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Fernand Raynaud


Certains de ses sketchs, chansons et drôleries malicieuses sont des classiques du genre : Et v’lan passe-moi l’éponge, Le Plombier ou Restons français.

Fernand Raynaud au regard espiègle et au sourire éveillé a toujours eu en lui la profonde envie de la comédie et du partage. L’humour comme sauvetage, les blagues comme expression.Fernand Raynaud, c’est « l’incarnation d’une époque », rappelle l’humoriste Anne Roumanoff. Celle du Français moyen, proche des gens. Sauf que lui a eu un destin extra-ordinaire. C’est l’un des premiers humoristes « populaires ».

Archives Sacem de Fernand Raynaud

L’amour de la comédie


Un enfant à la drôlerie touchante

19 mai 1926, Clermont-Ferrand. Dans cette ville près de la chaîne montagneuse des Puys naît André Gustave Fernand Raynaud. Son père est contremaître dans la cité ouvrière de l’Oradou, un complexe de six maisons construit au début du XXe siècle dans les vignes du sud-est de la ville auvergnate.

Avec son père, Fernand Raynaud entretient une relation ambiguë. Il lui est profondément attaché mais ce dernier se refuse à apprécier les drôleries de son fils. Peut-être cette relation a-t-elle inspirée plus tard son sketch Bourreau d’enfants ? : « Tu n’en as pas marre de jouer la comédie ? Qu’est-ce que tu veux manger si tu ne veux pas manger ta soupe ? » ironise Fernand Raynaud dans cette mise en scène d’un parent en conflit avec son enfant qui ne daigne pas manger son potage.

Il faut dire que, enfant, le futur grand humoriste n’est pas des plus dociles : cancre à l’école, gamin frivole et insouciant… Il vit son enfance au cœur de cette cité ouvrière marquée par la culture Michelin, la marque de pneus ayant investi la région. Mais en pleine guerre, c’en est trop.

Quelque chose anime profondément le jeune Fernand, qui a alors 15 ans. Il veut aller plus loin que ces petits jobs de bobineur ou de projectionniste de cinéma qu’il accomplit alors dans sa ville natale. Certificat d’études en poche, il part pour la grande ville, la capitale, à vélo.

Paris et ses Folies (Bergère)

Il est inarrêtable. Son père tente de l’en dissuader – ce n’est pas l’avenir qu’il espérait pour Fernand… – mais son envie de Paris et son ambition sont bien plus grandes. Plus grandes que tout.

Là-bas, ses soirées se résument à traîner dans les couloirs dorés des Folies Bergère, là où, avant que le théâtre devienne sa deuxième maison, Joséphine Baker notamment a pris ses quartiers avec sa revue Super Folies. Loin d’être passif, Fernand Raynaud assiste assidûment aux spectacles comiques de l’époque. La vie parisienne, fougueuse et survoltée, change le quotidien de ce jeune Auvergnat à la blague facile. Mais les temps sont durs et l’argent manque.

Il est amuseur dans les brasseries et les cabarets pour subvenir à ses besoins. L’Histoire raconte que, épuisé par son travail, c’est à 18 ans qu’il aurait perdu deux de ses doigts. Il se serait endormi près d’une voie ferrée et le passage d’une locomotive aurait eu raison de ses doigts. Une autre version existe où l’étourdi aurait manipulé accidentellement une hache. Reste que sur scène, jusqu’à la fin de sa vie, sa gestuelle abîmée lui donnera une originalité sans faille.

À 18 ans, le jeune homme doit pourtant se soumettre aux contraintes de l’époque : le service militaire lui impose de se rendre dans une caserne à Berlin. Son aversion profonde pour l’armée se ressentira dans bon nombre de ses sketchs jusqu’à la fin de sa vie. « C’est moi que je suis le caporal-chef et c’est moi que je vais vous instruire », plaisante-t-il dans Le Caporal-chef de carrière. Grimé en militaire dans son sketch chanté L’Ami bidasse, il se moque d’un soldat en permission – quelques années plus tôt, en 1956, c’est même face à des soldats blessés de l’hôpital Maillot d’Alger qu’il se produira – un pied de nez ?

