Les années 60 viennent de se terminer. L’auteur-compositeur-interprète de la vague yéyé, Michel Berger - qui a gravé une grosse demi-douzaine de super-45 tours entre 1963 et 1966 -est devenu un créateur de l’ombre. Si quelques-unes de ses chansons ont été enregistrées par une poignée d’artistes connus (Bourvil, Monty…) ou débutants (Patricia…), il n’a cependant pas encore réussi à s’imposer comme interprète.
Il se console avec les droits d’auteur que lui ont rapporté une chanson qu’iI a cosignée sous le pseudo de Michel Hursel : le fameux « Adieu jolie Candy » chanté en 1969 par Yves Roze, alias Jean-François Michael.
En parallèle, sa maison de disques - Pathé-Marconi/La Voix de Son Maitre - lui a proposé de devenir directeur artistique. Il a accepté et a en charge quelques jeunes artistes dont une inconnue du nom de Véronique Sanson, d’abord en trio avec sa sœur et un copain de 1967 à 1968, ensuite en solo dès 1969.
La nouvelle décennie a bien commencé puisque Pathé lui permet de sortir en 1971 son premier 30 cm, un concerto pour piano, groupe pop et orchestre symphonique, qu’il baptise « Puzzle ».
Au début de cette même année, Helmut Grabher, un jeune musicien autrichien de 25 ans, qui vit à Paris, rencontre dans le métro un professionnel du show-business français qui cherche un chanteur anglophone. Ce professionnel se fait d’ailleurs appeler Simon Heiwell. Il n’est autre que le guitariste Jean-Pierre Martin, frère ainé d’Yves Martin, futur complice et mari de Sheila.
Depuis la fin du yéyé et Mai 68, les maisons de disques françaises produisent des artistes en anglais, à la fois à la mode en France, mais aussi plus « exportables ».
Grabher, qui écrit ses chansons, et a envie de les voir enregistrer, accepte. Le titre est signé pour la musique par Michel Hamburger, le vrai nom de Michel Berger, et pour le texte original français par Pierre Darjean, alias Jacques Barouh, de son vrai nom Jean Darcelle. L'adaptation anglaise est de Simon Heiwell.
A noter qu'avec Darcelle, Michel Berger a déjà signé « Francine », la face B d’ « Adieu jolie Candy », « Celle que j’aime », un autre titre pour Jean-François Michaël, et l’indicatif du jeu télévisé « Qui et quoi : Prismes en La mineur », enregistré par Patrick Denis et son orchestre.
Quand vient le moment de préparer la pochette du disque, comme Helmut chante en anglais, on le baptise d’un prénom de prophète et d’un nom qui signifie « La Foi » en anglais. Jérémy Faith est né. Il est accompagné du St Matthews Church Choir And Orchestra. Pour faire plus vrai.
Et comme Grabher n’a certainement pas envie de montrer son visage pour ce projet qu’on appelle « un coup » - espérant sans doute publier dans la foulée ses propres chansons - on décide de remplacer sa photo par un dessin. Ce dernier s’avère « biblique » et rajoute une pierre à l’édifice.
Très vite, il grimpe au hit-parade de la première radio de France qui est encore Europe 1. Classé du 15 juin au 15 octobre, il finira n°3 au classement de la revue pour adolescents Salut Les Copains entre le 15 juillet et le 15 août 1971.
Avant cela, Decca France demande à ses filiales du monde entier de sortir « Jesus », ce que beaucoup s’empressent de faire car le morceau est vraiment dans l’air du temps.
Deux comédies musicales anglo-saxonnes sur le thème de « Jesus » sont même sur les rails : « Jesus-Christ Superstar » et « Godspell ». Elles s’apprêtent à être montées en France.
Le 45 tours est lancé en Europe (Italie, Portugal, Espagne, Grèce, Belgique, Pays-Bas (tip), Allemagne, Suède…) et au Royaume-Uni, aux USA et au Brésil… Avec sensiblement la même pochette que dans l’Hexagone.
Bien vu ! « Jesus » marche si bien que son succès permet la sortie du 33 tours en Espagne, Allemagne, Grèce… et même au Brésil (où il est rebaptisé « Lord »).
Et si Jeremy Faith s’impose partout sur la planète, cela n’empêche pas quelques covers (reprises) du morceau en diverses langues, mais souvent en gardant le même titre. En en italien, c’est la nouvelle vedette Massimo Ranieri qui s’en charge, en espagnol Blume (sous le titre « Te necesitamos (Cristo) ». Au Royaume-Uni, la version originale est mise à mal par celle du Johnny Hallyday local, l’ex-chanteur des Shadows, Cliff Richard, qui est commercialisée un peu plus tard, en 1972.
La légende raconte que, pour la séance d’enregistrement de « Jesus », Michel Berger a demandé à Véronique Sanson, qui est devenue sa petite amie, de faire les chœurs.
Il y a fort à parier que Véronique soit aussi dans les chœurs de la plupart des titres de l’album de Jeremy Faith. En effet, c’est elle qui signe sur cet opus la chanson « Tomorrow Will Be The Day » sous le pseudo de L. Lucas, et on entend déjà clairement sa voix sur ce morceau.
Crédit photo : Dalle/Rouget
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