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Musique et environnement


Ces 150 dernières années ont été celles d’une transformation totale de notre environnement. Les effets de l’exode rural, de l'industrialisation, de l’accélération et du changement climatique résonnent jusque dans la musique : non, on ne chante plus la nature aujourd’hui comme il y a 50, 100 ou 150 ans. Et au fil des temps, les airs et les textes de nos chansons ont illustré les évolutions de la relation que nous entretenons avec notre environnement. 

Ainsi, dès le milieu du XIXe siècle, ce sont des émois romantiques qui expriment le tournant de la révolution industrielle et ses effets sur les paysages. On imite encore le pépiement des oiseaux au piano, on s’égosille durant les moissons. Mais bientôt, l’air sera celui des désillusions, de l’urgence, de ce qui n’existe déjà plus et de l’héritage que nous laisserons derrière nous. Et des appels à la révolte.

Contemplation, inspiration, inquiétude, mobilisation, transmission… Le répertoire musical français déposé et archivé à la Sacem représente un patrimoine unique. Il rassemble une matière de premier ordre pour écouter les échos de l'histoire, par l’oreille et la voix de musiciens et musiciennes désireux de témoigner des bouleversements écologiques. 

Ces centaines d’archives, de partitions et dépôts d’œuvres, il restait à les ordonner. Avec un enjeu de taille : tracer des chemins, cartographier des sillons communs entre les époques, les usages et les esthétiques. À l’écoute, voilà que se distinguent « Les champs en chanson », de Bourvil à Camille. Ici, on scande : «  Marchons pour le climat » du plateau du Larzac à la place de la République, quand on babille ailleurs « Un monde à hauteur d’enfants », du lapin de Chantal Goya aux BO de dessins animés… plus engagés qu’on ne le croit. 

À l’image d’un disque de compilation que l’on pose religieusement sur sa platine, de « Contemplations » en « Musique du vivant  », nous vous proposons ici de plonger dans de multiples univers de voix et de sons, signés de musiciens au talent aussi grand que leur amour pour notre planète. Un plurivers du vivant, comme pour mieux entendre ses appels au sursaut.

Par Jean-Paul Deniaud, rédacteur en chef et les journalistes Smaël Bouaici, François Mauger, Baptiste Thomasset. Publié en juin 2025.

Notre muse Nature


Toute la musique qu’on aime, elle vient de là, elle vient des champs. Pas uniquement des champs de coton, mais aussi des champs d’avoine, d’orge ou de sarrasin, si fertiles en chansons populaires. « Le loup, le renard et la belette » y courent depuis une petite éternité sans s’essouffler, à peine rattrapés par le groupe breton Tri Yann. La pauvre mais « gentille » alouette s’y fait plumer « le dos ! Et la queue ! Et les ailes ! » depuis des siècles. 

La Nature est en effet la plus sûre des muses. Un chant d’oiseau, le son d’un ruisseau et, instantanément, une mélodie naît. En 1901, Maurice Ravel s’est ainsi inspiré des fontaines parisiennes et des cascades de son enfance pour écrire ses Jeux d’eau, grand classique des études de piano, d’une remarquable fluidité. Avant lui, de Vivaldi (les fameuses Quatre Saisons) à Beethoven (la Symphonie pastorale et son chant du coucou), des centaines de compositeurs avaient noirci des partitions en observant le passage du temps ou en se souvenant de promenades à la campagne.

Mais le siècle qu’inaugure Ravel, celui des usines et des fusées, est définitivement un temps de changement. Poètes et musiciens se détournent de leur muse d’origine pour célébrer le bruit et la vitesse. Lorsqu’ils regardent en arrière, ils ne reconnaissent plus leur source d’inspiration. La glace fond aux pôles, ce qui agace le Béarnais André Minvielle sur « Keskifon ». Un « Sixième Continent » de plastique est apparu dans le Pacifique, ce qui effraie la Bretonne Nolwenn Leroy. « On nagera dans un bonheur plastifié et sensuel / Moi je serai le plus beau, toi tu seras la poubelle », ricanent les Fatals Picards dans « 20 000 lieux sous les polymères ».

