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Un boulevard pour la création
Prince du théâtre de boulevard, Marcel Achard, disparu en 1974, fut un artiste complet.
Auteur d’une soixantaine de pièces, scénariste, réalisateur, parolier, cette figure de la fantaisie et de la poésie légère, emblématique de l’entre-deux-guerres, laisse une œuvre pluridimensionnelle.
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Octobre 2024 © adoc-photos
Marcel Augustin Ferréol Achard, dit Marcel Achard, voit le jour le 5 juillet 1899 à Sainte-Foy-lès-Lyon (métropole lyonnaise). Son histoire familiale vaut bien une pièce de théâtre. À propos de sa naissance, le fils du cabaretier Jean Ferréol Achard déclare : « Mon père avait épousé la fille de sa sœur. De sorte que mon grand-père était à la fois mon arrière-grand-père, mon père, mon grand-oncle et ma mère ma cousine germaine. »
Dès le secondaire, Marcel affirme son ambition, impressionnant ses camarades grâce à des œuvres allant du spectacle de guignol au drame, de l’opérette à la pièce en vers. Hélas, la douzaine de comédies qu’il propose aux théâtres lyonnais ne trouve pas preneur. Déterminé, il se présente au Conservatoire, interprétant la scène de la mort de Cyrano de Bergerac, mais une chute mémorable due à sa myopie gâche sa chance.
À dix-huit ans, Marcel, cinq cents francs en poche, monte à Paris un mois après l’armistice de la Première Guerre mondiale. À peine embauché comme souffleur au théâtre du Vieux-Colombier, il se fait renvoyer au bout de quelques jours pour avoir oublié d’envoyer son texte à une comédienne, distrait par ses jambes.
Sans domicile fixe, le voilà contraint d’accepter le moindre job. Grâce à son réseau lyonnais, il rebondit dans des titres de presse comme Paris-Journal ou L’Œuvre. Un heureux concours de circonstances lui permet d’être promu au sein du quotidien Bonsoir. On l’envoie interviewer des personnalités comme Charles Dullin, directeur du théâtre de l’Atelier qui reconnaît sa fibre comique et en fait l’un des auteurs attitrés de son établissement.
Après deux déceptions consécutives, Voulez-vous jouer avec moâ ?, sa troisième pièce, montée par Dullin fin 1923, est couronnée de succès. Achard ne se contente pas d’y camper le personnage de Crockson. Il en signe également les chansons, sur des musiques originales du compositeur Georges Van Parys. Contenant en germe l’essence des personnages achardiens, êtres sentimentaux et naïfs, femmes belles et inconstantes, cette pièce sera montée vingt ans plus tard par le comédien Pierre Brasseur – lui-même parrainé par Achard lors de sa demande d’adhésion à la Sacem, en août 1943 – avec Arletty dans le rôle d’Isabelle.
Très vite, Louis Jouvet s’intéresse aussi à cet auteur qui monte. Fin 1925, il met en scène Marlbrough s’en va-t-en guerre. Pour cette pièce, Achard signe notamment les paroles d’une Suite pour six instruments écrite par le grand compositeur de musiques de films Georges Auric.
Marié à Juliette Marty, Marcel Achard traverse les Années folles en dormant peu, travaillant et sortant plus que de raison. En 1929, Jean de la Lune triomphe à la Comédie des Champs-Élysées, interprétée à la perfection par Louis Jouvet, Valentine Tessier, Pierre Renoir et Michel Simon.
Jusque dans les années 1950, l’auteur poursuit son entreprise théâtrale avec des succès comme Domino (1932) ou Nous n’irons pas à Valparaiso (1937). D’abord associé à l’avant-garde, son théâtre ne glisse que progressivement vers le boulevard. En 1951, il se frotte à la comédie musicale avec La P’tite Lili, offrant à une Édith Piaf à son zénith son unique participation au genre.
En 1930, Achard liste des chansons et sketchs de films (certains coécrits avec le parolier Léo Lelièvre) dans le but de devenir sociétaire.
Jouissant d’une éclatante notoriété dans les années 1930, Achard, devenu un visage iconique avec ses lunettes exagérément rondes, est joué dans toute l’Europe. À l’instar d’une génération d’écrivains et dramaturges (de Sacha Guitry à Henri Bernstein), il développe un sens et une ambition cinématographiques en tant que scénariste, dialoguiste puis réalisateur. Son nom reste aujourd’hui encore associé à des classiques du septième art grâce à ses collaborations avec Ernst Lubitsch (La Veuve joyeuse en 1934), Jean Grémillon (L’Étrange Monsieur Victor en 1938) et surtout Max Ophüls avec lequel il cosignera en 1953 les dialogues de Madame de…
On le voit aussi devant la caméra. Contribuant à la première réalisation de Jean de la Lune sous la direction de Jean Choux, en 1931, Achard finit par adapter son œuvre lui-même en 1949. Les rôles principaux sont confiés à Danielle Darrieux, François Périer et Pierre Dux. En 1957, ce dernier met en scène Patate au théâtre Saint-Georges à Paris. Cette pièce au succès écrasant restera six ans à l’affiche ! Jusqu’à éclipser les futures productions de l’« immortel ».
En 1949, neuf « musiques nouvelles » sont listées pour cette adaptation au cinéma par Marcel Achard de sa pièce de théâtre éponyme de 1929.
Le 28 mai 1959, Achard est élu à l’Académie française au fauteuil de l’écrivain André Chevrillon. « C’est la poésie qui est le charme de votre œuvre et le secret de votre réussite. Poésie parfois tendre et délicate, souvent franchement burlesque », prononce dans son discours Marcel Pagnol, qui lui donne son épée le 3 décembre de la même année.
Ionesco, Beckett, Duras, Genet… Alors qu’une nouvelle génération de dramaturges s’impose dès les années 1950 et que son théâtre est de plus en plus boudé par le public et la critique, la santé de Marcel Achard décline. Le 4 septembre 1974, foudroyé par un pré-coma diabétique, il s’éteint chez lui, dans le 7e arrondissement parisien. Conformément à ses dernières volontés, l’artiste est inhumé en présence de sa seule famille au cimetière de La Chaussée-Saint-Victor, près de Blois.