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100 vies et le parti d'en rire
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L’éternel complice de Pierre Dac, avec qui il forma un duo comique légendaire, fut un artiste glouton à l’œuvre protéiforme.
Parolier aux 600 chansons, acteur, écrivain… le maître de la loufoquerie disparu il y a cinquante ans aura touché à tout.
Par Yohav Oremiatzki - 2024.
Issu d’une famille dont l’histoire s’est écrite sur les planches, Francis Blanche voit le jour le 20 juillet 1921 à Paris. Son père, Louis, mène une longue carrière d’acteur devant la caméra de quelques grands noms comme Marcel Carné ou Claude Autant-Lara. Le spectacle est donc une seconde nature pour cet artiste en devenir, aussi studieux que blagueur invétéré sur les bancs de l’école. À dix-sept ans, il se produit au théâtre pour la première fois, déclamant des fables de sa composition.
Suivant les traces de son père, c’est au cinéma qu’il se lance dès 1942, tournant plus d’une fois avec Raoul André. Amuseur public, il rejoint le milieu théâtral en intégrant en 1948 la troupe des Branquignols du metteur en scène Robert Dhéry, née d’un besoin essentiel de rire au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Au casting flamboyant des Branquignols : Jean Lefebvre, Micheline Dax, Jean Carmet, Michel Serrault, Jacqueline Maillan ou encore Louis de Funès avec qui Blanche tourne dans l’adaptation cinématographique de la comédie musicale Ah ! les belles bacchantes (1954) de Jean Loubignac. Il en écrit lui-même les chansons, sur des musiques de Gérard Calvi.
Porté sur la chanson populaire, il se révélera en parolier hyper prolifique, auteur de plus de 600 morceaux parmi lesquels de nombreux titres emblématiques des années 1940. À cette époque, il travaille étroitement avec Charles Trenet autour de titres comme « Débit de l’eau, débit de lait » ou « Sur le fil ». En 1949, il signe les paroles de la chanson d’Édith Piaf « Le prisonnier de la tour », sur une musique de Gérard Calvi.
Son style, à la fois enlevé et poétique, qu’il met aussi au service des Frères Jacques ou de Tino Rossi, donne un nouveau souffle à la chanson populaire de l’époque et contribue à lui permettre de s’exporter. Il signe également les adaptations françaises de nombreux succès internationaux parmi lesquels « Vive le vent », « Besame mucho », un boléro de la pianiste mexicaine Consuelo Velázquez revitalisé en 1947, ou encore « Histoire d’un amour », l’un des premiers succès commerciaux de Dalida.
Sa bonhomie, sa diction singulière et ses traits ronds – qui placent Coluche ou Raymond Devos dans sa filiation –, Blanche, inventeur des canulars téléphoniques à la radio, les met au service d’un humour déjanté, dans un flot de (bons) mots permanents. Il forme avec Pierre Dac, son père spirituel, un duo comique d’avant-garde s’inspirant du cabaret et du théâtre pour mieux occuper les ondes.
Sur Paris Inter, le tandem le plus célèbre des années 1950 crée l’émission Le Parti d’en rire, « le parti de tous ceux qui n’ont pas pris de parti ». Ils tiennent en haleine leurs auditeurs au cours de feuilletons radiophoniques s’étalant sur des centaines d’épisodes : Faites chauffer la colle, Malheur aux barbus ou Signé Furax.
Parmi leurs sketchs cultes, Madame Arnica, rebaptisé Le Sâr Rabindranath Duval. Cette parodie des numéros de music-hall de divination dont la version qui fera date est enregistrée à Europe n° 1 en 1960, à la suite d’un repas bien arrosé, fait la part belle à l’improvisation. Quelques-unes des répliques de ce sketch entrent dans la mémoire collective (« Oui, il peut le faire ! »). La même année, le duo met un terme à sa collaboration.
Après une décennie en demi-teinte côté grand écran, Blanche s’affirme dans les années 1960 dans des seconds rôles comme en vedette. Après avoir incarné le commandant Schultz dans le célèbre Babette s’en va-t-en guerre, comédie de Christian-Jaque sortie en 1959, il enchaîne avec une participation dans le cultissime Les Tontons flingueurs (1963) dans lequel Georges Lautner lui offre le rôle de l’inoubliable Maître Folace.
Au cours de cette décennie, Jean-Pierre Mocky en fait lui aussi l’un de ses acteurs fétiches, exploitant son sens de l’absurde dans Snobs ! (1961) ou Un drôle de paroissien (1963) avec Bourvil. Certains réalisateurs lui offrent aussi des rôles dans un registre plus sombre et néanmoins sous-exploité, à l’image de l’odieux client de bordel de Belle de jour de Luis Buñuel, sorti en 1967.
Si Francis Blanche est l’auteur d’un seul film, Tartarin de Tarascon, coréalisé avec Raoul André en 1962, il faut noter son travail de dialoguiste dans le film de Marco Ferreri La Grande Bouffe (1973). On lui doit aussi le scénario du long métrage Signé Furax de Marc Simenon, sorti sept ans après sa mort, en 1981.
Francis Blanche continue sans relâche de tourner et de publier des livres, comme le pastiche de roman noir L’Étrange Napolitaine en 1973. Terrassé par une crise cardiaque le 6 juillet 1974, il disparaît brutalement à cinquante-deux ans. Un éternel repos résumé par l’épitaphe qu’il s’était lui-même choisie : « Laissez-moi dormir, j’étais fait pour ça. »
Francis Blanche est auteur, chanteur, acteur et humoriste.
Cette photo, prise en 1941, le montre à l’âge de vingt ans.