Pendant cette période, Fernand Raynaud ne perd pas son amour pour la ville de Clermont-Ferrand, celle qui l’a vu naître et grandir. Il y retournera même de mai 1944 au début de l’année 1945 pour travailler à la direction régionale du Service national de la statistique. Mais encore – toujours – avec l’envie de la comédie dans la peau. Ce qui ne le lâchera jamais… et bouleversera ensuite sa vie.

Le début du succès


Le protégé de Jean Nohain

Lors de son examen d’entrée à la Sacem en juin 1954, Fernand Raynaud choisit le poème libre. « Ce qui se conçoit aisément s’énonce clairement », débute-t-il sur ce papier dont la Sacem possède toujours l’archive. Ce qu’il n’a alors nullement besoin d’énoncer, c’est le succès qu’il connaîtra par la suite.

À son retour à Paris, cherchant toujours à amuser tout le monde dans les cafés et les bistrots de la capitale, Fernand se fait remarquer par Jean Nohain. Grand homme de radio puis de télévision, ce dernier crée l’émission 36 chandelles, diffusée sur la Radiodiffusion Télévision Française (RTF) entre 1952 et 1958. Rapidement, elle devient une référence. Surtout, un formidable moyen pour des jeunes pousses de se faire un nom. Luis Mariano, Annie Cordy ou Georges Brassens passent au micro de Jean Nohain. Fernand Raynaud aussi. Il en devient même un invité récurrent. Tellement que l’on dira de Nohain qu’il est le « parrain » de Raynaud.
Là-bas, Fernand rencontre aussi l’acteur et humoriste Roger Pierre comme l’acteur Jean-Marc Thibault ; tous deux seront plus tard les témoins de son mariage avec la chanteuse Renée Caron (dont il aura deux enfants, Pascal et Françoise). Sa mère n’en sera pas. Elle est décédée deux ans auparavant.

Cette rencontre avec Jean Nohain, au-delà de la notoriété qu’elle offre à Fernand Raynaud, inspire aussi à ce dernier l’un de ses sketchs les plus célèbres, Le Fût du canon, tiré d’une situation qu’a vécue Nohain pendant son service militaire (tiens, encore !).

De la rue Jules-Larose au théâtre des Variétés

Fernand Raynaud commence à se faire une place dans ce petit milieu d’acteurs et de chanteurs – d’artistes, en somme. À Gennevilliers, la rue Jules-Larose où il habite dans la demeure de son épouse est le théâtre de sa comédie, ses drôleries, ses mimes, ses chansons.

Alors que quelques années auparavant il était simple spectateur aux Folies Bergère ou amuseur de bistrot parisien, il investit en 1959 le théâtre des Variétés au 7, boulevard Montmartre dans le 2e arrondissement de la capitale. Grâce à sa façade majestueuse et son vestibule, le lieu a été classé Monument historique au milieu des années 1970. C’est dire si, pour Fernand, jouer ici doit être impressionnant. D’autant que cela ne se passe pas du tout comme prévu. De la rue Jules-Larose au théâtre des Variétés, la carrière de Fernand Raynaud va totalement décoller.

Le nom de son spectacle est tout trouvé : Le Fernand Raynaud Chaud, un seul-en-scène de plus de deux heures. Vingt représentations sont prévues. C’est bien trop peu pour le succès (inattendu, visiblement !) qu’il rencontre : pendant dix-huit mois, Fernand Raynaud joue son « chaud » à guichet fermé. Il semblerait que tout plaise chez lui : son regard coquin et malicieux, sa gestuelle comme ses blagues. « Il était très doué pour jouer avec sa voix, rappelle Anne Roumanoff. Il avait des fluctuations de voix, des onomatopées qui lui étaient propres. » Il avait surtout une sorte de « naïveté » touchante. Des décennies plus tard, elle aime toujours autant chez l’humoriste  : « son humanité qui transperce, sa sympathie et sa gentillesse ».