Toutes les réactions sont possibles. Charles Aznavour se révolte. Sur son 47e album, pourtant enregistré sous le soleil de Cuba, il est amer : « La Terre meurt / L'homme s'en fout / Il vit sa vie / Un point, c'est tout. » A peine trentenaire, Pomme est déjà nostalgique : en marchant le long d’une allée bordée de « Séquoias », elle rêve du temps d’avant, « avant la rivière asséchée », « avant les arbres assassinés ». La jazzwoman Marion Rampal se rêve en Oizel, titre de son album le plus récent, et, à défaut de voir pousser ses ailes, elle évoque la vie sauvage. 

La chanteuse Françoiz Breut ose une « Ode aux vers » de terre (« Entre la terre et l'argile / La microfaune se faufile / Au ras du sol, s'agite, agile / Polit fragments et fossiles »), tandis que, lors de ses concerts, le duo rennais LaBotanique fait applaudir les plantes qu’il installe à ses côtés. Yann Tiersen se retranche sur l’île d’Ouessant et accueille dans ses mélodies la force de l’océan. Préoccupé par ce qu’il appelle le « désaccord des éléments », Dominique A entend au loin le Dernier Appel de la forêt et nous décrit hésitants à y répondre.

Chanson bien sûr, mais aussi rap, reggae, jazz, musiques électroniques… Tous les genres vantent la beauté de la Terre ou s’affolent de sa faiblesse. Le jeune public a  aussi son lot de refrains solidaires. Dominique Dimey lui glisse dans l’oreille : « Je chante la terre / Pour la rendre moins fragile. » Et si ça fonctionnait ?

par François Mauger

Contemplations


« La beauté est dans l’œil de celui qui regarde », disait Oscar Wilde. Et il avait raison, tout est déjà là. Il suffit de prendre un instant et de regarder la nature en action. On voit, on entend, on sent, on ressent, on entre en contemplation, et là, naturellement, vient l’inspiration. 

Combien de chansons célèbrent le simple chant des oiseaux ? Voilà une mélodie qui nous accompagne dès le début de la journée (ou à la fin pour certains) et qu’Olivier Messiaen s’est attelé à retranscrire sur partition pour orchestre en 1953 dans son fameux « Réveil des oiseaux », hommage à l’ornithologue Jacques Delamain, l’homme qui observait les oiseaux depuis les tranchées lors de la Première Guerre mondiale pour voir comment ils s’adaptaient aux combats ! 

Le ciel, les oiseaux… et la mer : dix ans plus tôt, Charles Trenet n’a pas eu besoin de plus de 20 minutes pour écrire les paroles de « La Mer », alors qu’il était dans un train Montpellier-Perpignan en train de contempler l’étang de Thau qui défilait sous ses yeux. Les golfes clairs, les reflets d’argent, c’est irrésistible, plouf, on est immédiatement projeté au bord de l’eau. C’était plutôt celle de la Manche pour Claude Debussy et sa symphonie « La Mer » de 1905, à laquelle le pianiste Sviatoslav Richter a livré l’hommage ultime : « Debussy agit sur vous encore plus fortement que la nature. » 

La force d’attraction maritime est aussi puissante chez Sébastien Tellier, qui rêve de Biarritz en été dans son tube « Roche » en 2008. Une nouvelle ritournelle hypnotique branchée sur ce sentiment de farniente que nous procure Dame Nature quand elle vient avec son soleil et son ciel bleu – « Say hi ! ». Et tant qu’on est mouillé, les lacs sont aussi une source d’inspiration infinie, que ce soit ceux du Connemara de Michel Sardou (qu’il n’a jamais visités) ou celui de Julien Doré, qui rêve d’une histoire d’amour parfaite sur ses rivages.

Chez le bien nommé Jacques Dutronc, on contemple aussi, mais plutôt façon nature morte, dans tous les sens du terme. Dans son « Petit Jardin », un de ses grands classiques paru en 1972, il décrit sans relief le jardin parisien de son enfance au fond d'une cour à la Chaussée-d'Antin, « avec un rouge-gorge, deux arbres, un pommier et un sapin ». Un bout de vert dans la ville remplacé par « une fleur de béton », regrette-t-il.

