À l’époque, j’étais disquaire chez Sinfonia, sur les Champs-Élysées, tout en prenant des cours de chant le soir. Les agents, les producteurs, parfois même les artistes, venaient me voir pour que je mette leurs disques en vente. Ce qui m’a permis de côtoyer Miles Davis, Karajan, la Callas et d’autres.
J’étais passionné de chanson française, j’adorais des artistes comme Mouloudji, Maurice Fanon, Juliette Gréco, ou Nana Mouskouri. Alors, j’ai passé plusieurs auditions sans succès, dont l’une au Golf Drouot, moi qui détestais les yéyés… Inutile de préciser que je me suis fait jeter !
Quand j’ai signé mon premier contrat, j’étais encore mineur, pupille de l’État.
Avec mon tuteur Daniel Cordier, nous avions un jour déjeuné avec André Malraux, qui lui avait demandé: "Pourquoi le lancez-vous dans ce métier qui n’en est pas un ?". Alors j’ai répondu à Malraux : "Monsieur le ministre, allez voir chanter Jacques Brel, ça vaut bien un Chagall !".
À partir de ce moment, Cordier a pensé que j’étais sevré, qu’il pouvait me lâcher dans la nature, moi qui, un an avant, étais encore un petit délinquant…
On voulait faire de moi un genre de nouveau Claude François, mais moi j’avais la prétention d’écrire mon propre répertoire.
Il y avait cette chanson d’Aznavour qui s’appelait C’est fini, qui tournait dans ma tête toute la journée.
Un jour, en prenant mon métro, j’ai vu une affiche de pub qui disait "Partez en vacances à Capri". J’ai fait l’association des deux formules, je suis monté dans ma chambre et j’ai composé la chanson en dix minutes, sur un petit clavier Farfisa.
Ensuite, j’ai travaillé avec le guitariste Marcel Hurten, qui m’arrangeait mes petites compos ; il m’a aidé à mettre la chanson en place et j’ai décidé de la cosigner avec lui.
C’est un petit miracle…
Je pense qu’une part du succès vient de la façon dont nous l’avons enregistré, avec des pointures de jazz comme Eddy Louiss, Maurice Vander ou Kenny Clarke, sous la direction de Jacques Denjean.
Par peur de passer pour un ringard, j’ai voulu chanter en direct, avec l’orchestre. On a fait deux prises. Je me suis pris pour un grand chanteur…
C’est devenu une amie, grâce à cette chanson.
À la fin de sa vie, elle ne parlait pratiquement plus. Un jour, à sa demande, je suis allé la rejoindre à Trouville ; nous avons marché sur la plage, elle s’est assise sur le sable et m’a demandé de lui chanter Capri c’est fini. Alors je la lui ai chantée. Elle est morte deux mois après.
Les gens sont tellement heureux de l’entendre, c’est un bonheur partagé. Quand je monte sur scène, c’est pour ça, c’est pour donner, pour faire plaisir. Je la chante comme si c’était la première fois.
Par Philippe Barbot
Crédit photo : AGIP/Bridgeman Images
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