« Qui c’est qui dit que c’est éteint ? C’est écrit sur la notice ? » incarne-t-il dans son sketch Le Réfrigérateur dont il existe encore des archives. Il chante, aussi, dans Les Duettistes.

Outre des représentations à l’Olympia, au théâtre Bobino ou au théâtre de l’Étoile en ce qui concerne la capitale, Le Fernand Raynaud Chaud dépasse même les frontières et s’installe sur les planches de théâtres au Canada, en Suisse ou en Afrique. Fernand Raynaud fait « 360 galas par an », raconte sa fille. Des vinyles de ses sketchs sont même pressés. En 1970, il va jusqu’à s’amuser à jouer Une heure sans paroles, un spectacle mimé au théâtre de la Ville. Fernand Raynaud est au plus haut de son succès. Certains parlent du début de la « starification des humoristes ».

Il faut dire que ses spectacles et particulièrement Le Fernand Raynaud Chaud ont une particularité qui confère encore aujourd’hui à l’humoriste le titre de monstre tout-puissant de la comédie.

Des sketchs modernes restés dans l’Histoire


Des classiques du genre

« C’est l’un des premiers stand-uppers », décrit Aymeric Carrez, humoriste lui aussi ayant remporté le prix du jury et du public en 2022 au 7e festival du rire Fernand Raynaud.
Ce dernier a effectivement été le premier à s’adresser à son public. « À l’époque, très peu de personnes s’adonnaient à cette discipline. Donc Fernand Raynaud ne pouvait se comparer à personne. Il faisait ses spectacles qu’il écrivait tout seul chez lui… et si le public riait, tant mieux !
En même temps, les spectateurs n’avaient pas l’habitude de voir ça », raconte-t-il. Aujourd’hui, ça a bien changé : « On passe des heures dans les comedy clubs à roder une minute de spectacle pour que chaque seconde soit drôle. Fernand Raynaud ne se mettait sûrement pas la pression à avoir des fous rires toutes les dix minutes. Aujourd’hui, le marché est devenu plus concurrentiel », admet Aymeric Carrez.

Devenir le premier « stand-upper », à la tête du premier « one man show » de l’Histoire, n’est cependant pas chose facile. Car s’adresser au public, c’est aussi prendre le risque qu’il n’aide pas voire gâche le spectacle. Ce que Claude Sarraute décrivait dans le journal Le Monde en 1962 après avoir vu une représentation du Fernand Raynaud Chaud : « que le courant passe et la partie est gagnée. Qu’il faiblisse et l’amuseur risque de perdre pied […] l’auditoire le sent et reproche à l’artiste un manque de talent dont le public est souvent responsable », écrit-elle.

Ce public, pourtant, Fernand Raynaud adore en jouer. Il le taquine, l’interpelle et surtout s’en inspire. C’est d’ailleurs ce qui fera (aussi) le succès de l’artiste : le quotidien et ses « personnages » de la vie réelle.
Son terrain de jeu ? L’armée, certes, mais aussi le Français moyen. Tout ce qu’il observe, toutes les amitiés qu’il lie, les personnes avec qui il discute sont sujets à sketchs. Comme Le Plombier, déposé à la Sacem le 3 juin 1964, présenté comme un monologue. « C’est donc le problème, le drame d'une femme, qui a une fuite à sa baignoire et qui a un perroquet », raconte-t-il, déroulant alors son histoire face à un public hilare, à en écouter les archives.
Sa sœur Yolande est elle aussi une source d’inspiration. Comme l'on fait des créateurs de contenus sur Internet aujourd’hui, chaque trait de personnalité peut être sujet à sketch, mime ou chanson.

