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Chronique
Jacques Datin et Maurice Vidalin
La « grande » variété des années 50 et 60

L’AVANT-TANDEM

C’est à St-Lô, en Normandie, que Jacques Jean-Marie Datin voit le jour le 14 juin 1920. Il y commence très jeune des études musicales. Le piano devient son instrument de prédilection et il se retrouve au conservatoire pour finir par les Hautes Etudes Musicales Casadesus.

En parallèle, il « fait » Maths Sup mais échoue au concours d’entrée à Polytechnique et devient inspecteur des douanes durant trois ans. Ses débuts de compositeur, Jacques les doit à Philippe Clay, de sept ans son cadet, qui lui demande de mettre en musique quelques textes. Sans suite immédiate.

C’est donc Edith Piaf qui est la première à enregistrer une chanson que Jacques signe paroles et musique : « Dans ma rue ». Nous sommes en 1946. La chanson – d’une facture très réaliste – est un succès d’estime.
En 1947, suit « Pluie d’été », l’indicatif du « Thé dansant radiophonique », diffusé tous les jours à 17 heures sur les antennes du média roi.

A la fin des années 40, on le retrouve pianiste de cabarets à Paris, notamment au « Handicap » de la Porte d’Auteuil, futur Murat, alors fréquenté par des turfistes. Datin utilisera divers pseudos dont Jacques Vilga et Roger-Sylvain Lecerf.






Maurice Vidalin pousse ses premiers cris dans le 6ème arrondissement de Paris, le 18 avril 1924. Maurice aime écrire.

Alors qu’il n’a pas encore 25 ans, il rencontre au « Handicap » François Silly, futur Gilbert Bécaud, dont il sera dès la fin des années 50 un des paroliers majeurs. On lui connaitra aussi quelques pseudos dont celui d’Henry Valpala. Les deux hommes ont tous les deux 20 ans durant l’Occupation.

La rencontre

Nous sommes à la charnière des années 40 et 50. C’est aussi au « Handicap » que Jacques et Maurice se rencontrent. Pas longtemps, car Datin, malade des poumons, doit partir en sanatorium. Il est remplacé par le futur Gilbert Bécaud. Maurice - bien qu’un peu « anar » - s’engage, lui, dans la Légion étrangère.
De retour du sanatorium, Jacques « place » quelques chansons comme compositeur mais aussi comme co-auteur ou adaptateur.

Quant à Maurice, quand il quitte une Légion pas faite pour lui, il commence à écrire des textes et dépose son dossier d’inscription à la Sacem en novembre 1952. Après avoir passé son examen d’entrée le 1er décembre 1952, il en devient membre le 19 janvier 1953. Afin de pouvoir attendre que tombent ses premiers droits d’auteur, Maurice accepte d’être saisonnier dans une des annexes (à Parga) du premier village du Club Méditerranée créé en 1952 à Corfou en Grèce. Il y reviendra – notamment avec la famille Datin – jusqu’aux années 70 car sa femme Paule deviendra chef de ce village.

Un prix au grand festival de Deauville

En 1953, le Tandem, qui s’est mis à travailler ensemble, décroche le Prix André Claveau au prestigieux Festival de la Chanson de Deauville grâce à une chanson interprétée par Mathé Altéry (« Quand il m’embrasse »).

Ce succès les encourage et, dès 1954, ils se voient régulièrement dans l’arrière-boutique d’un tailleur, Marcel Francotte, boulevard Pasteur à Paris. Jacques épousera même la sœur de Marcel : Madeleine.
En 1955, c’est la reine du tango, Marie-José, qui les enregistre (« Il riait »), tout comme Tino Rossi (« Les amants de la belle étoile »). Pour ce dernier titre, ils signent ensemble le texte sur une musique de Pierre Spiers et Jerry Mengo.

