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Chronique
"Sur la commode" de Jeanne Aubert
« Cul » réactionnaire contre Front populaire…
Mise en place du droit syndical, généralisation des conventions collectives, hausse des salaires des employés, diminution de la semaine de travail de 48 à 40 heures, loi sur les allocations chômage, scolarité obligatoire allongée à quatorze ans, congés payés…

L’arrivée au pouvoir du Front Populaire ressemble aujourd’hui à l’âge d’or de la gauche française, et les mesures qui furent alors mises en place restent souvent saluées comme des acquis sociaux. Les tenants du « c’était mieux avant » ont toutefois oublié qu’à l’époque, ces réformes – comme toutes les réformes – ont eu leurs détracteurs.

En effet, un peu plus d’un an après le coup de force de la coalition réunissant Parti républicain radical et radical-socialiste, Section française de l’internationale ouvrière et Parti communiste français, une revue a fustigé son action.

V'la l'travail

Composée par Moisés Simons, écrite par Georges Thenon (alias Rip) – un chansonnier classé réactionnaire – et Albert Willemetz, l’un des auteurs les plus fins et les plus prolixes de son temps, V’la l’travail ridiculise Léon Blum, Édouard Daladier, Maurice Thorez et leur bilan sur des parodies.

La chanson la plus forte sera néanmoins la seule dont la musique aura été créée pour l’occasion (on la doit au compositeur et chef d’orchestre cubain Moisés Simón Rodriguez).
A la fin du spectacle, son interprète, la piquante Jeanne Aubert, y tourne en dérision les vacances que peut désormais prendre tout un chacun depuis l’instauration des congés payés (qualifiées de « mode »).

Pour éviter les frais
Tout en suivant la mode
Chez moi je prends le frais
Le cul sur la commode

Comment peut-on prendre le frais le cul sur la commode ?
Jeanne Aubert, à laquelle la chanson collera à la peau et à la carrière, la rejouera souvent en sautant sur une commode derrière elle au moment du refrain, imageant ainsi le frais que l’on prend, les fesses et les cuisses sur la plaque de marbre qui recouvrait le meuble avant sa démocratisation.

Rip et Willemetz jugent la France « malade » depuis que le Front populaire la gouverne, attaquant une seconde « mode », celle des impôts qui augmentent, en griffant dans la chute :

Et si un jour on vient
M'la prendre, comme c'est la mode,
Je défendrai mon bien
Le cul sur la commode

Une expression populaire

Tant sur le plan de l’image que celui du son (avec les allitérations en [l] et [k]), la formule de Rip et Willemetz fait mouche, au point de dépasser le champ politique et de passer dans le langage populaire, où elle va s’enrichir d’autres sens.

« Avoir le cul sur la commode » devient une métaphore pour signifier que l’on préfère rester chez soi plutôt que de partir en vacances, puis économiser au lieu de dépenser.
Dans le domaine de la presse, on se met à l’employer pour désigner un marronnier racoleur et facile, tandis qu’au théâtre, on va l’utiliser au sujet d’une pièce vulgaire, montée dans un unique souci de rentabilité.
Un peu plus tard, « Et mon cul sur la commode ! » clôturera dans un registre très familier une phrase que l’on voudra charger d’ironie pour montrer que l’on n’est pas dupe.

Dans leur envie de se moquer du Front populaire, Rip et Willemetz ne se doutaient sûrement pas qu’en posant le cul de Jeanne Aubert sur la commode, ils inventeraient une telle expression à tiroirs !

Partition "... Sur la commode"
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Bulletin de déclaration "... Sur la commode"
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L'auteur

Vincent Dégremont

Journaliste Sport & Musique.
Ecoute avec un égal bonheur « L’Apprenti sorcier » et « La Maladie d’amour ».
Préoccupé par le dérèglement climatique et les fake news.
Considère la cuisine comme un art majeur.