Les chansons populaires ont ceci de cruel que, parfois, elles parviennent presque à effacer toute trace de leur généalogie. Tout le monde connaît Colchiques dans les prés, mais pas forcément Automne, qui est pourtant le titre original de ce classique appris souvent dès la maternelle. Est-ce pour cela que l’on a oublié que c’est une chanson de Francine Cockenpot pour la musique et de Jacqueline Claude pour les paroles.
Et – injustice dans l’injustice – même les érudits de la chanson ne se souviennent que de Francine Cockenpot. Il est vrai que Corbeau Unique – puisque tel est son totem scout – est un personnage exceptionnel. Elle a quinze ans en 1933, quand elle entre chez les Guides de France, le principal mouvement de scoutisme catholique féminin. Ses responsables, à Lille, remarquent à la fois son anticonformisme et son goût pour les veillées et les jeux chantés.
Quelques années plus tard, on lui demande officiellement de travailler à l’élargissement du répertoire de chants des Guides de France. En 1938, elle déclare à la Sacem son premier chant scout, La route est longue, dont le refrain accompagne toujours aujourd’hui les marches sac aux dos des louveteaux, éclaireurs, guides et pionniers de toutes les organisations scoutes de langue française : « La route est longue, longue, longue / Marche sans jamais t’arrêter / La route est dure, dure, dure / Chante si tu es fatigué ».
Pendant la Seconde guerre mondiale, Francine Cockenpot est une des animatrices du « guidisme des caves » dans le Nord : les scouts s’engagent dans l’assistance aux blessés et aux réfugiés, mais aussi aux clandestins, aux fugitifs, aux Résistants. Infirmière, elle continue d’écrire. Ses recueils de poèmes et de chants deviennent aussitôt des classiques pour les mouvements de jeunesse, parfois loin au-delà du seul scoutisme catholique, puisqu’elle découvre très tôt la philosophie de Rabindranath Tagore.
Ses chansons ont pour principale qualité de sembler exister depuis toujours, entre Moyen-âge, folklore régional et poésie populaire, comme avec J’ai lié ma botte, autre chanson encore en usage dans les écoles et les mouvements scouts : « Au bois joli l'y a des violettes / De l'aubépine et de l'églantier / J’ai lié ma botte avec un brin de paille / J’ai lié ma botte avec un brin d'osier ».
Un jour de 1943, elle prend le train de Lyon à Paris avec Jacqueline Claude, une autre Lilloise, poétesse et ancienne responsable chez les Guides. Pendant leurs cinq heures de train, Francine Cockenpot compose une mélodie sur un texte qu’elle rédige avec sa compatriote nordiste. La chanson est incluse, sous le titre d’Automne, dans le recueil de chansons inédites Vents du Nord publié en 1945 aux éditions du Seuil. Mais, déjà, des Guides de France désignent la chanson par les premiers mots de son premier couplet : « Colchiques dans les prés / Fleurissent, fleurissent / Colchiques dans les prés / C’est la fin de l’été ».
En juin 1946, Cockenpot dépose à l’agence lilloise de la Sacem les chansons de Vents du Nord – J’ai lié ma botte, Sur la route y’a des fleurs, Cueillant la violette, J’entends l’alouette… Mais ce ne sera qu’en 1950 qu’elle déposera Automne.
Car, entretemps, Colchiques dans les prés s’est répandu au-delà du scoutisme avec d’autant plus de facilité qu’animateurs de jeunesse, chefs de chant des chorales et institutrices se délectent de la difficulté très pédagogique de la descente du refrain de l’aigu au grave : « La feuille d’automne / Emportée par le vent / En rondes monotones / Tombe en tourbillonnant ».
Quand Francine Cockenpot s’étonne que sa chanson que l’on entend le plus souvent soit absente de ses relevés de droits, les services de la Sacem lui font remarquer qu’elle n’a pas déposé Automne avec les autres chansons de son célèbre recueil. Un oubli réparé par le bulletin de déclaration n° 648480 du 8 mai 1950.
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