C’est cependant 1957 qui est pour eux l’année de la consécration avec des chansons pour Colette Renard (« Zon zon zon » puis « Tais-toi Marseille » que reprend Barbara), Dalida (« Aime-moi » d’abord un instrumental enregistré par Emile Stern deux ou trois ans avant), Juliette Gréco (« On en dira » signée avec Marc Lanjean), Marcel Amont (« Julie »)…

En 1959, nouveau succès du Tandem avec « Les boutons dorés » par Jean-Jacques Debout, un titre néo-réaliste sur les orphelinats taillé sur mesure pour la jeune découverte des Editions Raoul Breton, mais également enregistré par Barbara... Debout enregistrera d’autres titres du Tandem (dont un gravé aussi par Gréco) avant de se mettre à la composition.

La consécration par l'Eurovision

En 1961, ils remportent pour le Luxembourg le Concours de l’Eurovision avec « Nous les amoureux » interprété par Jean-Claude Pascal, un texte évoquant discrètement les amours homosexuelles. Le titre sera repris par Isabelle Aubret, Nicole Croisille… Elle sera adaptée en plusieurs langues étrangères : anglais, espagnol, allemand et même serbo-croate. « Nous les amoureux » est édité par Bagatelle, la société de Denis Bourgeois qui leur ouvrira les portes de Petula Clark mais surtout de France Gall.

En attendant, on les retrouve à l’Eurovision 1962 où ils terminent troisièmes avec « Petit bonhomme » chanté par Camillo (Felgen), à nouveau pour le Luxembourg. Le chanteur l’adaptera en allemand.

Si, dans les années 60, le tandem aligne les succès pour France Gall (« Mes premières vraies vacances », « Christiansen »), celle-ci sera une des rares interprètes qui chantera Datin et/ou Vidalin jusqu’au début des années 70. Elle sera aussi, avec Françoise Hardy, une des rares yéyé girls pour laquelle le duo écrira. Ils préfèreront la jazzy girl, Nicole Croisille. Également les yéyé boys aux belles voix comme Richard Anthony ou Lucky Blondo pour lesquels ils adapteront des succès américains.

En 1965, l’actrice Mireille Darc, qui devient chanteuse, enregistre un super 45 tours de titres du Tandem orchestrés par Alain Goraguer et réalisés par Denis Bourgeois. Jusqu’à la fin de sa première carrière de chanteuse, en 1968, elle les chantera plusieurs fois.
C’est en 1971, que Régine, à son tour, mettra les deux créateurs à son répertoire (« Balayeurs, balayez »),

Durant leur carrière, les deux hommes feront aussi quelques adaptations, ensemble (italiennes d’Adriano Celentano et Nino Rota, américaines d’Erroll Garner ou de Burt Bacharach, allemande pour Marcel Amont, norvégienne pour Isabelle Aubret ou Jean-Claude Pascal).

Il reste d’eux des chansons délicates et élégantes, tant par leurs musiques que par leurs textes, souvent sur des thèmes originaux.

L’APRES-TANDEM

A noter que, dans ces années 60, chacun des deux créateurs aura de gros succès sans l’autre : Jacques avec Claude Nougaro (« Le jazz et la java », « Une petite fille », « Cécile »…), Serge Reggiani (avec des textes de Jean-Loup Dabadie comme « Le petit garçon », « L’Italien » que le comédien adaptera en italien…), Petula Clark (« A London »), Pierre Barouh, Hervé Vilard, Danielle Darrieux, Georgette Lemaire, Bourvil, Gloria Lasso, Sophie Darel, Gilles Dreu (notamment sur un texte de Pierre Delanoe), Jeanne Moreau, et surtout Michel Delpech (pour une dizaine de chansons)… Il retrouvera aussi Marcel Amont et Juliette Gréco. Sans compter qu’on doit à Jacques Datin quelques musiques pour la télévision… Pour finir, la Reine de la Nuit Régine enregistre aussi entre 1969 et 1972 des titres que Jacques compose sur des textes de Jean-Loup Dabadie ou de Michel Grisolia.

Le Tandem ne se séparera pas, c’est la mort de Jacques Datin, le 24 août 1973, qui mettra un terme à cette collaboration magique sur une centaine de chansons, juste après que ce dernier signe un dernier tube avec Serge Lama (« Les petites femmes de Pigalle »).
Le titre sera d’ailleurs récompensé en 1974 par le premier Oscar de la chanson remis par l’UNAC, l’Union Nationale des Auteurs et Compositeurs nouvellement créée. Jacques est mort à Saclas. Il est inhumé à Villegats dans l’Eure, village où il résidait.

