Ce coup dur oblige L’Auto à parer au plus pressé en embauchant des vacataires pour suppléer l’inspecteur général.
Lucien Cazalis – un acteur-chanteur qui tire le diable par la queue dans des petits rôles de séries comiques ou de revues – candidate.
Au fil des années, il prend du galon, endossant les fonctions de commissaire (validant les présences des engagés au départ et vérifiant leurs arrivées), de comptable et de trésorier de l’épreuve.
A l’orée des années 30, Cazalis – qui poursuit sa carrière artistique en parallèle – a l’idée de donner à chaque édition du Tour de France sa propre chanson.
Peu réfractaire au cumul des mandats et considérant que l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il signe lui-même les paroles de huit hymnes « officiels » de la Grande Boucle.
Composées par Frédo Gardoni, l’un des accordéonistes les plus célèbres de l’époque, ou encore Michel Emer (qui co-signera « Y’a d’la joie » avec Charles Trenet et se chargera de la musique de « L’Accordéoniste », « J’m’en fous pas mal » ou encore « A quoi ça sert l’amour » pour Édith Piaf), ces huit marches assurent une gentille réclame à l’épreuve, et surtout un peu plus de beurre dans les épinards du touche-à-tout.
Deux histoires d’amour entre un cycliste et sa machine installent d’abord un cadre tendre : « Je suis la p’tite môme biclo, qui vient d’faire un conjungo avec un grand champion du vélo. Pour célébrer notre union, il m’emmena sans plus d’façons, faire le Tour de France » (« La Môme biclo », 1931),
« C’est à Concarneau chez un marchand d’vélo, qu’il vit méli-mélo une petite reine. Elle le trouva beau, bien bâti et costaud, "Je t’emmène sur mon dos" dit la souveraine » (« P’tit gars du Tour », 1932).
La popularité grandissante de la Grande Boucle permet ensuite à Cazalis d’écrire le frisson qui parcourt le public : « Pendant un mois, le Tour de France remue les nerfs, fait battre les cœurs. Chaque pays à l’espérance, d’voir un des siens triomphateur » (« Le Tour qui passe », 1933), allant jusqu’à tremper sa plume dans une encre cocardière : « Voilà le Tour ! Ses champions, les voilà ! Pleins d’courage et d’endurance ! […] Nos cœurs, d’un même souhait font des vœux pour le succès de nos petits coureurs français ! » (« Les Champions de la route », 1934).
L’acteur-chanteur qui s’est mis aux paroles renoue avec le style music-hall, dans un style naïf « Il partait ce matin-là sans tra-la-la sur son vélo faire un tour aux alentours, mais son tour machinalement de petit devint plus grand et là v’là qu’il s’lance dans l’Tour de France ! » (« C’est un Tour », 1934), puis marieur « C’est un jour de réjouissance, dans chaque petit pays, c’est que le Tour de France par là passe aujourd’hui et les filles coquettes mettent leurs beaux atours rêvant d’faire la conquête d’un des champions du Tour » (« Ah ! Les voilà », 1936).
Devenu fin connaisseur du Tour de France, l’ancien voltigeur sait que ce sont les montagnes qui procurent le plus beau spectacle dans la quête du maillot jaune « Dans les Aravis, le Puymorens, le Galibier, les curieux sont là par milliers », et glisse au passage un peu de promo pour sa crèmerie « Ceux qui sont au loin suivent la course en lisant l’Auto » (« A qui l’Tour ? », 1937).
Si « C’est l’Tour de France » (1938), la huitième et dernière chanson officielle de Cazalis, offre un slogan un peu plus efficace que les précédents (« Quels sont ces cris et ces acclamations ? C’est la fête du sport, c’est l’Tour de France ! »), la course oubliera vite ces marches pas vraiment indélébiles.
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