C’est ce qui fait la particularité du talent de Fernand Raynaud mais celui-ci n’en oublie pas les classiques pour autant. En 1962, il interprète Monsieur Jourdain dans une représentation du Bourgeois gentilhomme de Molière. Il en est alors producteur. De l’œuvre de Molière, toujours, il s’imprègne l’année suivante en incarnant Sganarelle dans Dom Juan. Fernand Raynaud devient un véritable homme d’affaires à la tête de son propre succès, tour à tour comédien, producteur mais aussi actionnaire de Minute, célèbre journal créé par le journaliste Jean-François Devay. Un hebdomadaire – initialement – de dessins satiriques et d’actualités « people ».

Des sketchs progressistes

Si Fernand Raynaud est entré dans la postérité, c’est également par le modernisme de ses sketchs. Ce qu’admet bien volontiers Aymeric Carrez : « Évidemment qu’en plusieurs décennies les sujets ont beaucoup évolué. Alors que Fernand Raynaud évoquait la Poste [dans son sketch Le Timbre à 0,25 F] ou des coups de fil passés à l’étranger [dans Le 22 à Asnières], on va plutôt nous parler des téléphones portables ou de TikTok. »
Fernand Raynaud, oui, « a été un des seuls à capter cette époque précise », souligne l’humoriste. Une époque avec des sujets de société qui font encore écho aujourd’hui. C’est par exemple dans Le Paysan que Fernand Raynaud déploie sa célèbre phrase « ça a eu payé mais ça paie plus ». Difficile de ne pas transposer ce sketch au XXIe siècle lorsqu’une étude nous apprend qu’environ 20 % des agriculteurs et agricultrices vivraient sous le seuil de pauvreté en France. La précarité, les enjeux de pouvoirs et le travail laborieux, Fernand Raynaud qui vient d’une cité ouvrière de Clermont-Ferrand connaît bien. Il n’a d’ailleurs jamais cessé de se rendre dans sa ville natale à différentes occasions.


Sauf qu’en 1973, un événement tragique fera basculer son destin.

À la fin du mois de septembre, Fernand Raynaud est invité à un gala au profit d’ouvriers. Pour s’y rendre, il prend sa voiture, une Rolls-Royce Corniche blanche, un magnifique cabriolet conçu par Mulliner Park Ward.
Fernand Raynaud roule vite. Très vite. Tellement que lors d’un virage, il se déporte à gauche de la route. En face se trouvent une première voiture qu’il percute, puis un camion, avant de finir sa course devant un cimetière, tout près du bourg du Cheix-sur-Morge.

Treize ans avant Coluche, Fernand Raynaud décède à l’âge de 47 ans dans cet accident de voiture, laissant derrière lui son sourire communicatif, ses chansons burlesques, ses sketchs précurseurs et ses mimes salvateurs mais aussi Pascal et Françoise, ses deux enfants. Il est enterré en région Auvergne-Rhône-Alpes à Saint-Germain-des-Fossés, ville du nord de Vichy où il passait ses vacances alors minot. La symbolique est douce pour ce clown au ton sincère et au visage apaisant qui n’aura peut-être jamais véritablement quitté son âme d’enfant.

Depuis lors, Fernand Raynaud est resté au firmament de l’histoire de l’humour ou de la comédie, inspirant les plus grands – comme Jean Rochefort, qui s’est approprié certains de ses sketchs au début des années 2000 dans son spectacle Heureux ? – jusqu’à la nouvelle scène de stand-uppers et même de YouTubeurs.
 « Il reste dans les mémoires par son jeu terriblement sincère, admet Aymeric Carrez. Cela n’a jamais changé même pour la nouvelle génération d’humoristes : nous nous devons d’avoir cette sincérité et cette présence sur scène. »
Comme un romancier qui incarnerait l’Histoire pour mieux la raconter, Fernand Raynaud aura marqué la sienne et toute une génération de narrateurs de l’Histoire drôles, sensibles et enjôleurs.

Photo © Universal Music France / Bridgeman Images