C’est probablement une des raisons qui a poussé Jacques Brel à se replier aux îles Marquises à la fin de sa carrière. En septembre 1977, alors qu’il se sait condamné par un cancer du poumon, il sort de sa retraite pour publier un dernier album. Dans « Les Marquises », enregistrée un an avant de mourir, il déclame un poème un peu dark pour décrire cette île où il a trouvé refuge (comme Gauguin à qui il fait une dédicace), avec « sa pluie traversière » et « sa mer brisée par ses rochers aux prénoms affolés »

La chanson carte postale, ce n’est pas non plus le style de la chanteuse réunionnaise Jacqueline Farreyrol, qui compose la même année « Mon Île », sa première chanson en français (et non en créole) qui est devenue un classique instantané. Les cirques, les côtes sauvages, le volcan et ses fleuves de sang, les paysages se forment en direct dans la tête : La Réunion a trouvé son hymne.

En termes de puissance d’évocation, la Corse se pose là aussi. L’île de Beauté a inspiré bon nombre de chanteurs, dont l’enfant du pays Tino Rossi, qui a chanté le classique du genre en 1934, « Ô Corse, île d’amour », décrite avec pompe par le prolifique musicien provençal Vincent Scotto, compositeur attitré des films de Marcel Pagnol. Plus près de nous, c’est la festive Calvi, sa baie et sa citadelle qui ont inspiré Izïa, avec une chanson qui raconte la satisfaction de se poser pour contempler le jour qui se lève après une nuit d’extase.

par Smaël Bouaici

Planète en danger


Est-ce qu’une chanson peut changer la marche du monde ? Sans doute pas seule. Mais elle peut insuffler l’esprit du changement, et est toujours l’expression des préoccupations de son époque. Selon ce prisme, en France, on peut donc faire remonter les premières préoccupations écolos collectives au début des années 1970, ce qui est raccord avec la première Conférence des Nations Unies sur l’environnement à Stockholm en 1972. 

Et en dépit de sa tendance à allumer le feu, c'est Johnny Hallyday qui est le pionnier de la chanson écologiste. En 1970, l’idole des jeunes déclame un poème écrit par Philippe Labro, accompagné de la « Septième Symphonie » de Beethoven réarrangée par Eddie Vartan, le frère de sa femme Sylvie. Avec un ton un peu mécanique, Johnny se met dans la peau d’un homme venu d’un futur où la nature a disparu, qui demande : « des rivières, des chemins et des cailloux, des maisons, c'est vrai ? Ça a vraiment existé ? ». 

C’est la même dystopie qui effraie Jean Ferrat, lui qui a quitté la ville pour s'installer dans une ferme ardéchoise en 1974 avec sa femme, ses chiens et son ânesse (qu’il a prénommée « Justice sociale » ), et qui imagine ce qu’il restera de la Terre dans cinquante ans avec sa chanson « Restera-t-il un chant d’oiseau » (1976). « On empoisonne les rivières, on mange des hydrocarbures », admoneste-t-il. Le bio n'est plus très loin. En 1972, c’est plutôt la bétonisation des villes qui inquiète le bien nommé Maxime Leforestier dans « Comme un arbre », où il compare l’homme et l’arbre, tous deux coincés dans leur croissance entre « béton et bitume ».

Avec le temps et l’inaction politique, les textes deviennent plus tendus, reflétant l’urgence qui s’accentue. Les rappeurs d’Assassin préviennent dès 1992 dans « L'Ecologie : Sauvons la planète ! » que « rien ne se passera sans un radical changement dans les comportements ». Pour eux, le coupable de cette crise climatique est tout désigné : c’est le capitalisme. « Comment survivre dans un monde contrôlé par l'économie ? » Pas de doute non plus pour Tiken Jah Fakoly et Soprano. Si « Le Monde est chaud », c’est la faute à « leurs manigances » et à « leurs calculs politiques ». « La priorité, c'est leur confort, voilà pourquoi… »

Mais pour Maurane, dans la prophétique Bleue en 2000, comme pour Mickey 3D, ce sont tous les humains qui doivent être mis devant leurs responsabilités. « Au début c'était bien, La nature avançait, y avait pas de chemin. Puis l'homme a débarqué avec ses gros souliers », raconte le rockeur stéphanois à un gamin du futur. 

