exposition
Sommaire
Musiques sacrées et savantes : entre Dieu et le Roi
Musique populaire : corporatisme "pour nous, les hommes"
De la Renaissance au XVIIIe siècle : de timides avancées
Le XIXe siècle, lente professionalisation des compositrices
Les premières femmes membres de la Sacem
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En 2018, la Sacem compte parmi ses membres 17% de femmes auteures et compositrices. Les conditions d’adhésion à la société étant neutres pour les deux sexes, cette faible proportion – constatée dans l’ensemble des pays européens et dans de nombreux secteurs créatifs – s’explique par l’évolution des structures sociales et des institutions musicales.
Nous vous proposons un parcours historique pour s’interroger sur les principales raisons qui mènent les femmes a être, encore aujourd’hui, très minoritaires dans le secteur de la création musicale : absence de liberté de se déplacer ou voyager seule, pas d’accès à l’instruction, aux bibliothèques, à l’Université, charge de la famille et des enfants, pas d’autonomie financière… les obstacles opposés à la femme créatrice dans une société patriarcale traditionnelle sont nombreux.
Cette exposition est aussi l’occasion de remettre à l’honneur les créatrices souvent oubliées, dont les œuvres retrouvent peu à peu leur place dans l’histoire de la musique.
Claire Giraudin, Sophie Rosemont - 2018
Visuels d'entrée d'exposition et d'entrée de salle © gallica.bnf.fr / BnF
Bien que les musiciens et musiciennes aient pour patronne une femme, Sainte Cécile, martyre décapitée à Rome en 232, l’accès des femmes à la composition musicale est entravée d’abord par la mainmise de l’Église sur l’enseignement et la production durant des siècles.
Seule à être notée sur partition à partir du VIIIème siècle – et sous la forme qu’on lui connait actuellement à partir du XIème siècle- la musique sacrée trouve naturellement sa place dans les scriptoria des moines copistes.
Les monastères féminins et masculins n’ayant pas la même répartition des tâches, les premiers se tournent plus vers les soins (dispensaires, hôpitaux) quand les seconds sont plus des lieux de savoir et de culture. De plus, les maîtrises (chœurs religieux) qui enseignent la musique sont réservées aux hommes jusqu’au début du XVIIIème siècle. Petit à petit par ces biais historiques, la notation, la copie et par extension, la composition musicale sacrée puis profane, vont devenir « une affaire d’hommes ».
A partir du XIIème siècle, la majorité des musiciens « non populaires » étaient formés dans les maîtrises (chœurs religieux). Le développement des cathédrales fait naitre des centres intellectuels, et même parfois des universités. Les musiciens sont également attachés au service des chapelles des rois, princes et autres grands du royaume.Or, les femmes sont interdites dans les maîtrises, et il leur est défendu de chanter dans les Eglises, et ce très tardivement puisqu’encore en 1896 la Semaine religieuse de Paris rappelle cette interdiction.Elles ne pouvaient donc pas bénéficier de cette formation intellectuelle et musicale de qualité.
Religieuse bénédictine, avec un fort penchant mystique, Hildegarde de Bingen s’est illustrée au XIIème siècle par ses talents d’écrivaine, de naturaliste, de linguiste – elle a même créée une langue de toute pièce- et de compositrice.
Elle est encouragée par le Pape Eugène III. Elle sera faite Docteur de l’Eglise (la plus haute reconnaissance de l’Eglise Catholique) en 2012.
Elle a composé plus de 70 chants liturgiques, inspirés de ses visions, et rassemblés sous le titre Symphonia harmoniae celestium revelationum (Symphonie de l'harmonie des révélations célestes), ainsi qu’un drame liturgique intitulé Ordo virtutum (Le jeu des vertus) mettant en scène les hésitations de l’âme entre le Bien et le Mal. Longtemps invisibilisée, Hildegarde de Bingen a été redécouverte grâce aux études musicologiques sur les compositrices, et a recouvré sa place importante dans l’histoire musicale médiévale.
Alors que les compositrices de musique populaire sont attestées jusqu’au XIVe siècle, la professionnalisation des métiers musicaux sous l’égide des corporations uniquement réservées aux hommes donne un coup d’arrêt durable à la présence des créatrices.
Les historiens ont montré l’activité de nombreuses femmes « trobairitz » (en langue d’Oc, au Sud) et trouveresses (en langue d’Oïl, au Nord) aux XIIème et XIIIème siècles. Elles sont les premières compositrices et poétesses de musique profane historiquement attestées, même si très peu de leurs compositions ont traversé les siècles. Il faut noter que la majorité d’entre elles étaient d’origine noble, ayant donc reçu une éducation et possédant une certaine liberté.
Leur présence montre néanmoins que les obstacles à la création féminine profane se mettront en place par la suite, avec l’institutionnalisation de la transmission et de l’enseignement musical. Quelques noms de trobairitz connues : Béatrice de Dia, Garsende de Provence, Azalaïs de Porcairagues, Marie de Ventadour. Quelques noms de trouveresses connues: Marie de France, la Reine Blanche de Castille, Doete de Troyes, Agnès de Navarre-Champagne.