En parallèle de son travail avec Jacques, Maurice Vidalin signe aussi d’autres succès.
En 1958, il adapte une chanson de Perry Como que bon nombre d’artistes vont enregistrer : Sacha Distel, René Lebas, Jacques Hélian, Les Compagnons de la Chanson, Patrice et Mario (« Garde ça pour toi »)… Il retrouve aussi son copain Gilbert Bécaud avec lequel il crée « Le mur », le premier succès d’une longue série avec Bécaud (« C’était moi », « La grosse noce », « Le bateau blanc », « Quand Jules est au violon », « Les Tante Jeanne », « Le petit oiseau de toutes les couleurs », « Mademoiselle Lise », « Seul sur son étoile » qui deviendra un standard international sous le titre « It Must Be Him », « Les petites Mad’moiselles », « Les cerisiers sont blancs », « Monsieur Winter Go Home »,…). Sacha et Jacqueline continueront aussi de travailler avec Maurice, qui signe en 1959 une première chanson avec Charles Aznavour « Gosse de Paris » du ballet du même nom (suivie de deux ou trois autres).
Il va aussi séduire les jeunes artistes des sixties comme Claude François et Françoise Hardy. Il sera aussi chanté par Mireille Mathieu (« Paris en colère » sur une musique de Maurice Jarre), Michel Cogoni, Hubert, Guy Mardel, François Deguelt, Nana Mouskouri, Dalida, Rika Zaraï, Gilles Dreu, Eddy Mitchell… En 1969,Vidalin adaptera les chansons de la comédie musicale « Un violon sur le toit » avec Ivan Rebroff (« Ah si j’étais riche »). Il aurait aussi écrit une pièce de théâtre qu’il n’aurait pas signée. Les années 70 seront tout aussi fastes grâce à Michel Fugain (« La fête », « Les Acadiens », « Le printemps », le très engagé « Chiffon rouge ») et Gérard Lenorman (« Soldats ne tirez pas », « La belle et la bête »). Il collaborera ponctuellement avec Mélina Mercouri, Michel Sardou (« Danton ») et à nouveau Distel. Maurice est mort à Rueil-Malmaison le 10 octobre 1986.


L'auteur

Jean-Pierre Pasqualini

Animateur sur Melody, la chaine vintage de divertissement musical depuis 2003, JPP en dirige les programmes depuis 2013.

Cet ex-pionnier de la radio FM (entre 1982 et 1985) et rédacteur en chef de Platine Magazine durant 25 ans (de 1992 à 2017), membre de l’Académie Charles Cros et du Collège des Victoires de la Musique, est aussi sollicité régulièrement par de nombreux médias (M6, W9, C8…). Ces derniers mois, il a participé à de nombreux documentaires sur la chanson patrimoniale (Hallyday, Sardou, Pagny, Renaud…), comme contemporaine (Stromae, Christophe Mae…).

JPP intervient également sur les chaines et dans les émissions de News (BFM, LCI, C News, « Morandini », « C’est à vous »…) et les radios (Sud Radio, Europe Un, RMC Info Sport, France Inter…) pour des événements liés à la chanson (Eurovision, Disparitions de France Gall, Charles Aznavour, Dick Rivers…). Il a même commenté en direct les obsèques de Johnny Hallyday sur France 2 avec Julien Bugier.

Coté chansons, JPP a participé, depuis presque 30 ans, à de nombreux tremplins, du Pic d’or de Tarbes au Festival de Granby au Québec en passant par le tremplin du Chorus des Hauts de Seine.
Enfin, JPP a produit des artistes comme Vincent Niclo, en manage d’autres comme Thierry de Cara (qui a réalisé le premier album des Fréro Delavega)…
JPP a signé quelques ouvrages sur la musique et écrit des textes de chansons. Il a même déjà travaillé sur un album certifié disque de platine (Lilian Renaud).