Et puis, en 2021, dans un monde bloqué par le Covid, Emily Loizeau lance le compte à rebours dans « Renversé », espérant tout de même qu’« on retombera sur nos pieds », d'une façon ou d'une autre. Alors pour ça, il sera nécessaire de reconsidérer fondamentalement la relation de l'humain avec la nature, comme le chantait Tryo dans son Hymne des campagnes : « Assieds-toi près d'une rivière, écoute le coulis de l'eau sur la terre. Tu comprendras alors que tu n'es rien. »

par Smaël Bouaici

Passé décomposé, futur détérioré


La contemplation peut vite engendrer la nostalgie. Celle des paysages de l’enfance disparus et de modes de vie chamboulés par l’accélération du monde. En 1964, Jean Ferrat chante avec « La Montagne » l’effet des Trente Glorieuses sur son département de cœur, l’Ardèche. L’exode rural des paysans est raconté comme la fin d’un monde et l’ouverture à un « progrès » fait de Formica et de poulets aux hormones. Chez Françoise Hardy comme chez Michel Polnareff, c’est une maison d’enfance qui symbolise ce que le temps nous enlève. La première décrit avec tendresse « La Maison où j’ai grandi » (1966), lieu d’une enfance idéalisée aujourd’hui remplacé par la ville. Le second interpelle plus frontalement – « Qui a tué grand’maman » (1971) – lorsqu’il voit dans le jardin les fleurs changées en marteaux-piqueurs. 

Si ces trois chansons ont rencontré un large succès dès leur sortie, c’est parce qu’elles mettent en poésie les doutes d’une génération bousculée par son époque, s'interrogeant sur les bienfaits du mode de vie moderne. Ce que faisait déjà le poète-jazzman Boris Vian en 1956 avec sa désopilante « Complainte du progrès », caisse de résonance des premières critiques de la société de consommation et inspiration pour les slogans de Mai 68 : « Consommez plus, vous vivrez moins », « On ne tombe pas amoureux d'un taux de croissance ». 

On retrouve intactes les mêmes critiques – et le même humour féroce – des décennies plus tard dans Baise le monde (2021) du rappeur Orelsan, qui raconte façon ego trip une soirée branchée. Sauf que, des crevettes du buffet à son nouveau survêtement, tout ce qui l’entoure le ramène aux conséquences écologiques de son mode de vie consumériste – « Mais pourquoi je pense à ça ? ». Des conséquences dépeintes par Zaho de Sagazan à travers une allégorie empruntée à Baudelaire : « La Fontaine de sang » (2023). De son côté, Zazie (« Je suis un Homme », 2007) prend du recul grâce à une ritournelle retraçant l’histoire de notre espèce, de « l’Homme de Cro-Magnon » au « pur produit de consommation ». Ou « roi des cons », si l’on veut prolonger la rime. 

Que laissera-t-on derrière nous ? Cette question fil rouge de l’écologie n’épargne pas les artistes. Le rappeur Kool Shen – qui réfléchissait au « Monde de demain » avec Suprême NTM – imagine dans son morceau solo « Grandeur et décadence » (2009) un 2030 fait de pénurie et de canicule au milieu duquel « l'humain a touché le fond [et] la nature s'est vengée ». Même mentalité No Future chez le reggaeman Taïro : « Le futur a-t-il encore une place / L'argent fait fondre la glace » (« Révolution, Pt 1 : Le Futur », 2020). 

Puisque nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres mais que nous l’empruntons à nos enfants, Charlélie Couture s’adresse directement à ces derniers dans « Toi, ma descendance » (2019) et Lémofil se fait la voix de jeunes qui ne veulent pas avoir d’enfants dans un monde qui brûle, à travers un long poème slamé : « Pétrole » (2023). 

Il reste tout de même de l’optimisme – sans candeur – dans le désir partagé d’« Un Monde nouveau » (2021), chanté au cœur de la crise du Covid par le plus littéraire des groupes de rock, Feu! Chatterton. Ainsi que dans l’acharnement à trouver de la beauté dans tout ça ; à l’image de Charlélie Couture qui conclut son texte en évoquant « des souvenirs joyeux [qui] hantent pourtant mon désespoir » et de Lémofil qui s’adresse à son amour : ​​​​​​​« On sera tellement beaux, debout dans les décombres. » 

par Baptiste Thomasset

Marchons pour le climat


Lutter d’accord, mais en musique ! Dès les balbutiements des mouvements écologistes, la musique et les chants se sont imposés comme de précieux compagnons de lutte. Sur le plateau du Larzac résonnaient déjà dans les années 1970 des refrains repris en chœur, en français ou en occitan, par les paysans et les dizaines de milliers de citoyens mobilisés contre l’extension d’un camp militaire : « Des moutons, pas des canons », « Faites labour, pas la guerre »… 