A écouter : Montserrat Figueras chante Beatriz de Dia A chantar m'er de so q"ieu no voldria accompagnée de l'ensemble Hespérion XX dirigé par Jordi Savall.
A partir du XIVème siècle, la communauté des musiciens populaires – dits « ménétriers »- est régie à Paris, puis partout en France, par la Confrérie de St Julien, qui se dote de statuts en 1321.
Les statuts présentent les différentes spécialités de la communauté : trompeurs, tambourineurs, violonistes, organistes, flûtistes, harpiste, joueur de luth ou de hautbois… Un relevé des listes de ces orchestres populaires effectué par François Lesure dans la Revue de Musicologie (Heugel, Paris, juillet 1954) montre que les femmes en sont exclues, et que seuls les homme peuvent y participer.
Cet interdit affectera historiquement et pour longtemps la place des femmes créatrices dans la musique populaire, puisqu’elles n’auront pas accès à la transmission des savoirs, et ne seront pas acceptées dans les métiers musicaux.
Deux freins psychologiques puissants sont à ajouter à l’ensemble des obstacles opposés aux femmes qui veulent créer.
Le premier est mythique et fait de la femme un intermédiaire de l’inspiration, pas un agent créateur; le second est religieux et assimile les métiers artistiques à de la prostitution.
Les Muses sont dans la mythologie grecque les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne (déesse de la Mémoire). Associées à Apollon, Dieu des Arts et de la Musique, elles sont des allégories des différents arts : éloquence, histoire, poésie lyrique, poésie tragique, rhétorique, danse, comédie, astronomie et musique. Dans la conception antique de l’inspiration créative, les Muses sont donc celles qui font le lien entre les hommes et les Dieux, sources unique de l’Art. Ce rôle mythique d’inspiratrice influe depuis toujours sur la place de la femme dans la création artistique. A l’origine de toute création, certes, mais de manière passive, parfois érotisée, la femme est toujours objet de contemplation de l'artiste masculin, qui s’attribue le geste créateur. Elle est un point focal, mais à qui la tradition laisse un rôle souvent muet, peu actif, en aucun cas créateur: le fameux « sois belle et tais-toi! » est une injonction qui a pesé et continue de le faire sur toute femme endossant le costume masculin du créateur !
L’Eglise ne voit pas d’un bon œil les métiers artistiques. En témoigne l’évêque d’Autun qui au XIIème siècle déclare : « Habent spem joculatores ? — Nulla » (« Les saltimbanques ont-il une chance de salut ? –Aucune »). Fermement condamnés par les ecclésiastiques, les artistes ne peuvent d’ailleurs ni témoigner ni accuser en justice, et sont privés de l’accès aux sacrements, notamment l’eucharistie. Les textes religieux les accusent souvent d’être des « ministres de Satan » et rappellent régulièrement au public l’interdiction de leur donner de l’argent. L’Eglise condamne plus encore les femmes artistes, en les assimilant à des prostituées. Cet interdit va perdurer, liant dans les esprits durablement femmes artistes et courtisanes.
La musique est considérée comme acceptable socialement lorsqu’elle est un passe-temps élégant et un talent domestique pour les femmes. Elles peuvent s’adonner à l’interprétation des œuvres dans le cadre familial. Elles sont même poussées à développer des capacités musicales, qui donnent un avantage compétitif sur le « marché » du mariage. Mais seuls quelques instruments et quelques rôles sont tolérés : jouer du piano, du clavecin ou de la harpe et chanter. En revanche, faire de la musique un métier, notamment de création, reste longtemps, dans les classes sociales aisées –qui ont accès à l’instruction musicale- un tabou social pour la gent féminine.
Côté musique religieuse et savante, des institutions se mettent en place dès le XVIe siècle. L’autorisation faite aux femmes de se produire par Louis XIV a des effets positifs, et l’on voit poindre des créatrices. Mais ces dernières sont issus de familles artistiques, et de la bonne société. Et il faudra du temps pour rattraper les siècles d’éducation musicale perdus pour les femmes et pour surmonter les tabous sociaux.
En 1575, Henri III érige une confrérie des musiciens et compositeurs sous le patronage de Sainte Cécile, vouée à la musique sacrée. Dorénavant, tous les compositeurs du royaume devaient adresser leur composition à cette société. Voulue par le roi, cette initiative n’avait aucun rapport avec les communautés ouvrières, et notamment celle des ménétriers.
