’autres, Catherine Sauvage en tête. En 1975, il utilise sa bonne entente avec Pia Colombo pour lui faire enregistrer un album de chansons qu’il n’a pas le droit de chanter à cause d’un différend avec la maison Barclay.
À partir des années 80, la tendance vire à l’hommage quand des artistes se mettent à enregistrer des reprises, à l’image d’albums de Philippe Léotard, Mama Béa ou de la québécoise Renée Claude. La tendance s’accélérera, avec entre autres des disques de reprises signés Bernard Lavilliers, Joan Pau Verdier, Catherine Lara, Didier Barbelivien ou Sapho, tandis que Jean-Louis Murat se fend en 2007 d’un album de 12 poèmes de Charles Baudelaire mis en musique par Ferré mais jamais sortis par ce dernier.
L’hommage
se transforme en aveu d’influence dès lors qu’une nouvelle génération
d’artistes, à mi-chemin entre rock et chanson, s’empare de l’héritage Ferré de
façon consciente ou inconsciente. Une vaste famille chez laquelle les mots
revêtent une valeur poétique et où l’intensité de l’interprétation passe autant
par les tripes que par l’âme, sans fard ni esbroufe. D’Alain Bashung à Cali, de
Jacques Higelin à Louise Attaque, de Feu! Chatterton à Dominique A.
Même la nouvelle
génération s’inspire de Ferré, comme en témoignent les 13 artistes pop – parmi
lesquels Pr2.b, Julien Barbagallo, Aquaserge, Julien Gasc ou Forever Pavot –
réunis sur la compilation de reprises C’est extra ! publiée
par la plateforme La Souterraine en 2018. Quant au rap français, il a aussi vu
en Ferré un orfèvre des mots autant qu’un incroyable performer aux monologues
impressionnants. En témoigne l’album de reprises Ferré, ce rap réalisé par le collectif orléanais La vie d’artiste (au nom emprunté à une
chanson de Ferré) en 2014.
Photo entrée de page © René Saint-Paul/Bridgeman Images
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