Mai 68 est passé par là. Les rassemblements écologistes agrègent des militants chevronnés, des étudiants, des pacifistes, des hippies, et quelques artistes en quête d’inspiration. Hubert-Félix Thiéfaine raconte avoir écrit « Alligators 427 » (1979) après avoir manifesté contre la construction de la centrale nucléaire de Fessenheim au début des années 1970. Idem chez le groupe de rock celtique Tri Yann qui compose une longue suite en cinq mouvements « An Heol a zo glaz » (1981) autour de la lutte – victorieuse – contre la construction d’une centrale nucléaire sur la petite commune de Plogoff (Finistère). Dans la même veine, saviez-vous que l’incontournable tube « Vamos a la Playa » (1983) du duo italien Righeira était en réalité une chanson antinucléaire décrivant un monde ravagé – mais festif – après l’explosion d’une bombe atomique ?

Certains artistes choisissent de s’adresser directement à leur public pour les appeler à s’engager face à l’urgence écologique. Yannick Noah va jusqu’à proposer un hymne inspiré de « La Marseillaise » : « Aux Arbres citoyens » (2007). À travers la plume de Cyril Tarquiny, le chanteur-tennisman préféré des Français scande : « Il est grand temps qu'on propose un monde pour demain. » À l’échelle individuelle, le chanteur Gael Faure souligne de son beau verbe la joie qu’il peut y avoir à « tout repenser, de nos vies, de nos choix » pour s’adapter aux limites planétaires (« L’Œuvre de nos vies », 2021). 

Du côté du hip-hop, la Marseillaise Keny Arkana veut voir « Tout le monde debout » (2005) face à ceux qui « détruisent la nature, rien à fout′ de l′écologie, pensent à l’économie ». Même si le rap actuel reste timide sur le sujet, on retrouve quelques prises de position chez Lord Esperanza (« Danse avec les ombres », 2017) ou Gaël Faye (« Irruption », 2017). Ce dernier évoque d’ailleurs la difficulté pour les artistes de s’engager, notamment pour l’environnement, dans « La Cause » (2022) interprété avec ses amis Ben Mazué et Grand Corps Malade : « Tourne sept fois ma langue / Me méfie de ma propre bêtise / Parler c'est prendre position / Se taire c'est prendre position. »

Lorsque l’on se penche sur la BO des luttes écologistes, difficile d’échapper à l’entêtant « Pas de retraités sur une planète brûlée » du collectif Planète Boum Boum, tube des cortèges de manifestations depuis 2023. Avant ça, les grandes marches pour le climat initiées par la Suédoise Greta Thunberg – à laquelle Raphaële Lannadère a dédié une chanson (« Greta », 2023) – ont aussi été mises en musique. L’entraînant « Clap Clap » (2022) du duo MAB et l’explosif « #OHRAGE » (2023) de l’« artiviste » Koclico célèbrent ce mouvement social ayant réuni jusqu’à 150 000 personnes en France.

par Baptiste Thomasset

Nous sommes la nature


Bienvenue en Amazonie. Jean-Michel Jarre n’y est jamais allé mais Amazônia, la bande-son qu’il a conçue pour une exposition du photographe brésilien Sebastião Salgado, y emmène directement l’auditeur. Un oiseau chante, un faible vent agite les feuilles, un animal passe, tandis que des claviers tissent une luxuriante forêt de sons. Tout semble en mouvement sur ce disque qui rappelle l’engagement du musicien. « Nous sommes la nature » semblait en effet déjà dire, en 1976, la pochette de son album Oxygène : une planète Terre dont la moitié supérieure laissait la place à une tête de mort. 

Une autre école de la musique électronique préciserait : « Nous sommes l’humanité immergée dans la nature. » Son porte-parole pourrait être le duo Deep Forest, dont le plus grand succès, « Sweet Lullaby », combine une berceuse des îles Salomon, une rythmique hip-hop et des percussions aquatiques africaines. La nouvelle génération s’y met aussi, comme Fakear, qui s'inspire de la puissance des éléments pour composer des titres intitulés « Animal » ou « Vegetal ».  