Au XVIIème siècle, c’est Louis XIV qui structure la vie artistique autour d’Académies. L’Académie Royale de Musique est créée en 1669, avec trois grands corps : Musique de Chambre, Musique de la Grande Ecurie et Musique de la Chapelle Royale. Elle est supervisée par Lully, et forme les compositeurs et musiciens (via des pensions et bourses d’études). Il n’est pas interdit aux femmes de participer à la création artistique – une lettre patente de Louis XIV du 28 juin 1669 indique même que « les Demoiselles (ndlr: nobles) pourront chanter à l’Opéra sans déroger à la noblesse », ce qui explique l’apparition –encore clairsemée- de créatrices du XVIIIème siècle. (Source: Association Femmes et Musique, Compositrices françaises au XXème siècle, éditions Delatour 2007)
Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) grandit dans un milieu musical. Avant ses quinze ans, le Roi remarque son jeu sur clavecin et la confie à Mme Maintenon. Elle compose dans le goût du jour des pièces pour clavecin, des cantates sur des sujets inspirés par la Bible, et elle est la première compositrice française d’un Opéra : Céphale et Procis (1694).
Elle composera également des sonates, et terminera sa carrière sur un duo destiné au Théâtre de foire : La Ceinture de Vénus (1715), précurseur de l’opéra-comique. Ses œuvres sont très appréciées de ses contemporains. Le Mercure Galant fait paraître en 1691 un long poème à sa gloire, où elle est qualifiée de « première musicienne du monde ». On peut citer également pour le Grand Siècle les compositrices suivantes : Mme de Plante, Melle Guyot, et Julie Pinel.
(Source: Association Femmes et Musique, Compositrices françaises au XXème siècle, éditions Delatour 2007)
Les Académies de Musique, caractérisées par la formation d’un orchestre, se développent partout en France. Elles sont ouvertes aux femmes (de la bonne société).
Celle créée en 1725 par Anne Danican Philidor dans le Palais des Tuileries compte ainsi en 1756 17 hommes et 21 demoiselles. On peut noter : Mlle Duval (1718-1775) dont le ballet héroïque Les Génies ou les Caractères de l’Amour est représenté le 18 octobre 1736 à l’Académie Royale; Mlle Villard de Beaumesnil (1748-1813) avec Tibulle et Délie représenté sur la même scène en 1784; Marie-Emmanuelle Bayon dites Mme Louis (1746-1825) avec des sonates pour piano et un opéra comique, Fleur d’épine. Genoviefa Ravissa (1745/50-1807) avec Six sonates pour le clavecin ou le fortepiano (1778); Mlle Fouillard vers la fin du siècle; Elisabeth Lachanterie avec deux concertos pour clavecins; Mlle Le Sénéchal de Kercado qui, à 19 ans, voit sa comédie mêlée d’ariettes La Méprise volontaire ou la double leçon interprétée le 24 juin 1805 à l’Opéra-comique.
Les maîtrises et les Académies disparaissent en grande partie à la Révolution, en raison de leur caractère trop aristocratique ou religieux.
En 1795, le Conservatoire national supérieur de musique de Paris ouvre ses portes, et contrairement aux maîtrises de l'ancien régime, il accepte les femmes, qui vont enfin avoir accès à un enseignement musical de qualité
Hélène de Montgeroult est une compositrice originaire de Lyon née en 1764. Longtemps oubliée, sa musique a été redécouverte récemment. Elle fit ses premiers pas de pianiste dans des salons renommés, comme celui de Madame de Staël ou Madame Vigée Le Brun, sa condition de femme noble ne lui permettant pas de jouer dans d’autres cadres. La légende veut que, grâce à ses talents, la pianiste ait échappé à la sentence de la guillotine lors de la Terreur, en improvisant sur le thème de la Marseillaise au piano face au Tribunal révolutionnaire.
Elle fut nommée professeure de la classe de piano en 1795 au Conservatoire de Paris, devenant ainsi la première femme à obtenir ce titre. Elle écrivit de nombreuses études et méthodes notamment sur la pratique du piano-forte, qu’elle publia en 1810. Elle écrivit plusieurs études et sonates, qui sont aujourd’hui enregistrées, permettant de mettre en lumière cette compositrice qui marque le passage musical entre le classicisme et le romantisme.
(C) Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Martine Beck-Coppola
La période romantique met en avant les muses et interprètes féminines, mais il reste difficile pour les compositrices de s’affranchir de leur mari, frère ou père, qui ne voient pas d’un bon œil qu’une femme s’adonne à la musique autrement que comme un passe-temps.
Si elles restent souvent dans l’ombre d’une figure masculine, certaines parviennent à s’émanciper et à se faire leur propre nom dans l’écriture ou la composition. Elles rejoignent alors la Sacem, où l’on retrouve des traces dans les archives de cette lente professionnalisation.
La première femme a être devenue membre de la Sacem – dès l’année de création de la société, en 1851 – est une compositrice romantique, à son époque une véritable star.
Poussée très tôt vers la musique par sa mère chanteuse, elle écrit des romances qu’elle interprète dans les salons mondains et publie son premier recueil qui contient notamment Le Rêve de Marie, Mon Pays, Ave Maria, l'Exilé du pays, la Confession du bandit, le Soleil de ma Bretagne…