Le compositeur Olivier Messiaen a depuis longtemps montré à quel point l’environnement pouvait être inspirant. L’un de ses élèves, François-Bernard Mâche, a même imaginé une nouvelle science, la zoomusicologie, qui étudie les aspects musicaux des sons des animaux. Aujourd’hui, nombre de compositeurs contemporains se passionnent pour les questions environnementales. Camille Pépin dépeint la fonte des glaces dans « Inlandsis ». Thierry Pécou se lance dans une « Méditation sur la fin de l’espèce ». Alexandre Lévy s’intéresse aux vibrations que produisent les arbres. Grégoire Lorieux entraîne le public en forêt pour lui permettre d’apprécier le silence. Tristan Murail écrit « Le Rossignol en amour » en s’inspirant de l’oiseau qui habite la haie de chênes verts qui fait face à sa terrasse.

Certains musiciens dialoguent plus directement encore avec les animaux. Pour l’un de ses premiers albums, Big Sun, le jazzman Christophe Chassol filme les oiseaux de sa Martinique originelle et réalise en partant d’eux ce qu’il appelle un « ultrascore » : une harmonisation parfaite du réel et de la musique. Le joueur de luth Marc Loopuyt propose des sorties en petits groupes afin de l’écouter échanger avec les rossignols des parcs et jardins de Lyon. La compositrice Aline Pénitot a découvert que le basson, un instrument à vent employé dans les grands orchestres, a la même longueur, lorsqu’il est déplié, que l’organe de production de son d’une baleine. Depuis un bateau, elle discute avec les cétacés en diffusant sous l’eau ses compositions. Sa disciple la bassoniste Sophie Bernado conçoit, elle, des concerts immersifs avec l’ingénieure du son Céline Grangey et rêve d’expositions multisensorielles fondées sur les chants des mammifères marins.

Toutes et tous l’affirment à travers leur musique : l’humanité n’est qu’une composante de la nature, même si elle l’oublie parfois.

par François Mauger

Les champs en chansons


« Adieu Paris, je me retire à la campagne », chantait Berthe Sylva en 1929, s’imaginant prendre la clé des champs pour échapper au bruit de la capitale – et à l’indigestion de champagne. Voilà un thème récurrent dans la chanson française. Depuis Bourvil qui chante le bonheur quotidien d’un couple de paysans (« À la campagne », 1950) jusqu’à Ridan et sa folie des grands espaces - « Si le blé m'file du bonheur / je me ferai peut-être agriculteur » (« L’Agriculteur », 2003), en passant par Claude François (« À la campagne », encore, 1966), le monde rural incarne le retour aux choses simples et au bonheur naturel que la ville a dévoyé. 

En miroir, le chanteur Bénabar s’amuse de cette « fête aux clichés » des Parisiens en quête d’authentique et de rustique (« À la campagne », décidément, 2008), suivi par Juliette et Les Fatals Picards qui moquent le « Retour à la nature » (2002) ou « Le Retour à la terre » (2011) des néo-ruraux. 

Mais difficile d’en vouloir aux artistes. L’époque où la chanson française accompagnait les travaux des champs – à l’image du chant traditionnel occitan « Lo Boièr » ou des « Semailles » (1895), interprété en 1954 par Armand Mestral – est déjà loin. Aujourd’hui, vivre de sa musique, c’est bien souvent vivre en ville, ce qui crée un décalage brillamment pointé par Michel Delpech. Le chanteur populaire raconte, sur fond de rock champêtre, l’inconfort de ses retours chez sa famille vivant dans « Le Loir et Cher » (1977) : « Je n'ai jamais eu grand-chose à leur dire / Mais j'les aime depuis toujours. »

Loin de l’image d’Épinal, de nombreux musiciens issus du monde rural ont pris la plume pour raconter les réalités de leur chez-eux. Parfois avec beaucoup d’humour, comme l’a fait Kamini avec « Marly-Gomont » (2006). Celui qui se définit comme un « rappeur rural » a signé l’un des premiers buzz d’Internet en décrivant le quotidien de son petit village de Picardie et le racisme qu’il y rencontre. À son tour, le Creusois Gauvain Sers a mis en poésie le sentiment de relégation partagé par de nombreux ruraux grâce à un morceau sur une école de village menacée de fermeture (« Les Oubliés », 2019). Ce dernier dépeint également avec justesse la routine d’un agriculteur, à travers le mélancolique « Sur ton tracteur » (2017), en s’attardant autant sur les joies et fiertés que sur les difficultés du métier. 

Car dans le monde agricole, des difficultés, il y en a. Et la musique s’en fait régulièrement le porte-voix. On retrouve ainsi la même indignation contre l’image de l’huissier confisquant la ferme d’un agriculteur endetté dans les paroles de Pierre Bachelet (« Paysan », 1998), de Renaud (« Pas de dimanches », 2006), et d'Hugues Aufray reprenant Bob Dylan (« Au cœur de mon pays », 1995). Plus récemment, le jeune chanteur Lilian Renaud – vainqueur du télécrochet The Voice – s’est indigné « des hommes qui meurent sous le poids de leur terre » (« Quoi de plus beau », 2019).

Dans le même temps, certains artistes essayent de renouer avec le folklore de leur territoire. On pense naturellement à la Basque Anne Etchegoyen (« Hegoak », « Pachamama ») et à la Bretonne Nolwenn Leroy (« Karantez Vro », « La Jument de Michao »). En reprenant les codes de la chanson française, les deux chanteuses font voyager la musique – et la langue – de leurs régions dans tout le pays. Dans un autre registre, la chanteuse Camille, qui s’inspire volontiers de la bourrée auvergnate pour ses scénographies, raconte s’être appuyée sur un « air traditionnel des campagnes » pour composer l’envoûtant « Twix » (2017). Un titre qui parle aussi d’agriculture, à sa manière : « Si tu plantes un Twix dans la terre / Il ne poussera rien que la poussière / Si tu plantes une pomme dans la terre / Elle nourrira la Terre entière. »

par Baptiste Thomasset

Le monde à hauteur d'enfants


Pourquoi les adultes oublient-ils les paroles des chansons qu’ils ont apprises quand ils étaient enfants ? Où disparaît cet amour inné pour les arbres et les animaux ? Ce même amour qui a poussé les enfants de Chantal Goya et Jean-Jacques Debout à défendre les lapins contre les chasseurs et inspiré son plus grand tube à la chanteuse en 1977 ? Cette intuition de renverser les rôles a ancré dans les têtes de toute une génération de bambins que les animaux avaient aussi une conscience, et pourquoi pas des droits ?

Après le succès d’« Un Lapin », l’affaire est entendue, il faut former les enfants à l’environnement dès le plus jeune âge si on veut espérer sauver les meubles. Émission culte des années 1990, les Minikeums et leurs marionnettes inspirées de Johnny ou Vanessa Paradis y vont de leur cri d’alerte sur le rythme reggae de « L’Eau, le feu, le vent », rappelant que les humains ne sont que « locataires » de la planète. Mais la chanson qui a mis tous les enfants – et les grands – d’accord, c’est l’incontournable « L’Air du vent », du film d’animation Pocahontas (1995), chanté en français par Laura Mayne, un classique instantané de la pop culture avec un texte inspirant sur l’importance de se relier à la nature. « Moi, je sais que la pierre, l'oiseau et les fleurs ont une vie, ont un esprit et un cœur. » Les Na'vis d’Avatar approuvent.

À cette période, avec la médiatisation des premiers rapports du GIEC reliant l’activité humaine et le réchauffement climatique, l’écologie devient un sujet d’actualité. Sur « Enfants, soyez meilleurs que nous » en 1995, Serge Reggiani fait le mea culpa de sa génération qui a pourtant « rêvé de construire pour vous un monde plus joli, plus doux ». Passé l’an 2000, la jeunesse est sensibilisée à la protection de la nature de tous les côtés. Tandis que le populaire Yannick Noah y va de son « Aux Arbres citoyens », élue chanson de l'année en 2007 à la télé, et qu’Aldebert met la pollution sur le dos de « Monsieur Toulmonde », Monsieur Nô enchaîne les ateliers sur le terrain, dans les écoles primaires, pour créer un groupe, Les Enfantastiques, et un tube « C’est de l’eau ».

Directement de l’enfant à l’enfant, c’est aussi la démarche de Dominique Dimey, qui a consacré sa carrière de chanteuse/comédienne/animatrice télé à la défense des droits de la jeunesse et à la protection de l'environnement. Elle cristallise tout ça en 2008 avec « Touche pas ma planète », un classique du répertoire des chorales des écoles francophones à travers le monde. 

Convaincu du pouvoir de la musique sur les esprits, l’Unicef monte logiquement son propre groupe d’enfants en 2015 avec Kids United pour promouvoir ses bonnes causes. La deuxième mouture du groupe, Kids United Nouvelle Génération, fait un carton avec « L’Hymne de la vie » en 2019, une reprise du thème du dessin animé des années 1980 « Les Mondes engloutis » (signé par le géant de la musique de film Vladimir Cosma), qui imaginait un monde vivant sous un soleil artificiel…

Alors, la trentaine d’écoliers réunis par l’artiste YGab en 2023 pour promettre « Je prendrai soin de toi » à la planète deviendront-ils des citoyens plus éco-conscients que la génération d’avant ? Ou enfouiront-ils eux aussi le message de ces chansons sous les couches du quotidien ? Peut-être suffit-il de les réécouter pour le faire ressurgir…

par Smaël Bouaici

Musiques du vivant


L’enregistrement a profondément changé le rapport des musiciens à la nature, surtout depuis qu’il peut être réalisé avec un matériel relativement léger et accessible. Déjà, dans les années 1950, des hommes et des femmes partaient, un micro à la main, capter les sons émis par un animal précis ou un écosystème donné, à des fins scientifiques plus qu’esthétiques. On appelle leurs successeurs (Fernand Deroussen, Marc Namblard, Boris Jollivet…) des « audio-naturalistes ». 

Ils croisent parfois dans les sous-bois des « artistes sonores », qui pratiquent comme eux l’enregistrement d’espaces naturels mais intègrent le fruit de leurs collectes dans des montages moins réalistes, plus subjectifs. Ils opèrent dans une zone encore mal cartographiée, entre documentaire sonore et expérimentations musicales. Mathias Arrignon tente ainsi de retranscrire la vie intérieure d’un arbre. Thomas Tilly se passionne pour les orgies sexuelles de grenouilles guyanaises. Mélia Roger se glisse dans l’intimité des lichens. Stéphane Marin recueille les bourrasques de l’Ariège…

Le pionnier de cette poésie sonore, qu’il appelait « musique concrète », est le compositeur Pierre Schaeffer. Il est également, avec son ami Pierre Henry, un précurseur reconnu des musiques électroniques. Aujourd’hui, des figures majeures de ce nouveau genre musical incorporent dans leur mix des bribes d’enregistrements. Remixeur vedette et fondateur du label Tigersushi, Joakim a placé des enregistrements de lémuriens, de crapauds ou d'hippopotames au cœur de son disque Second Nature (2021). 

L’intrépide Molécule s’est rendu célèbre en créant un album entier à bord d’un chalutier, à partir du bruit des tempêtes de l’Atlantique Nord. François Joncour a rythmé certaines de ses compositions avec le son de la banquise qui craque ; Paul Collins avec le bouillonnement de sources chaudes. Robin Perkins, alias « El Búho », nourrit ses machines avec les pépiements d’oiseaux d’Amérique latine. 

Mais micros et échantillonneurs ne sont pas les seuls moyens de capter le vivant. Il se trouve en chacun d’entre nous, dans notre souffle par exemple, comme le rappellent régulièrement les expérimentations vocales de la chanteuse Camille. L’ensemble Les Humanophones s’est fait une spécialité des percussions corporelles : leur instrument est le corps entier. Le fondateur de l’ensemble, Rémi Leclerc, a entraîné l’improvisatrice Leïla Martial dans une folle collaboration avec un groupe de pygmées Aka, dont les chants a capella accompagnent la chasse dans les forêts du Congo. Plus près de nous, Les Chanteurs d’oiseaux ont appris, en grandissant dans la baie de Somme, à imiter avec leur voix merle, pinson et goéland argenté ; ils intègrent désormais ces sons dans des mélodies de Vivaldi ou de Schubert.

Qu’elle soit électronique ou organique, synthétique ou « bio », la musique revient ainsi à ses origines. A tâtons, les artistes renouent avec l’étincelle première, ce moment impalpable de la Préhistoire où leurs précurseurs ont inventé le rythme et le chant à l’écoute du vivant.

par François Mauger